Depuis que je rédige ma chronique cd pour le magazine Muziq, ce que Fredo appelle un blog papier (nous sommes près d'une quinzaine à pratiquer ce sport, une page, 6000 signes, liberté totale si ce n'est que les albums doivent être parus depuis moins de trois mois), je reçois des dizaines de disques à écouter. Je commence à comprendre l'angoisse des journalistes condamnés à réduire la pile qui encombre leur surface de travail. Comme je n'essaye pas de constituer ma discothèque qui a déjà atteint les limites du supportable ni d'arrondir mon salaire en revendant les services de presse chez les soldeurs, je précise mes goûts pour que l'on m'envoie uniquement ce qui est susceptible de m'emballer. Comme Diaghilev l'exigeant de Cocteau un soir place de la Concorde, j'aime par dessus tout être étonné.

Il m'arrive de sauter de joie en ouvrant le courrier ou de me demander quelle mouche a piqué celle ou celui qui a préparé le paquet. Ainsi, détestant le vibraphone, sauf lorsqu'il est utilisé en orchestre pour des effets de timbre ou mélangé à d'autres instruments de percussion à clavier (j'adore par dessus tout le marimba, mais aussi le balafon, le célesta, le piano, les cloches tubulaires, les poelles à frire, les pots de fleurs et même le glockenspiel !), j'avais gardé pour la fin le nouveau disque d'Alex Grillo, charmant garçon, mais néanmoins vibraphoniste. Très agréable surprise, La musique de l’Afrique est en nous (Césaré, dist. Orkhêstra) est un album déjanté comme je les aime. Les paroles caustiques du poète Daniel Biga fonctionnent parfaitement avec les rythmes de Grillo, les sons de bois et de crin du violoncelliste Didier Petit et les manipulations délicates de Christian Sebille à l’ordinateur des pompes joyeuses. Les voix de la bande des quatre sont superposées à une vaisselle éclatante où chacun relèvent ses manches pour confectionner un pan bagnat bruitiste digne des meilleures évocations radiophoniques de France Culture. Cette comédie burlesque interdit de rire sans arrière-pensée. L'esprit parfois potache des bricolos délirants est contrebalancé par un plaisir de faire communicatif qui produit une invention juvénile que l'on aimerait entendre plus souvent chez les autres pros du son. Le petit pain rond qui tourne sur la platine est riche en couleurs, savoureux en langue, épicé à souhait, un vrai bonheur.

Quelques lignes dans Muziq ne feront pas vendre plus de trois ou quatre exemplaires de plus des disques évoqués. Une page dans Libé ne fait guère mieux. Hélas ! Il n'y a que le Journal de 20 heures qui puisse éventuellement faire effet, ou alors, que toute la presse en parle, cela deviendra l'affaire du bouche à oreilles... Quelques lignes ici ou dans Muzik permettront peut-être à quelque musicien d'esquisser un sourire. Les conditions économiques des intermittents se dégradent sans cesse. Être artiste aujourd'hui, qu'est-ce que cela signifie encore ? Transmettre. Informer. Le fruit d'un travail est souvent sanctionné par quelques lignes dérisoires qui pourront être reprises dans un dossier de presse. Ce sont parfois les seules traces qui resteront. La mémoire est volatile. Ici ou ailleurs, chaque fois, s'inscrivent seulement quelques lignes de solidarité. Quelle importance ! La musique est en nous...