J'ai choisi la photo du scooter customisé, prise à Bangkok, parmi ma petite réserve d'images pour les jours où je ne suis pas en verve. Elle représente tout le contraire de mon état. Je ne brille pas, je me traîne. Depuis samedi, j'accumule les symptômes sans qu'aucune maladie ne se déclare franchement. Les analyses en diront peut-être plus. Rien de brillant. Cela ne m'empêche pourtant pas de remuer. Ranger le studio, m'allonger, organiser le jardin, me reposer, j'alterne des phases d'activité où j'oublie mes petites douleurs avec des passages raplapla où je fais le vide tant bien que mal. SOS Médecins m'a coûté 68 euros, il paraît que c'est intégralement remboursé. Il y a une dizaine d'années, j'avais cédé à la pression de mes proches pour prendre une mutuelle. Celle de la Sacem rembourse plutôt bien. J'irai probablement mieux lorsqu'il refera moche.
Lundi 13 mai 1968, c'était ma deuxième grosse manif, mais tout cela est loin. Par contre, je ne peux oublier les suivantes, toutes les suivantes, parce que je faisais partie du "service d'ordre à mobylette". Il s'agissait de précéder le cortège en arrêtant les automobiles aux carrefours pour le laisser passer sans encombre. À une trentaine, on bloquait, les manifestants nous rejoignaient, on repartait au prochain feu. À cette époque il n'y avait pas de voitures de flics pour ouvrir et fermer la voie ! Il n'y avait déjà pas autant de bagnoles, mais dès la pénurie d'essence, on avait l'impression de faire une ballade en forêt. D'autres disaient la plage. Très vite, les feux tricolores ne signifièrent plus rien du tout. Avec ma Motobécane grise, je livrais aussi les affiches imprimées dans les ateliers des Beaux-Arts, je les apportais par exemple à l'ORTF, la Maison de la Radio et de la Télévision dont Godard avait filmé les couloirs pour Alphaville. On rencontrait du monde. La rue était à nous. La vie était à nous. Ce n'était qu'un début.