70 mai 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 31 mai 2010

J'ai été un peu maladroit


J'ai été un peu maladroit. La semaine dernière, un réalisateur, ami de longue date, est venu me proposer de composer la musique de son prochain film. Au lieu de le rassurer en frimant, je me suis ouvert à lui de mes incompétences et de mes doutes. Quel artiste n'en a pas ? C'est même là-dessus que nous édifions notre œuvre. Évoquant d'éventuelles collaborations musicales comme je les affectionne, je fragilisai encore un peu plus ses propres incertitudes. Mettant ses craintes sur le compte de l'intuition, il m'envoya un mail le soir-même où il faisait machine arrière sans avoir entendu la moindre note de musique. C'est idiot de ma part de ne pas avoir insisté, car si les mots sont trompeurs la musique ne m'a jamais trahi. J'ai toujours su répondre avec des sons, que ce soit en les bruitant avec ma bouche, en sortant quelque vieux document d'archive ou en me collant devant un clavier ou un autre instrument. Plutôt que donner à écouter une composition réalisée pour un autre propos et qui forcément ne peut convenir à l'œuvre à venir, je préfère livrer quelque retour à-brule-pourpoint et corrigeant mon improvisation au fur et à mesure que je perçois les réactions de mon interlocuteur. Je façonne mon ébauche comme une pâte à modeler qui me servira plus tard de modèle, en parfait accord avec les besoins de l'œuvre à sonoriser. J'ai été un peu maladroit. Rien de grave, cela n'affecte pas notre amitié, mais je me pose des questions sur ma sincérité, mise en avant dès le premier contact, avec des personnes avec qui je n'ai encore jamais travaillé.

Ma maladresse me rappelle un de mes textes mis en musique par Aki Onda pour son magnifique album Un petit tour et dont j'avais assuré la direction artistique en 1999. Sur Maladroit on entend Bernard Vitet au bugle, mon synthétiseur PPG et les documents enregistrés par Aki :

J'en reproduis également les paroles ci-dessous pour mes lecteurs sans écouteurs. Le sujet n'a évidemment rien à voir avec l'anecdote récente, mais elles reflètent bien nos timidités ou les quiproquos dont nous pouvons être victimes. Nos propres victimes, s'entend !

J’ai été un peu maladroit
Et je l’ai été trois fois
En tremblant dès que je t’ai vue
En approchant ma main de ta joue
En ne comprenant pas le mouvement de tes lèvres
J’ai été un peu maladroit
En n’osant pas te regarder dans les yeux
En faisant comme si de rien n’était
En te laissant partir sans avoir dit les mots
J’ai été un peu maladroit
Te frôlant j’ai cru que tu m’avais touché
En te touchant je me suis affolé
En t’embrassant j’ai évité la bouche que tu me tendais
J’ai été un peu maladroit
Je n’ai pas vu tes yeux
N’ai pas senti ta main
Ni la pression de tes baisers
J’ai été un peu maladroit
Car dans tes yeux j’ai rêvé de me perdre
De ton visage éprouver la tendresse
Et j’ai simplement cru que tout était compliqué
J’ai été un peu maladroit
J’ai dû l’être plus de trois fois

dimanche 30 mai 2010

Le couteau suisse de la vidéo téléchargée


Étienne m'a indiqué un lecteur multimédia permettant de regarder n'importe quel format vidéo sans ordinateur directement depuis un disque dur. Il s'agit d'un petit boîtier épais comme deux porte-feuilles, avec dedans à peine 100 euros ! Soi-disant particulièrement adaptés, les disques portables MyPassport se branchent en USB2 (ici un 640 Go rouge) et l'affaire est dans le sac, mais n'importe quel autre disque dur fonctionnerait en USB2. Ne posédant pas de matériel HD, j'ai branché le Western Digital WD TV HD Media Player en composite sur un vidéo-projecteur ou un écran télé classique (un câble avec sortie en 3 RCA est livré avec, ainsi qu'un branchement composant, mais pas de raccord HDMI pour le Full HD, paraît-il renversant). J'ai tenté vainement de me connecter à YouTube bien que je m'en fiche, il faudra donc que je me plonge dans le mode d'emploi. Une télécommande permet de surfer parmi les films, les photos ou les musiques. On peut aussi connecter directement un appareil-photo, une caméra ou quelque engin du troisième type. Ne pouvant profiter de l'image en 1080 pixels du Full HD, j'ai tout de même branché le son en optique pour une qualité exceptionnelle. Les formats reconnus sont, pour la musique, MP3, WMA, OGG, WAV/PCM/LPCM, AAC, FLAC, Dolby Digital, AIF/AIFF, MKA... Pour les images, JPEG, GIF, TIF/TIFF, BMP, PNG... Et enfin, pour la vidéo, MPEG1/2/4, WMV9, AVI (MPEG4, Xvid, AVC), H.264, MKV, MOV (MPEG4, H.264). Il lit aussi les playlists PLS, M3U, WPL et les sous-titres SRT (UTF-8). Ce n'est pas forcément aussi pratique qu'un ordinateur, mais beaucoup moins cher. Pour me convaincre, Étienne comparait ce lecteur Full HD à un VLC en hardware !

À l'écran, Chameleon Street de Wendell B. Harris Jr. (1989).

samedi 29 mai 2010

Quand le livre s'inspire des médias numériques


Ce n'était plus un secret. C'est enfin officiel. Les éditions volumiques sont en ligne, sur site, sur blog, avec force vidéos et images fixes pour illustrer de manière "parlante" le projet révolutionnaire d'Étienne Mineur (cofondateur et directeur artistique du studio de création graphique incandescence en 2000, dont le blog dédié au graphisme est incontournable et qui l'enseigne avec passion à l'ENSAD et e-Artsup à Paris ou la HEAD à Genève) et Bertrand Duplat (cofondateur du studio de création industrielle Absolut Design en 1990 et en 1993 de la société Virtools dont le logiciel 3D temps réel est une référence). Cette nouvelle maison d'édition est "dédiée au livre en papier considéré comme une nouvelle plateforme informatique mais aussi un laboratoire de recherche sur le livre, le papier et leur rapport avec les nouvelles technologies." Les premiers exemplaires annoncés pour l'automne seront forcément à tirage limité, mais on se prend à rêver en compulsant le catalogue dont les titres s'accumulent comme autant de promesses d'émerveillement : Le livre qui tourne ses pages tout seul, Le livre qui disparaît, Labyrinthe (livre à lecture combinatoire), Duckette (livre à papier réactif)...
Le jeu Pawn utilise des pions physiques que l'on pose sur l'écran de l'iPhone pour générer des dialogues en phylactères. Le téléphone portable peut aussi devenir lui-même le pion interactif d'un jeu de plateau lorsqu'on le place sur la carte des océans de Pirates, il se souvient alors de ses aventures passées. The Night of the Living Dead Pixels s'inspire directement du film "La nuit des morts-vivants" de George Andrew Romero à travers des combinatoires de pliage et l'utilisation de codes en 2D cachés dans les images pour prolonger l'aventure en générant des vidéos originales sur son téléphone portable. Plus simple technologiquement, Kernel Panic est un recueil de captures-écran de bugs informatiques, sérigraphié comme le précédent. Meeting Zombies ne sera hélas tiré qu'à 5 exemplaires signés et numérotés, mais sa lecture en volume sur pages transparentes comme Paradoxales augure de futurs développements excitants comme le reste de la collection, car tout cela coûte évidemment cher dans un premier temps alors que les deux auteurs rêvent de vendre rapidement leurs livres interactifs à des prix accessibles.
Après avoir influencé tant d'œuvres informatiques, le papier s'inspire à son tour des médias numériques pour une expérience émotionnelle et tactile offerte par les récentes découvertes. J'y suis d'autant sensible qu'il est question que j'apporte mon savoir faire sonore à certains des futurs ouvrages dont la beauté graphique ne saurait se passer dès lors que le papier bascule dans l'ère de l'audio-visuel. À l'heure des échauffourées entre les médias traditionnels et les tablettes numériques comme l'iPad, les éditions volumiques répondent astucieusement en proposant un pacte inventif entre le papier et l'ordinateur.

