En commandant le deuxième long-métrage d'Elia Suleiman, Intervention divine (Yadon ilaheyya) sur dvdfolies, j'ai eu la surprise de trouver également sur cette édition spéciale belge son premier long, Chronique d'une disparition, deux films formidables pour seulement 7,50 euros !
Voilà de quoi me remonter le moral après le terriblement décevant Cronenberg, A History of Violence, au scénario bâclé. Dans le genre "le passé vous rattrappe", mieux vaut revoir le fabuleux Out of the past (La griffe du passé) de Jacques Tourneur avec Robert Mitchum. Pendant que nous en sommes à Tourneur, le fils de Maurice, tous ses films sont à conseiller vivement, en particulier le coffret collector réunissant La Féline, Vaudou et L'Homme léopard. Scénarios époustouflants, magnifique noir et blanc, bande-son superbe d'intelligence cinématographique, ce qui nous change du sirop musical holywoodien auquel il est actuellement si difficile d'échapper.
Les films d'Elia Suleiman sont une réponse très fine à l'occupation israélienne et un remède à la dépression de la société palestinienne. Il a souvent été comparé, à juste titre, à Jacques Tati pour son humour et le rythme des scènes, et à Buster Keaton auquel il ressemble beaucoup, Suleiman interprétant chaque fois le rôle principal. Réaliser des comédies dramatiques pour ce Palestinien, c'est résister avec fierté à l'horreur et au désespoir vécus par les Arabes d'Israël.
Après avoir vécu une douzaine d'années à New York, le réalisateur revient dans son pays natal pour faire un film. Chronique d'une disparition (Prix du 1er film à Venise en 1996) est construit en deux parties, "Nazareth, journal intime" et "Jérusalem, journal politique", mais le même ton unit l'ensemble, nous faisant totalement oublier qu'il s'agit d'un documentaire où il filme sa famille et ses amis. Son utilisation du son, souvent anticipé par rapport à son image et produisant donc chaque fois un double sens, est formidable. Les gags répétitifs, la véracité des personnages qu'il évite soigneusement de glorifier, comme il préfère tourner en ridicule les policiers israéliens plutôt que les diaboliser, l'absurdité des situations annoncent son second film qui recevra le Prix du Jury et celui de la Critique Internationale à Cannes en 2002.
Les principaux personnages d'Intervention divine sont pratiquement muets. Leurs actes et leurs expressions leur suffisent pour s'exprimer. Deux amants, un Palestinien de Jérusalem et une Palestinienne de Ramallah, séparés par un check point militaire israélien, ne peuvent se voir que clandestinement. Mais leur désir complice va engendrer des répercussions violentes, leurs fantasmes se traduisant en prouesses... Ayant construit son film également en deux parties, Suleiman met d'abord en scène la mesquinerie du quotidien, avec un humour souvent non-sensique et une tendre méchanceté. La seconde moitié aborde cette histoire d'amour impossible, avec toujours autant de poésie, d'invention, d'humour grinçant... La scène de l'odeur de merde qui flotte dans la voiture des militaires répond à celle de leur envie de pisser dans le précédent film, histoire de dégonfler la baudruche. Baudruche gonflée cette fois avec les ballons à l'effigie d'Arafat volant à la conquête de Jérusalem ! Le film devient plus radical, car le temps passe en Palestine sans que les choses ne s'améliorent. Gageons que si Suleiman en réalisait un troisième, il serait encore plus agressif.