C'est la version française du texte écrit en bosniaque par Ademir Kenovic que j'ai traduit de l'anglais.

''Le sniper'' faisait partie de la série Chaque jour pour Sarajevo (Sarajevo, a street under siege) tournée par neuf réalisateurs de Point du Jour, coproduite avec SAGA, sur une idée de Patrice Barrat, producteur et l'un des réalisateurs. J'ai réalisé une douzaine de ces petits court-métrages parmi les 110 tournés, chacun de 2 minutes.
En 1994, la série a reçu le British Academy Award of Film & TV Arts (BAAFTA) et le Prix du Jury du Festival de Locarno.
La qualité exceptionnelle de l'ensemble des films mériterait qu'on en édite l'intégralité en DVD.

Le sniper était l'un de ces 110 films. Il a été choisi par les Bosniaques à la demande de la SRF, de l'ACID et de la SACD, pour qu'on parle de leur impossible situation. Le film, remonté pour le grand écran, est passé dans plus de 1000 salles en France, et sur presque toutes les chaînes de télévision (TF1, France 2, France 3, Canal+, M6, Euronews, Première, Ciné-Cinémas...). Seuls MK2 (distributeur de Bosna! de BHL) et Arte (où siège ce type surnommé par les bosniaques DHS pour Deux Heures à Sarajevo) ont refusé de passer Le sniper qui appelait à envoyer des dons pour reconstruire la Cinémathèque de Bosnie-Herzégovine.

LE SNIPER
Je décide toujours avec soin comment, quand et où passer :
près des bâtiments ou au milieu de la rue...?
Je zigzague...? je traverse vite...? ou lentement...?
Je fais en sorte qu'on me voit le moins possible des collines qui sont beaucoup trop proches de nous et que personne n'aime plus regarder...
Parfois en marchant j'essaie d'imaginer ce que c'est que d'être touché par un sniper...
Est-ce qu'on peut sentir la balle vous transpercer le corps...?
Est-ce que ça fait mal... ou chaud...?
Je me demande si je tomberai...
si j'entendrai le sifflement de la balle... avant qu'elle me touche... ou après...?
Quel bruit font les os en craquant...?
Le cycliste qui s'est fait décapité par une mitrailleuse antiaérienne,
a-t-il été conscient de quoi que ce soit...?
Je continue de croire que je serai "juste" blessé...
je ne pense jamais que je serai tué.
Je me demande si j'aurai le temps de voir voler une partie de mon corps devant moi après avoir été touché...?
Est-ce que ça produit une odeur... un goût...?
A quoi pense l'homme qui se cache la tête derrière son journal en traversant là où tirent les snipers...?
Je pense : ai-je peur ou suis-je seulement curieux
parce que je déteste ignorer les choses qui me concernent...?
Et puis je me demande pourquoi certains marchent sans rien comprendre, l'air hagard...
pourquoi certains en protègent d'autres...
et pourquoi d'autres encore courent machinalement...?
D'autres enfin essaient de vaincre leur peur en marmonnant des explications stupides...
Parfois je pense à ceux qui tirent : comment choisissent-ils leurs victimes,
homme ou chien, femme ou enfant, quelqu'un de jeune ou de célèbre,
ou peut-être que c'est par la couleur de leurs vêtements...?
Est-ce que le tireur est heureux quand il fait mouche ?
Je pense souvent au mépris profond des habitants de Sarajevo
pour ceux qui disent qu'ils ne savent pas qui et d'où on tire
et pour tous ceux qui font semblant de les croire.
Ils regardent simplement les futurs fascistes, autour d'eux, qui tirent sur leurs enfants...

P.S.: voir aussi billets du 8 novembre 2005 et du 1er mars 2006.