JR fait suivre les liens de deux articles. Le premier vient du Chicago Sun-Times. Vendredi dernier, à une heure matinale de grande affluence, un homme s’est immolé par le feu en signe de désapprobation avec la guerre en Irak, rappelant le geste des bonzes pendant la guerre du Vietnam. Sur le blog du Chicago Reader, ses amis, sa famille, ceux qui l’ont connu, ceux qui découvrent aujourd’hui son existence, s’interrogent sur l’acte politique et l’état de fragilité psychique de Malachi Ritscher.
À la télévision, je prends en cours de route le film qu’Ed Harris tourna en 2000 sur Jackson Pollock. Le peintre, alcoolique, s’est tué en voiture à l’âge de 44 ans. Son instabilité psychologique s’efface devant son œuvre. La scène où il écoute Billie Holiday me fait soudain penser à ce que je viens de lire. Une grande tristesse.
Malachi Ritscher avait 52 ans, il s’intéressait à la poésie, à la peinture, collectionnait un peu tout et n’importe quoi, livres, couteaux, yeux de verre, mais il dédia surtout sa vie à défendre la scène jazz avant-gardiste de Chicago. Toutes les semaines, à l’Empty Bottle ou dans une autre boîte, il sortait son équipement portable et il enregistrait. Des milliers d’heures qu’il lègue à Bruno Johnson d’Okkadisk dans un testament intitulé Out of Time qu'il a placé sur son site en le rédigeant à la troisième personne du singulier. On peut aussi y lire une déclaration expliquant son geste, cette fois à la première personne. Son site montre les photos que Tim Ershot prit de Sun Ra, William Parker, Joe McPhee, Jerome Cooper, Mike Patton, Lol Coxhill, Henry Grimes, Dave Douglas, Peter Brötzman, Sam Rivers, Evan Parker, John Zorn… Ses enregistrements donnèrent lieu à des disques de Paul Rutherford ou Irene Schweizer.
Quel désespoir pousse un homme jusqu’à ces extrémités ? Comment comprendre la bande à Baader-Meinhof ou le sacrifice de Ian Pallach sans le percevoir ? Quelle différence y a-t-il entre canaliser sa difficulté d’être par la création ou par la destruction, a fortiori l’autodestruction ? Qu’est-ce que ce monde peut offrir aux écorchés vifs, à ceux qui ne peuvent l’accepter dans ses iniquités et sa brutalité ? Sur la même chaîne de télévision, Van Gogh de Maurice Pialat succédait au très beau portrait de Pollock aux prises avec ses démons, ses pinceaux et ses couleurs. Pour me changer les idées, je joue à Pollock avant d’aller me coucher. Quelques gouttes de peinture sur un linceul blanc.
Pour Ritscher, la sublimation n'était pas assez forte. Il n’avait probablement aucune autre échappatoire. L’Amérique de Bush prend lentement conscience de l’horreur où le pays s’enfonce toujours plus profond. Génocide indien, esclavage, Canal de Panama, impérialisme, Guerre des étoiles, etc. La liste est trop longue. Récemment, Afghanistan, Irak, et même dans les limites de ses frontières avec 9/11, la Nouvelle Orleans après Katrina, la misère partout... Comment les États-Unis peuvent-ils endosser un si lourd fardeau ? Ritscher lance un signal d'alarme. Le réveil risque d’être encore plus terrible.