Je devais être énervé. Je sortais de la Maison RougeChristian Boltanski expose Les archives du cœur, une installation un peu bâclée autour de son ego grandissant à mesure que son aura s'éteint. La mort rôde, on aura compris. L'ampoule clignote pourtant de manière régulière. Malheureusement le cœur est épargné. À force de décliner un thème, le verbe devient intransitif. Je vais encore me faire des amis. J'entends déjà : "Va mourir !". La frontière entre art et entertainment devient de plus en plus ténue. Il y a même un laborantin en blouse blanche qui enregistre les pulsions cardiaques des visiteurs qui ont pris un numéro et leur en propose une repro contre quelques euros. On se croirait à la Foire du Trône quand il fallait payer un franc pour admirer "le clou de la fête", un bout de métal rouillé trônant majestueusement au centre de la tente. En termes forains, on appelle ce genre d'attraction une arnaque. Il y a aussi celle du "plus grand tour de la Foire" où un guide vous promène tout autour de l'enceinte. Aujourd'hui cela vaudrait des sommes folles si un "artiste" s'en emparait. Le cinématographe a bien commencé là pour terminer Septième. Revenons à nos moutons. Rien ne justifie la taille de la salle, le morphing est désuet, l'accrochage des cadres noirs (radioscopies ?) sans fondement. Un de mes potes, pourtant fan de C.B., est furieux d'avoir déboursé 6,50 euros pour une unique pièce. Il n'y en a qu'une, exception faite des Sans titre de Marie Cool et Fabio Balducci, installés in vivo dans la pièce à côté. Là on frise le ridicule. Vous repartez avec une belle coupe, bien pleine. Si au moins les responsables se marraient ! Ils sont sérieux comme des papes : dans les galeries d'art aujourd'hui on fait des miracles, on reproduit les saints pères comme certains fabriquaient des multiples dans les années 60, cette fois le propos est de rendre rare le banal, le public est contaminé par le ton compassé qui fait rage chez les jeunes artistes conceptuels.
C'est bizarre, j'ai pourtant adoré nombre d'œuvres de Boltanski, j'aime bien les performances un peu tordues, les arts plastiques me font rêver, mais le Mémorial des Martyrs de la Déportation au bout de l'île de la Cité est autrement plus émouvant. J'ai des doutes sur la tournure des évènements, comme si le monde de l'art s'était emballé, comme un jeune poulain, comme si tout était pesé... Aux Beaux-Arts, les professeurs ont su façonner leurs élèves à leur image. Au quotidien, un peu d'hygiène remet l'œuvre à sa place. Au moment de se lever, que reste-t-il sur le papier ? Adelaide me dit que la cage d'Andrea Blum dans laquelle on pénètre pour regarder et écouter les petits oiseaux qui tournent autour s'appelle un café. Mais on n'y consomme rien. Les volatiles sont évidemment enfermés sous un grillage à peine plus grand, surplombé par ce que l'on avait coutume d'appeler des cages à lapins, fenêtres bien rangées les unes au-dessus des autres, voisins créchant derrière ces falaises de maison close. Si l'on apprécie les oiseaux en cage, on dira que c'est de la déco. Les galeristes ne savent plus où donner de la tête. On essaie de nous faire passer la moindre idée farfelue ou prétentieuse, pontifiante ou rigolote, pour un geste artistique et le résultat des courses pour de l'art. Ah Marcel, tu nous a joué un bon tour ! C'est comme Schönberg affirmant qu'avec son système à douze sons il "assurait la suprématie de la musique allemande pour un siècle". Le pire, c'est qu'on l'a cru. La prophétie s'est donc réalisée. En art contemporain, c'est la même histoire. S'il y a des croyants, c'est que c'en est.

N.B.: j'ai eu l'idée de ce billet en repensant à ''Sculpture physique'', le court-métrage de Jean-Marie Maddedu et Yann Piquer que je revois toujours avec le même plaisir et dont la cote devrait grimper au firmament des galeries d'art et des musées idoines. Ne ratez pas la chute !