vendredi 28 mai 2010

La fille de la mer


Un jeu de mots charmant donne son titre au spectacle monté par Elsa Birgé et Michèle Buirette à l'occasion du festival Si la mer monte dont Michèle a assuré la programmation artistique. Ma fille et sa mère ont donc créé ensemble La fille de la mer dimanche dernier à la pointe de l'île Tudy, Finistère Sud, sous un soleil brûlant, devant une foule conquise. Depuis quelques années Michèle chante en solo les paroles qu'elle compose en s'accompagnant au piano à bretelles tandis qu'Elsa vole et nous venge dans des airs aussi slaves que parigots. Ayant acquis sa réputation de contorsionniste sur trapèze au sein du fameux Vrai-Faux Mariage de La Caravane Passe, elle ajoute aujourd'hui ses cordes vocales à son arc céleste. Mon enthousiasme peut s'épanouir sereinement depuis qu'elle en a fait sa profession, heureusement plus prudente qu'enfant lorsqu'elle grimpait sur son trapèze pendant que nous avions le dos tourné. Combien de fois est-elle tombée dans sa chambre pour avoir désobéi ? Pire, de cette même cale de l'île Tudy qu'elle arpente depuis qu'elle est née, elle fit son plus beau vol plané, quatre mètres de haut avec atterrissage sur la tête et le vélo en prime qui l'achève pour l'avoir enfourché pieds nus, sans freins et trop grand pour elle alors que nous étions partis faire des courses à Pont-L'abbé... Une des pires nuits de ma vie. Ou à l'École du Cirque époque Annie Fratellini : "ne vous inquiétez pas, votre fille est avec son professeur à l'Hôpital Robert Debré, mais elle n'a rien..." Elle avait hurlé à sa copine de lâcher la longe pendant qu'elle faisait le saut périlleux ! Les enfants finissent par comprendre que nous nous inquiétons pour eux simplement pour avoir commis nous-mêmes toutes ces bêtises quand nous avions leur âge et avoir eu la chance d'être passés au travers. Elsa pratique aujourd'hui sa discipline avec le même sérieux que n'importe quel professionnel évitant de mettre les ciseaux dans la prise pour vérifier s'il y a du courant. Le spectacle qu'elle a imaginé avec Michèle est à la fois drôle et émouvant. Certains îliens avaient les larmes aux yeux de voir voler et chanter celle qui fut à six ans une miraculée de la grève. En regardant le film, j'ai adoré les arrière-plans tatiesques derrière le chapiteau sans voile comme cette barque de rameurs suant sang et eau qui traverse le champ ou la grosse dame reculant dangereusement vers les rochers pour prendre la photo-souvenir, sans parler d'Erik oubliant qu'il filme et entonnant en chœur et complètement faux "si la mer monte..." tandis que les deux filles font leur numéro, Elsa palmée et masquée, Michèle virevoltant autour du portique. Si le cadre était idyllique on peut maintenant leur souhaiter d'autres cieux où continuer le spectacle...

jeudi 27 mai 2010

Lussier, Frith, Goebbels et un T-shirt


J'écoute les trois disques rapportés de Victoriaville en commençant par l'album de chansons de René Lussier intitulé Le prix du bonheur (La Tribu TRICD-7236). L'accent québécois me fait le même effet qu'à la plupart des Français, il m'enchante. René Lussier, présent sur notre Opération Blow Up enregistré en 1992, joue ici le jeu de la chanson francophone, simplement, s'accompagnant à la guitare dont il est par ailleurs virtuose. Il est l'auteur du chef d'œuvre Le trésor de la langue qui représente l'une des meilleures approches de la problématique québécoise tous genres confondus ; y sont orchestrées des mélodies parlées et soigneusement relevées, avec entre autres le célèbre discours du Général de Gaulle à Montréal accompagné façon Hendrix. Ici les paroles tendres de Paule Marier collent aux mélodies hawaïennes lorsque René ne fait pas le crooner à claquettes.
Il y avait tant de disques exposés dans les trois points de vente du festival que je ne savais pas où donner des oreilles car aucun système ne permettait de se faire une petite idée sur les musiques inouïes que contenaient autant de pochettes. Je ne pouvais qu'espionner les amateurs se remémorant les précédentes éditions du festival tout en excluant les merveilleux disques que je possède déjà. Ainsi j'acquière Ragged Atlas de Cosa Brava, composé et dirigé par Fred Frith (Intakt CD 161), un petit bijou enregistré en 2008 où le guitariste et bassiste est accompagné par Carla Kihlstedt (violon), Zeena Parkins (accordéon, claviers), Matthias Bossi (percussion) et The Norman Conquest (manipulations sonores), plus le tabliste Anantha Krishnan au mridang sur un morceau. Tous et toutes utilisent largement leurs voix pour cette œuvre riche et variée, dynamique et colorée, une des plus belles réussites de Frith avec le fameux film Step Across The Border, film documentaire incontournable dont il est le héros et qui fit également l'objet d'un très bel album. Sa production discographique est telle qu'il est bon de savoir lesquels conseiller ! Certaines pièces sont ici dédiées à Albert Marcœur, Rahul Dev Burman, Amanda Miller, Einstein, Tom Zé... C'est très écrit sans que ce soit raide, défaut courant dans le rock progressif, mais nous avons à faire avec le haut du panier, un univers très personnel, pop romantique héritière de Robert Wyatt et de la musique traditionnelle britannique, plus efficace que les tentatives "symphoniques" de Frith, contrairement à Heiner Goebbels qui s'est épanoui en passant de la musique improvisée à l'écriture orchestrale.
Une ultime démonstration nous en est offerte avec The Italian Concerto (i dischi di angelica 024) où trois des quatre pièces qui le composent ont déjà été enregistrées sur Black on White et Surrogate Cities, mais dans d'autres interprétations. Yoichi Sugiyama dirige l'Ensemble Icarus et Franck Ollu l'Orchestra del Teatro Communale di Bologna, avec en solistes Chris Cutler (batterie et électronique), Sira Djebate (voix), Boubacar Djebate (kora), Johannes Bauer (trombone), Jocelyn B. Smith (mezzo-soprano) et le compositeur (piano et percussion). Heiner Goebbels est un de mes compositeurs européens préférés parce qu'il a su transmuer la force vitale de l'instant en écriture intelligente et revendicative. Cela ne s'est pas toujours effectué dans les règles de l'art, mais le résultat est passionnant. Ma réserve porte sur la méthode : pendant un mois Goebbels notait les improvisations débridées de ses futurs interprètes, faisait le tri pour leur faire lire ensuite leurs interprétations qu'il avait figées, générant un sentiment de vol et un exercice sado-maso des plus retors ! L'aspect concertant des pièces rassemblées dans The Italian Concerto rappelle le passé de performeur de Goebbels confronté à son écriture épique pour construire un univers critique où le réel ne se dissout jamais totalement dans l'imaginaire. Sa sono mondiale n'a rien d'une démarche impérialiste. Les chocs culturels qu'il met en scène produisent un authentique remix dont je reconnais les préoccupations. C'est certainement la démarche avec laquelle je me sens le plus en sympathie.
J'ai acheté le même nombre de disques que j'en ai vendus. Pas lourd ! Façon de parler, parce que le supplément de bagage aurait pu me coûter ma chemise si je n'avais placé ma valise en même temps que celle d'Antoine sur le tapis de pesée à l'aéroport de Montréal. Une boîte de sirop d'érable de 540 ml pèse tout de même près de 800 grammes. À faire suivre d'une petite multiplication et les 23 kilos sont vite dépassés ! Tous les musiciens savent que l'on ne vend des disques que s'ils reflètent la soirée, et comme je ne m'y suis jamais résolu, préférant considérer que c'était deux choses différentes avec leurs propres logiques, spectacle vivant d'un côté et disque-objet de l'autre, j'ai regardé les T-shirts du festival avec nos lapins partir comme des petits pains...

