Inspirée par les films muets de Lotte Reininger, l'artiste afro-américaine Kara Walker découpe des silhouettes dans du papier noir et réalise des films d'ombres chinoises où elle évoque l'esclavage aux États Unis et l'ambiguïté des rapports sexuels qu'il engendra entre les communautés. Si ses grands panoramas et ses théâtres de marionnettes apparaissent anecdotiques, malgré leur charge sulfureuse où le sexe et la violence sont omniprésents, ses écrits sont bouleversants, autrement plus provocants que l'érotisme bon marché de ses fresques monochromes. Quelques tentatives de colorisation et de très beaux collages ne changent rien à l'affaire. Pourtant, analyser son œuvre sans se référer au racisme toujours aussi vivace aux USA risque d'atténuer le sens de sa démarche, résolument contemporaine parce que fortement enracinée dans une histoire terriblement douloureuse qui n'est pas prête de s'éteindre. Le passé du peuple noir a été soigneusement enfoui, refoulé. Les blancs ne souhaitent pas plus exhumer les scandales intimes subis par les corps, leurs gènes se propageant allègrement dans la communauté afro-américaine. Les fantasmes de Kara Walker réveillent les fantômes pour que celles et ceux qui le vivent encore dans leur chair clament leur nom sans vergogne.
Photo : Françoise à l'exposition du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, Mon Ennemi, Mon Frère, Mon Bourreau, Mon amour, jusqu'au 9 septembre.