Doris nous confie Suite française d'Irène Némirovsky dans sa traduction anglaise qu'elle vient de lire lors de son séjour à Paris. Jonathan s'en saisit pour le dévorer avant son retour à New York et nous offre l'original en français. Après Françoise, je me presse de le terminer avant de quitter La Ciotat pour le laisser à ses parents à qui l'époque de l'exode et de l'occupation parlera plus qu'à moi. Jean-Claude adore l'histoire et Rosette me raconte le flot des réfugiés qui se déversait du nord sur les boulevards des Maréchaux Porte de Montreuil avec leurs vaches, leurs cochons et tout leur barda, impressionnant défilé à qui les Parisiens offraient du pain sur leur passage.
Le plus émouvant sont les notes et les lettres en annexes, mais il faut avoir lu le roman pour apprécier ces documents inestimables qui accompagnent le manuscrit oublié toutes ces années dans une valise, l'éclairant d'un jour nouveau très moderne. L'écriture était minuscule, comme la page du manuscrit de Georges Arnaud que j'ai retrouvée chez mon père. Pour l'une et l'autre le papier était rare ! L'histoire de 1941-42 est vécue par des personnages de fiction, récits parallèles qui dessinent une période fragile avec la plus grande délicatesse. Irène Némirovsky, écrivaine réputée avant guerre, fut déportée, comme son époux Michel Epstein, à Auschwitz. Russes blancs émigrés, ils auraient peut-être échappé à la mort si leur conscience de classe avait été plus critique. Ces grands bourgeois juifs partageaient avec les Nazis la haine du bolchévisme ! Le récit posthume a été publié grâce à la découverte récente de leurs deux filles qui avaient fui la capitale.
La peur fit sombrer la France dans l'absurdité, la collaboration et l'horreur. L'Histoire se répète. La peur est mauvaise conseillère.