Parmi la banalité des nouveautés proposées ces temps-ci, fussent-elles de qualité, tout album sortant de l'ordinaire est un coup de baguette magique qui transforme mon masque de crapaud en sourire de rainette. Pour savoir si la mutation irait jusqu'à faire de moi un prince charmant, il faudra tout de même que vous vous fendiez d'un baiser sur la bouche, mais êtes-vous certain(e) que je me laisse faire ?
The Cusp of Magic (Nonesuch) est un rayon de soleil traversant les saisons, comme une traînée de poudre de perlimpinpin, pour s'installer en plein été. Depuis de nombreuses années, Terry Riley compose essentiellement des quatuors à cordes créés par le célèbre Kronos Quartet. Même si le compositeur ne s'en est jamais détaché, le style répétitif qui l'a initié et l'a fait connaître avec In C et Rainbow in Curved Air a cédé le pas à une invention sans cesse renouvelée, empruntant les détours les plus étonnants, des chemins touffus aux chambres escarpées, des forêts habitées aux espaces sidéraux. Depuis 25 ans, la collaboration de Riley avec le Kronos, commencée avec Cadenza On The Night Plain, a accouché des deux heures de Salome, Dances For Peace, du renversant Requiem For Adam et du spectacle multimédia Sun Rings, inédit en cd ou dvd.
Pour cette nouvelle œuvre rituelle commémorant le soixante-dixième anniversaire du compositeur, la joueuse de pipa Wu Man, qui chante aussi et joue de petits jouets d'enfants musicaux comme les autres musiciens, a rejoint le Kronos avec lequel elle forme ici un quintet à cordes. Le pipa, luth chinois ancestral à quatre cordes pincées, donne un sang nouveau à l'inégalé quatuor de la côte ouest des États Unis. Wu Man avait déjà collaboré avec le Kronos à une pièce de John Dowland sur Early Music et au Ghost Opera de Tan Dun. De son côté, le premier violon, David Harrington, utilise un tambour grave et un hochet sur le premier mouvement inspiré par ce rituel peyotl indien d'Amérique du Nord traversant toute l'œuvre. Un synthétiseur discret et quelques manipulations électro-acoustiques brisent le sacro-saint quatuor classique et participent à cette hallucination, un monde de rêves où les réminiscences flottent en nuages de fumée. Comme la musique psychédélique tentait de retrouver les effets lysergiques du LSD, Riley réussit à nous faire voyager sur les méandres du cactus magique et à nous enchanter. Avec les "substances", le problème reste comme toujours l'accoutumance qui nous fait passer et repasser le disque inlassablement sur la platine.