Pourquoi ne voit-on plus de souffleur au théâtre ? On a démonté la boîte qui dépassait à l'avant-scène et qui représentait les hommes de l'ombre. On imaginait un très vieux monsieur qui était là depuis Molière, un vieil acteur décapité, épris de compassion pour ses congénères. Il était encore là lorsque j'étais petit. Je ne sais pas quand il a disparu, à quelle occasion, si cela s'est produit brutalement ou progressivement, je ne sais rien. Les comédiens ont-ils plus de mémoire que jadis ? Improvisent-ils leur texte lorsqu'à leur tour ils ont des trous ? Des ptits trous, des ptits trous, toujours des ptits trous.
Pourquoi est-ce que je m'ennuie au théâtre ? Pas tout le temps, mais si souvent. Jusqu'au supplice. La déclamation est insupportable, on a l'impression que le comédien ne joue pas un rôle, mais qu'il tient le sien, comédien ! Pas toujours, mais beaucoup trop souvent à mon goût. Peut-être le théâtre est-il une forme dépouillée du drame ? Le cinéma est plus complexe, il permet de changer d'angle, de faire des ellipses, j'ai l'impression d'une grande liberté que je ne perçois pas sur scène. Ou alors je préfère la piste, lorsque le danger peut se présenter de toute part. La musique est plus abstraite, sujette à interprétation. Les comédiens de théâtre me font rarement rêver, ils ne m'émeuvent pas comme un livre, un film, une voix qui s'élève note à note dans le noir. J'en souffre au point d'y aller à reculons. Mes jambes finissent pas avoir des impatiences. Je mors mes doigts, je me masse les pieds sous les malléoles, je pense à ça, à quelque chose, j'essaie de m'évader car je n'ose pas me lever et m'en aller. C'est terrible. Je souffre pour celles et ceux qui sont sur scène et débitent leur texte comme s'ils étaient à l'école, une école de ou du théâtre, mais une école tout de même. C'est cela : j'ai le sentiment d'être à l'école et j'attends la cloche. Il y a quelque chose de réducteur dans tout cela, le théâtre comme ce que j'en dis.