J'avais raté Le Cabaret des Chiche Capon au Zèbre, mais ils seraient au Samovar (c'est tout à côté de la maison à Bagnolet). Le rire est salutaire, il y avait longtemps que je n'avais autant pleuré, des larmes bien portantes, lorsque le rire ne peut plus endiguer l'émotion, que l'on s'étrangle et s'étouffe en spasmes à la fois épuisants et revigorants... Je ne me souviens plus de leurs noms, mais ils étaient douze sur scène, issus de différentes troupes et de l'école de clowns du Samovar. Devant ce bouquet de jouvence, le public d'adultes tint son rôle comme les enfants devant un spectacle de marionnettes, réagissant activement aux pitreries le plus souvent heureusement muettes.
Les grands clowns utilisent peu de mots. On se souvient du "sans blague !" du suisse Grock. J'étais trop jeune pour le voir en public, mais je me rappelle les Fratellini lorsque j'avais cinq ans. Albert me laissa une impression indélébile. J'ai toujours préféré l'indiscipline de l'Auguste au rappel à l'ordre du clown blanc. Adolescent, je fis le light-show du Cirque Bonjour à ses débuts et je fus ému de revoir Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thiérrée dans le sublime film de Fellini, un de ses meilleurs avec Roma. Plus tard, grâce à Geneviève Cabannes et Francis Gorgé qui travaillaient avec les Macloma, j'eus la chance de jouer avec Guy Pannequin dans notre spectacle Zappeurs-Pompiers 2. J'adorais la méchanceté de Guy lorsque, maquillé en noir, il terrorisait les spectateurs. Le clown peut approcher les tabous, braver les interdits, provoquer au delà du raisonnable. Il incarne la désobéissance sociale qu'ailleurs on appelle folie. Et le rire qu'il engendre libère les nœuds de tension que nous accumulons à force de nous plier aux us et coutumes.
Quel plaisir de partager cette rigolade avec Elsa qui nous avait exhortés à venir et d'entendre Françoise s'esclaffer à tout bout de champ alors qu'elle était venue à reculons, prétextant ne pas aimer les clowns. Elle n'avait jamais connu que les lamentables zavattineries qui prennent les enfants pour des demeurés en s'appuyant sur trois éternels jeux de mots. Mais nous étions confrontés à l'art du rire qui tient de l'absurde et de la critique féroce, proche du burlesque des Chaplin, Keaton, Marx, Jacques Tati ou Pierre Etaix qui sont des clowns de cinéma. La moindre mimique de Patrick de Valette nous plie en deux, en trois, en quatre, nous laissant à jamais un souvenir libérateur de cette soirée lumineuse.