Madame de... est une valse viennoise. La tête me tourne. Mon corps vacille. Le destin est obscur. Saurons-nous l'aborder avec dignité, humilité ? Je pense aux romans d'Arthur Schnitzler. Françoise répond Edith Wharton. Les mouvements amples de la caméra ont l'élégance des personnages. Les avant-plans en amorce renforcent la distance freudienne de notre regard. Ici les miroirs réfléchissent aussi. La lumière de Christian Matras vaporise un voile d'une précision absolue sur les âmes et les objets. Les yeux dans les yeux. Paupières baissées. Un geste. Coup de foudre. La moindre réplique renvoie au décor, à un costume ou à la scène, sans jamais négliger ni les différences de classe, ni les rapports entre les femmes et les hommes. Tout est écrit et tout semble si naturel que nous pénétrons en somnambules les rêves de celles et ceux que filme Max Ophüls. Ses personnages n'ont pas le choix, ils s'enfoncent dans le récit comme nous traversons la vie sans savoir, que lorsqu'il est trop tard...
Les œuvres d'Ophüls sont un ravissement. Je n'en perds pas une bouchée, de l'image comme de ce qui s'y trame, le moindre figurant, les astuces sonores, les cadres de Douarinou, les costumes d'Annenkov, l'époustouflante Danielle Darrieux dans un de ses meilleurs rôles... Ophüls, comme Mizoguchi, fait partie des rares cinéastes mâles à avoir su filmer les femmes en remettant pitoyablement les hommes à leur place, ici Charles Boyer et Vittorio de Sica. Madame de... fut tourné en 1953, entre Le plaisir et Lola Montès, d'après un roman de Louise de Vilmorin qu'adaptèrent Marcel Achard, Annette Wademant et le metteur en scène. L'œuvre est à réévaluer. Max Ophüls figure parmi les plus grands cinéastes français de l'histoire aux côtés de Jean Epstein, Jacques Becker, Jean Grémillon, trop souvent oubliés au profit d'Abel Gance, Jean Renoir ou Marcel Carné. Je ne vais pas citer tout le monde...


Le dvd anglais (zone 2, donc lisible sur un lecteur français) a un bande-son très moyenne (alors que le film lui fait la part belle) et les sous-titres sont insubtilisables, mais l'excellence du film mérite que l'on s'en fiche. Un dvd du Plaisir est également disponible en copie anglaise (Universal), tout aussi épatant et entraînant que Madame de... Ne boudons pas le nôtre, d'autant que l'on devra encore attendre que soit restauré Lola Montès, car voilà plus de quarante ans que l'on ne l'a pas vu avec ses couleurs d'origine.