Mes métiers ne me permettent pas de savoir si et quand je suis à l'œuvre ou pas. Penser, réfléchir, rêver pourraient suffire à me donner cette impression de bien-être, mais j'ai besoin de voir les résultats pratiques pour y croire. Croire que ce n'est pas que du vent, une idée éphémère qui passerait comme un ange. Il faut que ça bruisse et que ça crisse. Les mots s'affichent, les sons explosent, les images s'échappent. Je ne pourrais vivre sans me surprendre. Tôt le matin, je suis poussé hors du lit par cet impétueux besoin d'inventer quelque chose, de résoudre la question sur laquelle je me suis endormi la veille, ou une autre, peu importe, du moment que ma cervelle frémit délicieusement au beurre noir de l'à poil. Mon corps suit le temps bien que mâle, à condition que je l'entretienne comme le reste. Balance du matin chagrin, gymnastique du soir espoir. Le reste de la journée, je m'active, sueur bien portante, mes yeux suivent les deux doigts qui tapent sur le clavier lorsqu'ils n'arpentent pas l'écran de long en large, mes jambes se plient et se déplient comme un ressort lorsque je glisse du salon au studio, mes oreilles rebondissent d'un combiné à l'autre, je marque une pause pour faire un son, une suite de notes, une respiration musicale. Tu parles, ma langue tourne sept fois dans sa bouche pour autant de syllabes ! La musique m'oblige nez en moins à une concentration encore plus resserrée, sans rature, comme un archer. Rien ne remplace cette fébrilité de cachet effervescent, ever adolescent, quinquadulescent comme m'appelle Annick Rivoire pour présenter mon PopLab. Je me laisse emporter par les mots alors que je voulais parler du travail en cours ou de la vie sous la mer. D'une part, le DVD de Françoise m'accapare depuis des jours et des nuits (elle squatte le studio en plus de son atelier), d'autre part la vie aquatique me fascine plus que toute autre, envers du décor mégalanthropique, milieu naturel où les poissons s'ébattent comme on ne peut l'imaginer si l'on n'y est pas allé voir de soi-même. Bouteille. Cocktail détonnant que cette oscillation entre l'hyper-activité et l'abandon ! La comédie du travail. Vivre ? J'efface un s pour me noyer dans l'élixir.