En réalité, aussi invraisemblable soit-elle, la chose ne s'est pas produite au Louvre, mais dans une aile du Palais bâti par Philippe Auguste, la plus proche des Tuileries rue de Rivoli, celle qui héberge le Musée des Arts Décoratifs. La journée avait commencé d'une drôle de manière. Tandis que je réclamai un badge du jour à l'agent de sécurité qui gardait la galerie des jouets, celui-ci me répondit avec un ton de conspirateur : "Ce n'est pas très agréable ici, nous sommes surveillés." Je lui fis aussitôt remarquer que c'était justement sa fonction, mais il insista : "Je suis agent d'accueil, accessoirement de sécurité... Et je ne surveille pas les gens, mais seulement les objets !". Je l'aidai à trouver mon nom sur la liste, mais comme je le quittais il me demanda tout de même comment je m'appelais après s'être présenté par son prénom et insista pour me serrer la main en regardant tout autour par-dessus mon épaule.
L'endroit était désert, toute l'équipe étant partie déjeuner. Je me concentrai sur l'installation du système d'amplification de nos lapins sages comme des images, ce qui ne me rassurait qu'à moitié, lorsque je fus rejoint par Leslie qui me donna heureusement un coup de main, façon de parler puisqu'elle rampa sous la vitrine pour passer les câbles et les enceintes. La chose n'était pas aisée, d'autant que, toute spécialiste des socles qu'elle est, elle s'était abîmée le petit orteil gauche en nettoyant mes traces de pas car, probablement troublé par l'atmosphère qui régnait déjà dans l'obscurité, j'avais oublié d'ôter mes chaussures avant de grimper parmi le clapier. Mes lecteurs assidus saisiront la coïncidence car la jeune fille ne s'esquinte jamais que le petit orteil gauche et ce n'est pas la première fois !
En se faufilant sous les filins tendus au sol, Leslie aperçut un objet glissé à un endroit où nul n'aurait jamais été censé l'apercevoir. La plaque de cuivre d'une douzaine de centimètres de diamètre était gravée d'étranges inscriptions cabalistiques recto verso et recouverte d'un vernis bon marché. Aucun des membres de l'équipe fut capable de déchiffrer le message, mais je m'empressai de photographier l'objet, des fois qu'il disparaisse pendant la nuit. Sommes-nous sur les traces de Belphégor ou est-ce un signe de piste des fondus du Da Vinci Code ? Le disque a-t-il été déposé par les ouvriers italiens lors de la construction du monstrueux aquarium ou était-ce un détracteur du sulfureux Blanquet qui y avait exposé des poupées nues pour Toy Comix, comment le savoir ? Si l'un ou l'une de mes lecteurs peut nous mettre sur quelque piste, nous lui en serons grandement gré. En attendant, personne ne sait quoi faire de cet objet ésotérique que nous n'avons su que dissimuler à notre tour aux yeux des visiteurs de passage...