Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt vient de réaliser l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui sera bientôt téléchargeable gratuitement dès qu'Étienne aura terminé la mise en page du site Internet qui lui sera dédié.