mercredi 26 mai 2010

Ombres et lumière


Dehors gronde le tonnerre tandis que les glaçons tombent automatiquement dans le bac du congélateur. Les deux sons se confondent. Nous avons encore profité du jardin à déjeuner, mais les beaux jours auront été de courte durée. Sun Sun est allé chercher sa tronçonneuse avant qu'il pleuve et nous avons coupé le grand conifère mort qui nous protégeait depuis dix ans du voisin de derrière. Je ne sais pas quoi planter dans cet espace à l'ombre alors que nous aurions justement besoin de quelque chose qui grimpe et absorbe les sons. Il va falloir trouver une solution. En attendant la coupe produit un carré de lumière. Pourtant je préfère les sous-bois à la pelouse, surtout à Paris ! Sur le mur, la vigne, qui ne donne plus de raisin depuis plusieurs années à force d'être asphyxiée par les autres plantes et leurs ombres, dessine un visage. Le nez est trop petit pour être celui d'Hitchcock, aussi opterais-je plutôt pour Léon-la-Terreur. Chaque fois qu'un arbre meurt, je suis déprimé. Le couper me rend coupable à mon tour. Pourquoi n'ai-je pas su le sauver ? Je vibre en sympathie avec ce qui pousse. Avant qu'il ne dessèche, ses épines étaient si douces que je pouvais m'en badigeonner le visage en l'enserrant dans mes bras. Son volume respirait tel un poumon élastique et son parfum inspirait une délicate euphorie. Il me faut bien cela pour préserver mon zen quand s'ourdissent d'assassins complots dont les retombées nous éclaboussent malgré nous et que les retards s'ajoutent les uns aux autres jusqu'à former un monticule de points d'interrogation inextricables. À côtoyer des entreprises j'ai parfois l'impression de vivre L'argent des autres de Christian de Chalonge. J'attends patiemment que les nœuds se défassent ou que de nouveaux navires accostent à mon quai. Je n'ai même pas besoin de regarder l'horizon, j'attends que chantent les sirènes à leur approche.

mardi 25 mai 2010

Jet lag maîtrisé


La mélatonine reste interdite à la vente en France. J'en prends si peu que la date d'expiration m'oblige à en acheter un nouveau pot chaque fois que je vais aux États Unis ou au Canada. L'hormone du sommeil permet de recaler l'horloge biologique après un long voyage en court-circuitant le jet lag. L'effet du décalage horaire est déjà atténué si l'on se cale sur les horaires du pays d'arrivée, mais prendre une gélule de 300 mg à 18h la veille et une autre à la même heure lorsque l'on a atterri, donne un coup de pouce salvateur. Une boîte de 100 gélules coûte environ 15 euros et permettrait donc plus d'une vingtaine d'aller et retour !
J'avais bien besoin de me reposer après une semaine de concerts tardifs et de levers tôt. De plus je dors très difficilement dans l'avion. Si j'arrive à m'endormir un haut-parleur me réveille aussitôt en me hurlant dans les oreilles qu'un repas va être servi ou qu'il faut attacher sa ceinture parce que nous traversons une zone de turbulences. Rentré à la maison, j'ai toujours mille affaires à régler et la journée fut bien remplie par la visite d'amis en famille et une réunion urgente de travail. Le soir, j'étais ratatiné et m'endormis facilement. Le tout est de rester au lit jusqu'à mon horaire habituel. La mélatonine fit son petit effet et je reprends ainsi mon rythme de folie composé d'inquiétante hyperactivité et d'épanouissement radieux entamé chaque matin ici-même.

lundi 24 mai 2010

Instruments-jouets, mieux que le réel !


L'Allemand Eric Schneider, camarade d'expo au Musée des Arts Décoratifs où nous présentions Nabaz'mob l'an passé, publie un très joli ouvrage de 196 pages, épais et carré, avec une préface de DJ Spooky, chez Mark Batty à New York. Toy Instruments: Design, Nostalgia, Music est un livre d'images où le bas de page donne le nom et la marque, avec le lieu et la date, de chaque trésor de sa collection d'instruments électroniques, plus un petit commentaire personnel. Les photos montrent les instruments, leurs boîtes, des gros plans, classés par chapitres cocasses : Kling Klong, The One and Only, For Girls and Boys, Headache Included, Darling It's PlayTime!, 1+1=Beep, Touch Me Baby!, Listen To The Time, Oh Karaoke, Nerds Welcome, Hit Me, Sooo Cuuute, etc. La suggestion onirique est au poil, produisant une irrésistible envie d'entendre comment ça sonne ! La chose est merveilleusement possible grâce au logiciel Acoustic Toy Museum édité par les Français d'Univers-Sons. Si le livre coûte moins de 20 euros et si les 250 instruments jouables avec n'importe quel clavier midi et triturables à merci vous feront plonger de 299 euros, c'est qu'enregistrer soigneusement 15 000 échantillons ne fut pas une mince affaire. Le livre nous fait rêver, avec l'appli il devient réalité. Erik Satie aurait probablement calligraphié le slogan :
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Merci à Dorothée Charles, messagère z'ailée.

