La fenêtre de ma chambre donne sur le palais du Parlement, 1100 pièces réparties sur 350 000 m², 12 étages et peut-être autant en sous-sol. C'est là que sont entreposées les archives secrètes roumaines, allez savoir ce qui s'y passe aujourd'hui ! Nos lapins joueront au-dessus, dans l'aile ouest, modernisée avec ascenseurs de verre et métal comme il se doit. L'ancienne "Maison du Peuple" construite par Ceauşescu abrite le parlement, le sénat, un espace dédié au totalitarisme et au réalisme socialiste, le siège de la Southeast European Cooperative Initiative, organisation intergouvernementale contre le crime international, et le Musée National d'Art Contemporain où le festival Rokolectiv poursuit ses aventures avec, entre autres, une représentation de Nabaz'mob en début de cette troisième et dernière soirée.


Depuis la terrasse du musée, je photographie le parc désert, contre-champ aussi démesuré que la pâtisserie étouffe-chrétiens de style néoclassique qui nous accueille. La religion a mieux résisté au temps que ce qui fut abusivement nommé communisme. Ce n'est pas un gage de qualité. La corruption et la spéculation immobilière, fruits du libéralisme, s'en accommodent parfaitement. De quoi nous protègent les quatre crucifix qui pendent au pare-brise du taxi ? Il ne manque que la gousse d'ail. Bucarest est au croisement des différentes influences que le pays a subies et c'est aussi ce qui fait son charme. La gentillesse des organisateurs compense les manques techniques qui nous épuisent.
Le soir, pendant que j'écris ces lignes, après avoir discuté au bar avec les musiciens français de Turzi, un groupe de rock psychédélique qui se revendique de mes jeunes années en les réactualisant à leur sauce, j'écoute la retransmission sur TV5 du Dialogue des Carmélites. Cette pure merveille de Francis Poulenc, l'un de mes compositeurs français préférés et largement sous-estimé, interroge la raison d'être et, par conséquent, la mort, notre mort, ma mort... Qui à son tour aura donné son sens à ma vie, son cadre et ses limites... Les mélodies sublimes annoncent les mélodrames (étymologiquement "drame en musique") de Jacques Demy. Un opéra sur la Terreur et sur la foi qui se termine par une exécution, c'est de circonstance ! Avant que le sommeil m'emporte, la guillotine qui fait taire ces femmes les unes après les autres me fait tourner la tête.