Il est de tradition familiale que nous fêtions les anniversaires dans un bon restaurant, invités par mes parents. Mon père étant mort il y a vingt ans, Maman perpétue cette délicieuse habitude qui veut que l'on tente chaque fois une nouvelle expérience gastronomique. C'était hier l'anniversaire d'Elsa à L'Avant-Goût, une occasion de nous retrouver, avec Michèle, sa maman, et Yann-Yvon. Le jeu consiste à dégoter de bonnes tables pour un coût raisonnable. Maman et ma sœur Agnès sont expertes à cette gymnastique. Nous nous laissons porter par le flot. Elsa et moi imaginons difficilement de terminer un repas sans dessert au chocolat. Pour le reste, nous avons tendance à choisir ce qui paraît le plus extraordinaire. Ça marche parfois. La frime de mon père, qui était du genre à faire appeler le chef pour le féliciter, me manque, même si cela nous flanquait chaque fois la honte. Il est devenu rare que nous ayons des étoiles dans les yeux quand nous évoquons les restaurants pourtant souvent délicieux et inventifs. J'ai l'impression que nos prouesses domestiques, aux un(e)s comme aux autres, valent largement ces bonnes tables. Maman a arrêté de faire la cuisine lorsque ma sœur et moi avons quitté le domicile parental. Lorsque j'étais petit, je me flattais de ne jamais manger deux fois le même plat pendant un mois. Les mayonnaises et les sauces étaient l'apanage de mon père. Les cocktails aussi. J'ai appris de lui à marier les alcools, mais je n'ai jamais osé faire monter une seule mayonnaise. Du Luft, disait-il, de l'air. Au début, les finances de mes parents ne nous permettaient que le restaurant chinois. J'ai appris à manger avec des baguettes en même temps que le maniement de la fourchette...