dimanche 23 mai 2010

Au pied des Appalaches


Il était moins une que je ne vois rien des Appalaches. Dimanche après-midi, Suzanne me propose de me montrer la Petite Suisse avec son char. Certains disent que ce nom vient du paysage, d'autres parce que de nombreux Suisses ont acheté des entreprises dans cette région où semble régner la prospérité. Nous n'avons jamais vu de notre vie autant de voitures de sport décapotables, des rouges, des jaunes, des oranges, des roses, des blanches, des grises, des noires, des vertes et des pas mûres, toutes lustrées comme si elles sortaient neuves du garage, pareil avec les Harley customisées à mort, le tuning étant une coutume locale quel que soit le véhicule ! Chaque fois qu'on nous emmène, le conducteur ou la conductrice s'excuse que son automobile est sale sous prétexte qu'il y a trois brins d'herbe sur le tapis de sol ou un peu de poussière sur le tableau de bord. La richesse apparente provient aussi des industries agricoles qui polluent les sols et des bourgeois de Montréal venus s'installer à la campagne, seulement une heure trente de route. Dans ce qu'on appelle aussi le Petit Montréal les fils et filles à papa montent et descendent le boulevard Notre Dame Est pour faire admirer leur bolide ronronnant. Pendant les six mois d'hiver, l'auto cède la place à l'écran géant vidéo. Pourtant la misère existe, un tiers de la population est en difficulté, sans évoquer les Amérindiens dans une situation catastrophique. L'itinérance se réfère aux SDF, mais elle est camouflée. L'errance est plus sporadique. Ce sont les termes que Suzanne emploie pour parler du travail qu'elle quitte pour aller vivre dans une des îles de La Madeleine, vers St-Pierre-et-Miquelon. Dans la formidable coopérative bio dont elle est présidente, certaines herbes sont notées "non irradiée" et son jardin rassemble 70 espèces de plantes médicinales. L'ambiance aseptisée de la petite ville contraste avec certaines aberrations comme l'égout à ciel ouvert de petites communes proches dans la montagne. Pendant tout notre séjour nous n'avons vu absolument aucun téléphone portable. J'ai raté deux concerts pour descendre à la rivière que surplombe la maison de Guylaine Walsh. Elle coud à la main de ravissants chapeaux-cloches avec des matières recyclées, essentiellement des cravates d'hommes. La récupération préoccupe les écolos du coin, berceau du mouvement. Le soir, nous rentrons pour le concert de Catherine Jauniaux, Malcolm Goldstein et Barre Phillips suivi de celui de l'octogénaire Bill Dixon avec, entre autres, quatre trompettistes. La voix de Jauniaux se fond aux cordes frottées et Tapestries for Small Orchestra m'emporte délicatement dans les bras de Morphée. Nous devons rejoindre Montréal pour nous envoler en fin de journée, mais avec le décalage horaire nous ne serons à Paris que lundi matin.

samedi 22 mai 2010

Disparition de l'horizon


Les Québecois tutoient naturellement, comme en écho au you américain, et au fur et à mesure que le festival avance des liens se tissent. On se trouve des affinités critiques avec Érick d'Orion, on échange des compliments vestimentaires avec Charlemagne Palestine, on apprécie la délicatesse d'Éric Normand et de ses musiciens, on apprend les ressorts du pays avec Patrice Daigneault, on partage l'écoute et la bonne humeur avec tous. La seconde journée de concerts avait délicieusement commencé en quatuor avec un homard chacun pêché aux îles de la Madeleine. Je m'aperçois que j'ai été un peu injuste avec les possibilités culinaires de Victoriaville puisqu'en nous appliquant nous trouvons chaque fois un restaurant acceptable avant de filer écouter nos camarades.
La programmation montre une nette inclination au rejet des articulations par la majorité des musiciens entendus jusqu'ici. Le drone exagérément amplifié et privilégiant les fréquences basses tient le haut du pavé au détriment de la dialectique. Les orchestres adoptent la synchronicité redondante. Même les chorus mélodiques sont remplacés par des continuum rythmiques. Ces longs tunnels sans début ni fin sont-ils le reflet de la conscience politique et sociale des musiciens actuels ? La remise en question des structures n'est-elle pas garante du potentiel révolutionnaire de l'art ? S'accrochant à une partition apprise par cœur ou feignant d'improviser, les musiciens prennent de moins en moins de risques, réduisant les effets de surprise à néant.
Pareillement, les vidéos projetées derrière les musiciens relèguent le cinéma expérimental à un genre où l'effet "found footage" prétend jouer la carte plastique, le flou, le noir et blanc et le chaos envahissant tous les films. Seules les ombres minimalistes de Manon de Pauw sur les rideaux noirs qui lui servent d'écrans échappent à cette monotonie. Intégrant dynamiquement le tissu et montrant que la simplicité des moyens mis en œuvre peuvent accoucher d'une véritable émotion, elle fait patienter les spectateurs entre les changements de plateau.
À chaque nouveau groupe montant sur scène, j'espère que l'avenir me donne tort.

vendredi 21 mai 2010

Sortis d'un chapeau


Si je ne dis rien, on va croire que ce fut un bide, alors je vous rassure, les petits lapins ont fait un magnifique concert, éclairés comme jamais, dans une belle disposition scénographique ! Juste avant, j'ai adoré jouer Mascarade bien qu'il soit crevant d'improviser sur un matériau dont on ignore tout à l'avance : si nous sommes censés transformer les informations radiophoniques en musique, nous n'avons rempli que la moitié du contrat que nous nous étions fixé à nous-mêmes, à savoir que la musique était enfin là, timbre clair, élégante retenue, tandis qu'un nouvel aléa nous empêcha de nous connecter aux infos. Le soir de l'avant-première à Paris, nous avions déjà été ennuyés par la diffusion omniprésente d'un match de foot. Cette fois, l'antenne de Kyq 95.7, plantée sur le toit du Cinéma Le Laurier où nous ouvrions le Festival de Victoriaville, écrabouillait toutes les autres stations, reléguant Antoine à diffuser une création radiophonique contemporaine minimaliste et mon poste déversant une muzak non-stop sans paroles ! Extirpant quelques lapins de nos chapeaux, nous avons jonglé avec ces impondérables (de lapin, comment se priver du moindre jeu de mots lagomorphe ?) tout en restant frustrés de n'avoir pas pu exposer le sens même de l'œuvre. Un nouvel ajustement s'avère nécessaire pour jouer enfin nos rôles de présentateurs plutôt que nous cantonner à des tours de magie, certes seyants mais pas assez critiques à notre goût !


Dans l'après-midi, nous avions marché au milieu des installations sonores accrochées dans le parc de verdure jusqu'au "solo de musique concrète pour 6 pianos sans pianiste" d'Érick d'Orion hébergé par le Théâtre Parminou. Des moteurs désaxés font vibrer les carcasses de récupération, dans l'esprit de la WARPS (World Association for Ruined Piano Studies). Bien que les deux haut-parleurs jouant des phrases de Sun Ra, Ellington ou Ligeti altéraient le concept derrière le 5.1 acoustique, l'ensemble nous emballa.


Après que nous ayons rangé toute la marmaille dans ses malles et collé dessus l'adresse de Luminato à Toronto où auront lieu les prochaines représentations de Nabaz'mob du 12 au 20 juin, nous sommes allés écouter au Colisée la création pour grand orchestre du Montréalais Sam Shalabi qui avait déjà commencé, free pop égyptienne envoûtante portée par cinq chanteuses et une vingtaine de musiciens, mais elle demande encore à être affinée, desservie ici par un mixage bancal handicapant les nombreux instruments acoustiques. Pour finir la soirée, il est 3 heures du matin quand je tape tape tape ces lignes, la Française Marylise Frecheville tape tape tape ses fûts, cymbales et métalophone en symbiose avec le guitariste québecois Éric Boros. L'énergie communicative de leur duo intitulé Vialka nous empêcha de fermer les yeux et les oreilles. Cela fait toujours plaisir de voir une fille jouer d'un autre instrument que du piano, de la flûte ou de la harpe. La demoiselle donnait l'impression de ne pas y toucher tant elle virevoltait avec humour et précision d'une séquence rythmique à une autre. Sa voix rappelait par instants Yma Sumac et son camarade découpait le temps en tranches comme autant de chapitres d'une histoire sans paroles. Je n'avais plus qu'à rentrer à l'hôtel, développer mes photos numériques et résumer tout cela avant d'ajouter quelques liens. Je me couche alors que mes lecteurs outre-atlantique sont déjà debout.

jeudi 20 mai 2010

Lapins aux si rodés rables


Avec les éclairages concoctés par nos amis québecois, l'opéra Nabaz'mob a des allures wagnériennes. N'y reconnaissez-vous pas Siegfied dans les Nibelungen de Fritz Lang ? Si le premier mouvement jouit de plus de lumière ("Mehr Licht !", souffle Goethe sur son lit de mort) et ressemble à une féérie de Noël, le second prend une coloration inquiétante et dramatique avec les leds rouges des cent lapins sur fond de bois de bouleaux. Le troisième est carrément kitsch, mix au matos d'un nouveau baroque où les faisceaux éclairent la meute décollant comme dans un film de science-fiction ou, pour rester chez Lang, clin d'œil à Metropolis. Du sage club du troisième âge il ne partit au début qu'un seul flash photo de désobéissance, tandis que les 360 gamins de la représentation scolaire d'hier après-midi rivalisèrent de questions drôles et pertinentes à l'issue du spectacle. Leurs accompagnateurs ne savaient plus comment les arrêter pour qu'ils remontent dans leurs autocars.


