Quittant Berlin où elle avait été artiste en résidence et passant voir Françoise à Paris avant de rejoindre Harvard où elle venait d'être nommée en charge du cinéma expérimental, Amie Siegel avait sous son bras deux films.
Le premier, Empathy, est un long métrage sur l'intimité des rapports entre le psychanalyste et son patient. Les psys sont réels, tandis que les patientes sont jouées par des comédiennes, mais rien de cela ne se voit tant la direction d'acteurs est maîtrisée. Cela se comprend lorsque la réalisatrice américaine le souhaite pour aussitôt nous le faire oublier. Si la plupart des praticiens ronronnent d'une langue de bois pare-feu, celui que j'appelle "le crocodile" se livre à l'objectif avec une sincérité hors du commun. Derrière la fente de ses yeux, on sent l'animal prêt à bondir. Mais la patiente n'est pas une proie envisageable et il refermera ses mâchoires sur ses propres fantasmes. Amie Siegel laisse traîner ses clefs pour offrir aux spectateurs les indices de la relation qu'entretient la cinéaste avec ses sujets : la perche entre dans le champ, Amie fait mine d'apprêter sa comédienne, extraordinaire Gigi Buffington, comme si la caméra ne tournait pas encore, le début même du film montre que les tricheries sont de mise comme dans tout documentaire (documenteur explicité par Varda !), les auditions pour le rôle principal sont-elles jouées ou vécues, etc. La passe est réussie lorsque le plateau de jeu bascule, le transfert s'opérant, le psy glisse du fameux fauteuil au divan d'Amie !


Amie Siegel avait découvert les copies des films que Françoise avait laissées dans les archives de l'Université d'Harvard à Boston. Elle avait été impressionnée par Mix-Up comme par Appelez-moi Madame (Call Me Madam). Le premier est sorti en dvd chez Lowave, le second pourrait être édité prochainement. Toutes deux aiment mêler documentaire et fiction, jouer des faux-semblants et entraîner leurs personnages réels sur les pentes taquines de la reconstitution et de la mise en scène. Sublime coïncidence, Amie reconnaît la monteuse, Maguy Alziari-Siegel, en photomaton sur le générique de Mix-Up, c'est la femme de son cousin américain à Paris. En regardant le second film qu'elle nous a laissé nous comprenons qu'Amie est une réalisatrice avec de beaux jours devant elle. Françoise me dit qu'elle a déjà ressenti cette complicité lorsqu'elle rencontra Atom Egoyan il y a vingt ans... Ce n'est pas tous les jours que l'on fait de pareilles rencontres.


Le court-métrage Berlin Remake est une installation pour deux écrans (split screen). Le bonus montre le film in situ dans le cadre d'une exposition. Sur l'écran de droite sont projetées plusieurs séquences de films est-allemands des Studios DEFA entrecoupées de noir, sur celui de gauche Amie Siegel montre les mêmes lieux qu'elle a filmés à plusieurs décennies de distance. Elle a conservé le son de "l'original". Si les cadres et les mouvements de caméra sont identiques, la réalisatrice a, cette fois encore, joué de la mise en scène pour parfaire l'illusion. Elle a disposé des personnages aux places stratégiques du cadre comme le monteur cherche les contrastes de lumière pour réussir ses passages d'un plan à un autre. Mais ici voir les deux images en même temps troublent le regard, exhorte l'émotion et la réflexion, nous renvoyant à notre propre histoire. Le cinéma n'est-il pas l'art de reproduire les émotions passées de chacune et chacun ? Cantonner l'installation à une évocation du temps qui passe dans un endroit, il est vrai, chargé de sens, Berlin Est, est une grave erreur. C'est la sempiternelle question de l'identification qui est nous est renvoyée par ce miroir sorcier, une glace à trois faces où le visiteur, à son tour, devient l'acteur d'un monde imaginé par la metteuse en scène. Berlin Remake est un pas de plus vers l'immixtion de la fiction dans le réel et sa réciprocité. Une mise en abîme qui défie la loi des genres.