Chaque fois qu'un État tente de contrer les résistances sociales en promulguant de nouvelles lois ou en installant de nouveaux verrous, les réfractaires s'organisent pour déjouer les derniers systèmes de sécurité ou de répression. Il en est ainsi de la fausse monnaie qui refleurit toujours au lendemain de l'annonce de nouveaux billets prétendument infalsifiables, des codes technologiques anti-piratages, des interdictions de sites en peer to peer, etc.
La répression gouvernementale et policière contre les drogues illicites pousse une foule de jeunes gens vers des substances plus dangereuses que celles qu'ils consommaient. L'alcool, drogue légale effroyablement meurtrière (c'est, comme le reste, une question de dosage), se développe comme une traînée de poudre. Dans les quartiers, les ados ayant de plus en plus de mal à trouver du haschich, devenu financièrement inabordable, passent dangereusement à la consommation de cocaïne, autrement plus toxique, mais dont les prix ont drastiquement chuté. Balcons et jardins des jeunes bobos avertis abritent de plus en plus de plants de marijuana en vue de leur consommation personnelle.
Des sites Internet proposent des cocktails de plantes autorisées aux effets variés, souvent hallucinogènes. La devise de Biosmoke, qui sous-titre "détente, plaisir, liberté", est "Encensez vos sens". Le commerçant en ligne présente ses créations comme de l'encens à fumer : Gorilla est un "mélange sauvage et complexe associant plantes rares et extraits de plantes naturels, reconnus pour leurs vertus relaxantes, sédatives, ou euphorisantes. C'est le calme et la puissance du gorilla en sachet. Toujours prêt à l'emploi et agréable à utiliser, Gorilla est teinté de myrtille, son arôme subtil et sucré". L'effet de chaque plante, historiquement commentée, est expliqué : baybean, queue de lion, indian warrior, dwarf scullcap, machona brava, laitue sauvage, lotus bleu ou rose, estragon mexicain, scutellaire casquée, dream herb, marihuanilla, verbascum thapsis, kanna, kratom, houblon, siberian motherwort, salvia sont associés selon les effets souhaités.
Il y a quelques jours le quotidien Libération lui-même évoquait l'arrivée massive sur notre territoire de la salvia, dite sauge des devins !
J'avoue n'avoir goûté aucun des substituts proposés. Certaines personnes interrogées m'ont rapporté que la Gorilla les avait abrutis agréablement, sans euphorie particulière. D'autres, en voyage en Colombie, ont tâté de l'ayahuasca en présence d'un chaman, mais n'en ont pas tiré plus d'enseignement que lors de mes amusantes escapades au pays hmong sur la piste de l'opium. Car il ne suffit pas de singer les pratiques ancestrales de tribus lointaines, encore faut-il savoir s'en servir à propos ! Le poète Henri Michaux, grand expérimentateur de substances révélatrices, écrivait : "nous ne sommes pas un siècle à paradis, nous sommes un siècle à savoir".