À l'extérieur du théâtre les lapins sont partout. Dans la vitrine de chaque magasin est scotchée l'affiche de la 26ème édition du FIMAV. Dans les rues flottent des banderoles et des oriflammes tandis que des pancartes invitent à la fête sur tous les grands axes de Victoriaville. Michel Levasseur nous offre à chacun un beau T-shirt, devinez avec quoi dessus ? Pas d'erreur, nos bestioles se reproduisent comme des folles.
Après avoir installé Mascarade qui ce soir tiendra lieu de première partie à Nabaz'mob, nous dînons de viande fumée de bison et wapiti accompagnée de chips maison croquantes et de frites en spirale saupoudrées de sel et vinaigre. Cet intéressant condiment est, paraît-il, uniquement achetable à la boutique vidéo Super Choix ! Pour le dessert je commande une glace au yoghourt frite, nappée de confiture de bleuets appelés chez nous myrtilles. En rentrant à l'hôtel, nous croisons un nombre hallucinant de voitures de sport décapotables et autres bolides de luxe qui contrastent avec l'odeur de purin que le vent porte de temps en temps. Certaines automobiles sont équipées d'un déflecteur à mouches, bande de plastique noire se fixant sur le capot avant. Notre clapier complète ce sacré bestiaire !

mercredi 19 mai 2010

Stepford Husbands


Tabernac', l'hôtel est situé à plus de trente minutes à pied du centre ville. C'est que tout le monde a un volant entre les mains, sauf nous et les jeunes adolescentes que nous croisons sur les terre-pleins sans trottoir nous menant à travers une petite ville de province apparemment sans histoire. À leur âge, les gars seraient-ils les seuls motorisés ? Elles ont toutes la même taille, le même look, le même profil. Nous apercevons un match de football féminin derrière un grillage. Leurs corps, petits et trapus, semblent formatés. La junk-food, les chips et les frites suffiraient-elles à expliquer le phénomène ? C'est un peu dur pour des Français. Une pseudo cuisine italienne s'est imposée sur tout le globe et je rechigne à replonger dans la poutine. Les maisons individuelles sont dépourvues de barrière et le gazon est bien tondu. Tout semble lisse, le temps ralenti. La nuit, les habitants ne se transformeront pas en loups-garous, mais l'ambiance nous fait irrésistiblement penser au film Stepford Wives ou à son remake. Les clones remplacent les personnages du réel. Question de confort. Les retraités prennent le soleil devant leur porte. Les gamins sont à bicyclette. Les bolides ronronnent d'un joli bruit sur Notre Dame Est, camions rutilants avec tuyaux chromés et guirlandes de lumière, Harleys plus briquées les unes que les autres, pick-ups mastodontes, drôles de buggys entre moto et char, autocars longs comme le bras, coffres biscornus, décapotables trendy aux couleurs flashy, on dirait qu'il n'y en a que pour la bagnole. Si les Québecois sont très gentils, les femmes m'ont toujours paru plus dynamiques. Après le souper (ici on appelle les trois repas déjeuner-dîner-souper) nous rentrons en taxi et nous écroulons de fatigue. Vivement que le festival débute !


Grâce à Internet, nous trouvons enfin de quoi manger léger, salades ou sushis amoureusement préparés. Le lendemain, nous comprendrons que le centre-ville est le quartier de l'université, mais qu'il faut s'excentrer pour rencontrer quelque chose qui ressemble à une animation urbaine. Dans d'immenses centres commerciaux entourés de parkings s'étalent restaurants, supermarchés, boutiques et tout le toutim, justifiant donc cette satanée automobile. Ici on ne marche pas, on roule. Toute cette journée de magasinage, nous ne croiserons pas un seul individu à pied. Si nous n'étions pas vêtus "au chic parisien", on nous prendrait pour des SDF ou des routards. Pourtant, aucun n'est apparu à l'horizon de cette Suisse des grands espaces. Depuis le bas-côté où nous enjambons des milliers de pissenlits en fleurs je prends les clichés de trois maisons côte à côte. On dirait la vitrine d'une agence immobilière. Les variations ne sont que de surface. Aucune fantaisie ne semble possible dans ce monde tiré au cordeau. Vivement que le festival débute !


Le soir, nous rentrons à l'hôtel sur les genoux, mais l'opéra est en place au Cinéma Le Laurier. Bien que nous ayons commencé en retard, l'équipe technique a su leur construire de magnifiques gradins à quatre niveaux, installer des lumières de sous-bois et une sonorisation de 28 microphones digne d'un orchestre symphonique. Jamais nos lapins n'auront été confrontés à autant de matériel. Nous garderons l'ambiance forestière pour le second mouvement éclairé chaudement par les côtés, les gobos et les autres effets pour le dernier, donc les couleurs froides pour attaquer délicatement... Comme d'habitude j'improviserai le mélange, sauf que cette fois les possibilités sont démultipliées. Demain en début d'après-midi, nous jouerons devant 350 scolaires en avant-goût du festival. L'impatience grandit.

mardi 18 mai 2010

Atlantique


Air Transat est une compagnie d'aviation low cost qui nous transporte à Montréal. Son nom ne vient pas d'une chaise longue. Les sièges étroits sont en skaï bleu nuit, mais pour dormir le lot couverture + oreiller est à 7 $ canadiens. Si vous préférez rester éveillé, ou comme moi qui dort rarement en avion, surtout en partant à 9h20 pour arriver à 10h45 heure locale. Les écouteurs sont facturés 2 $, soit 1,50 €, mais j'en ai trouvé deux paires sur le siège laissés par les précédents voyageurs. Déjà le Terminal 3 de Charles De Gaulle ressemblait à un grand hangar avec le minimum de confort (dont un café au goût salé !). Heureusement j'adopte la technique de Françoise en squattant une rangée de sièges vides avant décollage, ce qui nous laisse, à Antoine et moi, les coudées franches ! Prévoyant, j'ai également emporté dans mon sac d'ordinateur, un masque, des boules Quiès, un oreiller gonflable et un gilet chaud. La nuit précédente a été agitée, j'espérais piquer un petit somme en m'allongeant en chien de fusil sur les trois sièges. Mon insomnie pourrait découler de la capsule de mélatonine que j'ai gobée la veille. En en prenant une 24 heures avant et une à l'arrivée j'aide mon horloge biologique à se recaler. Le tout est d'adopter le rythme local lorsque l'on arrive sous une nouvelle latitude, ce qui consistera cette fois en une très longue journée vu les 6 heures de décalage après un peu plus de 7 heures de vol.
J'ai déjà vu le film. Je somnole. Le son est bon, mais c'est l'image qui m'ennuie. Un Koulechov en abîme. Au fur et à mesure qu'elle s'éloigne, son visage n'a plus la même expression. Comme pour avoir voulu faire bonne figure. Pourtant on peut être partout à la fois, sur tous les écrans du monde, on n'en est pas moins là...
Devant nous un groupe d'aveugles des deux sexes, excités comme des puces, passent tout le voyage à hurler des plaisanteries grivoises. Je me demande en quoi la négation "non-voyants" ou le restrictif "mal-moyant" est moins discriminatoire qu'une affirmation de sa différence. Leur sensibilité à l'espace de la cabine est surprenante. Plus étonnants, les flashs d'appareils photo qui partent de leurs sièges !?
Le temps de rejoindre Victoriaville, nous avons les crocs. Une faim de loup. Je mords le premier que j'attrape.

