Pendant les jours qui suivent, Ilona et Max se retrouvent dans le container et s'aiment intensément. Elle a trouvé un moyen d'échapper aux corvées en s'inventant une nouvelle activité, l'analyse de la flore en milieu critique. Les autres roupillent le plus clair de la journée. Ils n'ont aucun sujet d'étude à se mettre sous la dent et continuent de s'immuniser contre un agent abstrait, probablement le prétexte à une opération beaucoup plus dangereuse pour leur santé. En rasant sa barbe pour de bon Max s'est considérablement rajeuni. Il se laisse enfin aller dans les bras de sa nouvelle amie. Lui contant sa dérive par le menu, il en arrive à sa visite chez le cartomancien au maillot rayé. Ilona saute au plafond. Le jeu est époustouflant. Max se rend-il compte de ce qu'il a tiré ? C'est son histoire que les cinq cartes révèlent.
« Le Diable, favorable d'un point de vue matériel, indique une route toute tracée vers l'ascension sociale. La sincérité n’est pas son fort. À celui qui en accepte les inconvénients, la carte présage la réussite, souvent par des chemins auxquels il ne s'attend pas. Elle lui prodigue un rang élevé dans la société, et satisfait son appétit sexuel ! »
Ils partent du même rire.
« Attends, fait-elle redevenue sérieuse, il faut payer très cher les bienfaits de cet arcane. Si les énergies ne sont pas correctement canalisées, voire transcendées, l'avenir peut s'avérer difficile et t'isoler de tous...
La Justice veille. Nous ne pouvons progresser qu’après avoir compris nos erreurs et payé le prix. Incarnant nos propres juges, nous ne pouvons rien effacer de nos actes ni de nos pensées. C'est moral, non ? Il faut savoir assumer le passé sans nostalgie. La Justice ne rime pas uniquement avec cette exigence. Si elle suggère aussi la création de pensées positives, il faut passer à l'acte pour trouver ta propre manière de progresser. C'est l’homme face à lui-même. La descente en soi-même. Tu comprends ? Si cette carte sort en réponse à une question que tu as posée, elle signifie que tu savais déjà quelle en serait l’issue. Elle est donc inutile...
La Papesse te protège. Elle incarne le silence et le secret. Ne néglige jamais ton intuition. Fais-toi confiance. Ne crains pas les trous noirs. Là où règne la nuit, où le désespoir semble empêcher toute échappatoire, réside le point névralgique d'où tout peut recommencer. Total reset. Il faut parfois détruire pour pouvoir reconstruire. Tout raser. On ne construit pas sur des ruines. Sauf à Rome, mais je crois avoir compris que ce n'est pas ton chemin. Dans ces moments, la proximité de la nature est le meilleur remède...
Celui qui tire le Pendu doit se dépouiller pour poursuivre sa route. Le Pendu accède au monde du visible et de l’invisible par ses sentiments et ses désirs. Il faut se détacher des plaisirs terrestres. Le vert du sol n'est pas ta voie, mais le bleu du costume et de la chevelure, le blanc de son immanence lui confèrent la volonté d’agir en toute pureté. »
Elle lui passe tendrement la main dans les cheveux comme si elle le coiffait avec un large peigne africain.
« Le Pendu cherche sa vérité en prenant toujours plus de risques. Sa route n'est pas celle des autres. Elle peut être pénible. Sa générosité l'incite à partager ses connaissances. Sa soif d'apprendre le rend clairvoyant, avec des fulgurances insoupçonnées, une complicité avec l'invisible. Il est hélas prisonnier de ses sentiments. Si matériellement la carte est synonyme d’échec, elle est plus gratifiante sur le plan spirituel. Sitôt le sacrifice consenti, tu retrouveras la liberté, ou du moins son fantôme...
Tu as terminé en tirant la Roue de la fortune. L’animal qui descend symbolise la régression, le désir de se replonger dans l'épaisseur de la matière et vers les profondeurs. Avec cette lame tu es condamné à une constante évolution, au recommencement après l'échec. Toute la vie n'est qu'affaire de cycles. Sont à prévoir de rapides changements de lieu ou de travail, des bouleversements dans ta vie, des possibilités multiples d’action. Elle favorise les gens du voyage ou promet du succès dans les arts, spécialement au théâtre ou au cinéma ! Tu as des projets dans ce domaine ? »
Il rit encore, il rit tout le temps depuis qu'il l'a rencontrée, il y a longtemps qu'il n'avait plus ri comme cela, il rit tant qu'il en pleure, ce sont des larmes fraîches, de saines larmes comme les rivières de son enfance où il allait pêcher les écrevisses à la main. Rien à voir avec les immondices qu'il a croisées sur sa route. Il redevient grave tout à coup.
Ilona termine : « L'ensemble est une remise en question radicale, une plongée dans l'inconnu. Tu ne pourras jamais plus vivre comme avant. Tu dois te dénuder pour poursuivre ta route, retrouver ta liberté. Pour affronter le gardien du seuil, tu es aidé par la Papesse, mais la Justice, le Pendu et la Roue de la fortune ne te laissent aucun choix. L’heure n’est plus au volontarisme que l'Empereur représente. Viens ici, mon petit troufion ! »