J'allais publier un petit film envoyé par Francis lorsque je croise Aymeric au concert de Bojan Z, Julien Lourau et Karim Ziad au Triton (encore ce soir) où Elsa m'a donné rendez-vous depuis qu'elle s'est entichée du solo du pianiste. Leur jazz balkanique très mélodique, à l'emporte-pièce, s'écoute agréablement, même si le trio joue un peu trop fort. Bojan tient une basse funky avec la main gauche sur le Fender Rhodes pendant que la droite fait jaillir du piano des papillons colorés aux réminiscences plus classiques. Au ténor, Lourau joue des clapets, des coups de langue et éructe grave ; au soprano, il trille et tire des traits. La batterie de Ziad tonne parfois comme un ensemble de bendirs avec ses rythmes gnawas. L'ensemble, plus français que tzigane, sonne plus droit que tordu, leur conférant un style France carrefour de l'Europe, d'autant qu'ils jouent sans papiers.
J'avais donc prévu autre chose pour ce matin lorsqu'Aymeric me demande si j'arrête la musique. Voilà ce que c'est que d'être lu au jour le jour en restant évasif sur ce que je quitte pour retrouver quoi. Un peu de patience. Le feuilleton a ses lois. Non, je continue de rêver en timbres et en couleurs. Je prends seulement mes distances des mondes qui ont du mal à s'ouvrir sur les autres lorsqu'il s'agit de leur fond de commerce. Les replis identitaires me font peur quand la myopie mène à l'aveuglement. Je les comprends. Lorsque l'on a eu tant de mal à creuser sa route, il n'est pas toujours facile d'envisager les bifurcations. Dans la solitude, les choix s'imposent ; le groupe freine la course s'il n'est pas suffisamment soudé. Je me suis senti trop isolé. Il vaut mieux alors retrouver la marche régulière du coureur de fond que de se laisser bousculer par le nombre et envoyer valdinguer par les flippers. J'entends le son de ces vieux appareils à sous dans les cafés d'antan. Je me fais des blues sur les bumpers en attendant de rencontrer un spinner qui me fasse décrocher le jackpot ! Ne faut-il pas parfois repartir en amont pour trouver son nouvel aval ? Personne n'est irremplaçable, des vocations se révèlent lorsque la vacance occupe le terrain. On ne peut faire de rencontres sans séparations. Je prends mon courage à deux mains et j'arpente l'horizon qui se profile sans en faire une montagne.