lundi 17 mai 2010

Go West


Ce matin, nous nous envolerons tôt pour Montréal avant de prendre la route direction Victoriaville où nos lapins nous attendent. Nous espérions pouvoir profiter un peu de la campagne entre deux installations, mais Michel Levasseur nous avertit que les bois sont dangereux à cette saison. Avec l'arrivée de la chaleur les loups descendent et il est hors de question que nous nous y promenions seuls. Lapins et loups ne faisant pas bon ménage, nous éviterons donc de nous affubler des habits du petit Chaperon Rouge et chercherons d'autres distractions avant l'ouverture du Festival qui nous incombe, puisque, jeudi soir, Antoine et moi créerons enfin Mascarade, en première partie de Nabaz'mob...

dimanche 16 mai 2010

Marc Ducret et sa section de Danois pyromanes


La première fois où j'ai été séduit par la musique de Marc Ducret remonte à une douzaine d'années à l'Europa Jazz du Mans en tentet épatant. Je tenais la seconde caméra pour un film d'Agnès Desnos qui ne le réalisa jamais. Les rushes que j'avais tournés n'ont été vus par personne, mais je me souviens de plans dans les loges avec l'Art Ensemble of Chicago dont j'étais particulièrement fier. Le rôle de la seconde caméra peut offrir une grande liberté lorsque l'on sait que la première couvre l'événement. La seconde fois, c'était Le sens de la marche dont Donkey Monkey faisait la première partie au Lavoir Moderne Parisien et que j'ai acheté hier soir en cd. J'avais été emballé par l'écriture de Ducret comme par son rôle vocal dans Triste Lilas, pic discographique de Franck Vigroux et, sur scène, par son jeu de guitariste dans Lilas Triste. Il présentait hier soir au Triton, à deux pas de chez nous, son nouveau quintet composé du saxophoniste basse Fred Gastard au swing dansant, du trombone Matthias Mahler au son cuivré en diable, du cornettiste Kasper Tranberg aux multiples sourdines et du percussionniste Peter Bruun, tous trois du pays de la petite sirène où Ducret a émigré depuis quelques années. Sa musique très structurée laisse la place à d'impromptus moments de grâce et son jeu sur le manche ne cède à aucune facilité. Stéphane Ollivier me faisait remarquer que nous n'avions entendu aucun "plan", rien à voir avec ceux de cinéma, ce sont des poncifs qu'empruntent souvent les solistes dans leurs chorus qui se voudraient improvisés. Si la rigueur et l'électricité caractérisent les compositions plus rock que jazz, les deux rappels surent déployer une tendresse épanouie qui auguraient d'une nuit réparatrice, enfin j'espère.

samedi 15 mai 2010

La Chine vue de travers


Dans Libération du jeudi 13 mai...
Là je m'arrête une seconde en souvenir d'un autre 13 mai place Denfert-Rochereau, j'avais 15 ans et déjà plus toutes mes dents après un accident dans la cour de l'école et 4 germo-sectomies sur celles de la sagesse, c'était un lundi, ma seconde manif après celle du vendredi précédent. Je ne peux jamais évoquer ces deux dates sans remonter le temps. Comme je parlais avec émotion du 10 mai 1968 avec l'excellent et facond boucher de la rue de Noisy-le-Sec qui connaît par cœur toutes les tirades du cinéma français, Charly me raconte que lui non plus ne peut l'oublier puisqu'elle marque son arrivée à Paris depuis sa Croatie natale. Les anniversaires n'ont pas les mêmes significations pour chacun, et si on tient le coup on finira par en avoir 365 par an et 366 les années bissextiles...
Donc jeudi dernier, en avant-dernières pages de Libé, la réalisatrice Isabel Coixet qui fait trôner un baigneur de 6 mètres de haut dans le pavillon espagnol de l'exposition universelle de Shangai, un truc hideux nommé Miguelín, souriant, gazouillant et remuant la tête, ne se contente pas d'étaler son stérile égocentrisme à propos des enfants, elle explique son choix pour "faire passer un message aux Chinois". Et là je cite, parce que cela vaut son pesant d'arrogance et de mépris post-colonial, motivé par une inculture crasse et honteuse : "Au pays de l'enfant unique et du bébé roi, celui-ci fait un tabac ! Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas tout de faire des enfants. Il faut aussi leur donner une bonne vie : la liberté d'expression, l'égalité, l'assurance-maladie, un monde sans pollution, tout ce qui manque en Chine !" Ah, la civilisation ! On croirait entendre les explorateurs découvrant les premiers Pygmées dans les années 20. Quelle condescendance ! En reprenant les termes de sa leçon aux petits Chinois, banalité ressassée à longueur de temps par tous les prétendus tenants de la démocratie, je m'interroge sur le pays où son bébé qui fait des bulles fut construit, puisque, bien qu'espagnol, il est "made in USA". Commençons par le tabac dont la Chine est le premier producteur et manufacturier au monde. Ce n'est pas vraiment la question, d'accord. On s'interrogera par contre sur l'enfant-roi (n'avons-nous pas gâté nos petits princes et nos petites princesses, et ce quelle que soit la classe sociale en comparaison du reste du monde ?), sur l'égalité dans les pays occidentaux où l'écart entre riches et pauvres se creuse sans cesse dans des proportions scandaleuses, sur l'assurance-maladie (la récente réforme obamesque sur la santé est un cadeau aux assurances devenues obligatoires y compris à ceux qui n'en ont pas plus les moyens qu'avant !), sur la pollution à l'heure où la côte sud des États Unis est engluée dans le pétrole BP et où nous continuons à ne rien faire pour ralentir la catastrophe planétaire, et même sur la liberté d'expression où toute notre presse est aux mains du Capital et où les États cherchent à contrôler Internet comme tout le monde (Hadopi n'est que le pied dans la porte, étudiez bien LOPPSI qui pend à nos longs nez !).
Peut-être devrions-nous aussi rappeler à cette dame qui n'a pas inventé la poudre tout ce dont nous avons hérité de ce peuple cruel et inculte : le papier, l'imprimerie, la boussole, le compas, l'horloge, la soie, la porcelaine, le papier-monnaie, le forage, le sismographe, la brouette, le gouvernail axial, le parapluie, l'allumette, les pâtes, la bière, le thé, etc. Aujourd'hui le "Made in China" montre bien l'hypocrisie et le cynisme des libéraux que personne ne force à aller tout faire fabriquer là-bas. Nous profitons des prix en condamnant ce qui les y autorise. L'ultra-libéralisme associé au parti unique fait rêver plus d'un pays occidental en dessinant un modèle qui fait froid dans le dos. Les services de communication de nos états cherchent à camoufler et atténuer l'emprise chinoise par des campagnes de dénégation. Je ne vais pas recommencer avec le bourrage de crânes sur le Tibet, Slavoj Žižek en ayant fait en son temps une remarquable démonstration dans le Monde Diplomatique...
La Chine n'est certes pas un modèle, mais qui prétendons-nous représenter pour lui donner des leçons ?

vendredi 14 mai 2010

Le pendule de Foucault


Ma mère me demandait ce que je faisais. Je répondais "je rêve". J'y passais des heures. Les pieds sur le bureau, les coudes sur la table ou les yeux au plafond. Depuis toujours, mon travail est le fruit de ces moments hallucinatoires où je me projetais dans l'espace et dans le temps. Je rêvais du cosmos, je rêvais de la Terre, je rêvais de maisons utopiques où il ferait bon vivre, je rêvais de musique, je rêvais de lumière, je rêvais à quoi rêvent tous les petits garçons épris d'encyclopédisme et, plus tard, de ce qui anime les adolescents pubères. La science était revêtue des habits de la poésie et les machines qui ne servent à rien s'accumulaient sur les étagères ou dans mes petits cahiers. Si je n'ai jamais connu de crise mystique, mes interrogations sur l'origine du monde me donnaient le vertige jusqu'à la nausée. La mort prenait sa source à l'endroit du big bang, ma microscopie tendant vers moins l'infini m'aspirait dans l'abîme. Le plancher des vaches recouvert de bitume était plus rassurant. En visitant la Chapelle du Musée des Arts et Métiers, j'ai retrouvé le Meccano de mon enfance, les premières automobiles et les avions accrochés au plafond comme autant de modèles agrandis des maquettes que je ne saurai jamais terminer, faute de patience ou par manque de pouvoir évocateur qu'ils représentaient face aux idées se bousculant sous ma boîte crânienne. Dans l'opéra de Schönberg, ma sympathie va évidemment à Moïse plutôt qu'à Aaron ! Grand amateur d'expériences en tous genres, j'étais heureux de voir osciller le pendule de Foucault, vérifiant que "pourtant elle tourne" ! Nous l'observâmes aussitôt arrivés en Afrique du Sud où nous étions partis en tournée pour le Centenaire du Cinématographe en 1995, penchés au-dessus de la cuvette des toilettes pour admirer la spirale inversée de l'écoulement de l'eau. Non, définitivement, je n'effectuerai jamais totalement ma croissance.

jeudi 13 mai 2010

Les yeux de la tête


Enfant, j'admirais l'énorme bande magnétique enfermée dans son boîtier plastique que ma tante Catherine m'avait rapportée d'IBM où elle travaillait. Je la regardais comme une relique parmi les dizaines de souvenirs qui ne servent à rien et que l'on conserve pieusement dans des tiroirs ou des boîtes en carton. Mon père avait fait mumuse avec un ZX Sinclair, j'avais utilisé quelques systèmes dédiés à la musique comme la console Yamaha CX5M, mais mon premier véritable ordinateur fut un Atari ST et ce n'est qu'à l'acquisition de mon premier PowerBook que je fis le grand saut dans l'informatique. Jusque là, n'étant pas un gamer, les jeux d'arcade ne m'avaient jamais passionné, de même que les traitements de texte et tableurs ne me convainquirent que lorsque l'ordinateur devint portable. Un nouveau monde s'ouvrait à moi, répondant aux rêves de l'enfant qui avait été plongé dans les lectures de Jules Verne. À l'arrivée de l'iPhone, j'eus le même sentiment d'un objet qui allait révolutionner les usages. En retrouvant la facture de mon premier Apple qui date de 1992, je me rends compte des sacrifices qu'il avait générés. D'après l'indice de l'INSEE, cela équivaudrait à 6 550 euros d'aujourd'hui ! Le PowerBook 170, haut de la gamme portable d'Apple, embarquait 4 Mo de mémoire vive. Pour les applications gourmandes, nous utilisions de la mémoire virtuelle amputant celle du disque dur de 40 Mo. Vous avez bien lu, ce sont des mégas ! Évidemment, tout cela se passant bien après le cahier de brouillon, le stylo plume, la machine à écrire, la règle à calcul, la table de trigonométrie et la calculette de poche, j'ai gardé le goût pour le calcul mental et la réflexion équilibriste sans autre accessoire que les cinq sens qui me furent légués à ma naissance. Si je mets en ligne cet article en cliquant sur l'image appelée bouton en langage informatique, cela ne m'empêche pas de pédaler sur mon Vélib' ou de prendre mes jambes à mon cou jusqu'au prochain whisky bar, oh don't ask why, oh don't ask why !

mercredi 12 mai 2010

Petit Palais


La salle vide se remplirait d'alcôves insonorisées et d'écrans larges. La mosaïque serait recouverte d'un plancher technique. La réverbération typique des musées se meublerait d'une multitude de sons discrets, échappés d'une quarantaine de haut-parleurs vous susurrant à l'oreille autant d'indices sur ce qui serait donné à voir ou sur le hors-champ qui m'est si cher. Les boucles audiovisuelles se décalant au fur et à mesure de la journée, aucune visite ne serait pareille, libre au visiteur de faire son propre montage parmi les films et son mixage au gré de son périple parmi les toiles et les étoiles. Les reproductions seraient balayées par l'objectif tandis que l'obscurité nous plongerait dans une matière narrative où l'origine des sens livrerait le pourquoi des choses. Pour que ce rêve prenne corps, il faudra travailler tout l'été. De son côté Pierre-Oscar aimerait poser devant sa porte le petit paillasson qu'il avait repéré à la boutique, avec écrit dessus : "Mon Petit Palais".

mardi 11 mai 2010

Tous les mots qui sont tus et tous les cris qui tuent


Face aux pratiques honteuses qui régissent leur sphère professionnelle, nombreux préfèrent se taire ou s'en ouvrir "off the record", préférant le plus souvent m'envoyer un mail privé que laisser un commentaire public. Les souffrances sont muettes et on en crève (cf. mes deux articles sur Albert Ayler). Les salariés d'Orange, que l'entreprise nomme France Telecom pour ne pas ternir son image, en savent quelque chose. Le secteur de l'enseignement compte ses morts. Partout règne la terreur, car la solidarité s'est évanouie au profit de luttes catégorielles privilégiant les revendications pratiques au débat de fond. L'éthique a vécu.
Dans le milieu artistique certains évoquent leur amitié pour justifier de ne pas prendre position. À quoi sert un ami si ce n'est tirer la sonnette d'alarme en cas de grave dérive de celles ou ceux que nous aimons ?
Si j'ose écrire "tous les mots qui sont tus et tous les cris qui tuent", je le dois à la distance prise avec les attitudes sectaires des milieux traversés qui me firent souffrir lorsque j'étais plus jeune. De se taire, ils se terrent, les aigreurs les engloutissant avec l'âge. J'ai la chance de dire tout haut ce que nombre pensent tout bas, facilitée par un modeste accès aux médias. L'utiliserais-je comme une psychanalyse ? Mes souffrances se dissiperaient-elles de pouvoir les exprimer ? Cela y participe certainement. Si ce n'était le cas, mon journal impudique me vaut suffisamment d'insultes et de menaces pour que je m'en inquiète au lieu de m'en moquer.
Avec un coup de pouce des thérapeutes du dos, je continue à vivre debout. Je veux me regarder dans la glace sans craindre les rides ni faire des grimaces. Ma révolte me fut dictée par la devise de mon pays apprise à l'école : sans liberté, sans égalité, sans fraternité, qu'espérons-nous ? Je ne suis que le produit de cette révolution historique qui devint permanente à l'orée de celle de mes quinze ans. Comprenant qu'elle devait s'exercer au quotidien, à notre petit niveau, avant d'espérer changer le monde, j'ai décidé d'agir dans un combat de proximité, dans ma pratique d'abord, en l'exprimant ensuite. Je serai d'autant plus armé contre les leurres de ce que l'on appelle abusivement la démocratie, une manipulation honteuse des cerveaux disponibles. Continuant à rêver, je n'ai pas désarmé face à la bêtise et à la méchanceté, au gâchis et à l'ignorance. La seule différence, ma colère est devenue sereine, je ne suis plus énervé, mais déterminé.
Quel que soit notre âge, souvenons-nous de pourquoi nous combattions et demandons-nous ce qui a changé !

P.S.: je tiens à préciser que je ne pensais à personne en particulier tant vous avez été nombreux à m'envoyer des messages de sympathie. Mon intention n'était pas non plus de critiquer votre discrétion que je comprends fort bien vu les positions que vous occupez... Encore merci pour tous vos commentaires et courriels "off the record" qui me touchent sincèrement.

lundi 10 mai 2010

First and Last, un petit joyau de la BBC


Marie-Laure nous a passé un petit joyau de la BBC qui hélas n'a jamais été publié en DVD. First and Last de Alan Dossor, réalisateur à la télévision, est un des plus drôles et des plus tendres road-movies qu'il nous ait été donné de voir, cousin de Jacques Tati et des Creature Comforts de Nick Park (également de 1989 !). Un vieux retraité décide d'accomplir un de ses rêves en traversant la Grande Bretagne à pied de Land's End à John O'Groats, 1400 kilomètres entre deux points les plus aux sud-ouest et nord-est de l'île. Le long de sa route, les rebondissements du scénario sont aussi inattendus que fondamentalement humains. Le sourire de gamin radieux de Joss Ackland est revigorant et communicatif. Son aventure transformera toute sa famille qui, tout le long, s'inquiète pour lui, mais reste en constant contact téléphonique. Le portrait de sa femme, de ses enfants, de ses voisins renvoient à notre sédentarité tandis que le héros accomplit son rêve d'enfant tant qu'il en est encore temps. Les personnages qu'il rencontre pendant ces deux mois ou 2h11 dessine merveilleusement une Angleterre des années 80, so British. L'humour anglais et la qualité du jeu des acteurs sont un modèle du genre.

dimanche 9 mai 2010

Albert Ayler, suicidé par les encensoirs


Passé ma colère contre l'art de faire faire le boulot par les autres par la grâce du copier-coller en en récoltant les fruits tout en arrogance et mépris, je me délecte des témoignages de première main qui rendent enfin hommage à l'un de mes héros. Suicidé*, c'est bien l'histoire que j'avais imaginée en pensant à tant d'artistes lapidés ou simplement ignorés qu'il est coutume d'encenser après leur mort ! Où (en) étiez-vous en 1970 ? Quarante ans plus tard, celles et ceux qui ont connu Albert Ayler nous livrent des instants magiques, des scènes cruelles, des confessions troublantes. Les autres ne peuvent s'empêcher de jouer de leur biniou lyrique, poètes du son, fleurs bleues du free, humilité sincère. J'en suis et recopie ici ma modeste contribution à l'ouvrage publié chez Le Mot et le Reste.

Le sabre et le goupillon (titre disparu à l'impression !)

Albert Ayler fait voler en éclats le sabre et le goupillon. Héritier de Charles Ives, le père de la musique contemporaine américaine qui marqua autant John Cage et John Adams que Frank Zappa et John Zorn, il intègre les fanfares à son jeu hirsute et révolté. Emprunt de spiritualité, il chante des hymnes à la vie plus profanes que fondamentalement religieux. Il y a mille manières d’assumer son passé lorsque l’on désire rompre avec lui. Recyclant ses expériences de l’église et de l’armée, Ayler sait apprivoiser le savoir et la sauvagerie. Les paradoxes qui animent sa puissance de feu pourraient ainsi le faire assimiler à un Luis Buñuel du saxophone ténor. En musique, rien ni personne ne lui ressemble, parce que nous sommes en face d’un art brut qui se joue de toutes les influences, séculaires ou tout bonnement quotidiennes. Il met l’urgence au programme de chacune de ses œuvres.
Le compositeur prêche avec tout son corps comme un convulsionnaire. La musique populaire noire est présente dans toutes ses phrases et son album de 1968, New Grass, dont la finalité discographique est explicite dès son Message from Albert, est une des clefs de son œuvre. Pourtant peu apprécié de la critique, ce dernier album insiste sur le rhythm and blues de la Great Black Music. Ce ne sera pas son dernier enregistrement… Albert Ayler continue de se produire et les préservateurs de mémoire immortalisent ses prestations uniques et irreproductibles.
1970 marque l’arrivée en France de l’Arkestra de Sun Ra, du piano de Cecil Taylor comme des « minimalistes » Steve Reich et La Monte Young. Ils sont tous programmés à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence grâce à Daniel Caux et se retrouveront sur le label Shandar de Chantal Darcy. Les 25 et 27 juillet, Ayler y explose. Les Nuits sont magiques. Quatre mois plus tard jour pour jour, on le repêche dans l’East River à New York. Entre temps ont disparu Alan Wilson du groupe Canned Heat, Jimi Hendrix et Janis Joplin (* "suicides" auxquels Jean Saavedra ajoute ceux de Mark Rothko et Paul Celan la même année). C’est une hécatombe.
La Galerie Shandar n’existe plus. Le stock des disques périt noyé à la cave de la rue Mazarine [P.S.: dans la très bonne émission d'Alexandre Bazin du 12 mars 2023 sur France Musique, Autour du Label Shandar, Chantal Darcy dément cette histoire d'inondation]. Les mécènes tels Aimé and Marguerite Maeght se font rares. Les producteurs Bob Thiele et Daniel Caux ont rejoint la sainte famille des fantômes d’Albert pour un message universel où la musique est apte à soigner tous les maux de l’univers. La vérité est en marche. On pourrait faire des plans sur la comète pour imaginer ce que serait devenue la musique de cette nouvelle génération, admiratrice du soleil, en quête de toujours plus de liberté, mais les codas, biologiquement inéluctables, nous rappellent que la vie est courte, qu’il faut savoir vivre chaque jour comme si c’était le dernier, que le chant nous emporte. Albert Ayler touche à ce qu’il y a de plus précieux en l’homme, un sursaut de bon sens contre toutes les conventions, une transposition poétique du réel, la critique d’un monde qu’il faut changer, une suite de notes dont l’intégrité n’existe que dans l’instant, un cri dans la nuit des temps.

samedi 8 mai 2010

Les bonnes poires, le paltoquet et un sacré fantôme


Commençons par dédier cet article à tous les témoins de second ordre dont le nom n'est pas cité sur la jaquette du livre consacré à l'un des plus grands musiciens américains de l'histoire de la musique, le digne héritier de Charles Ives et John Coltrane, à savoir l'immense Albert Ayler, retrouvé noyé dans l'East River en novembre 1970 à l'âge de trente quatre ans...
Voici donc : à Noël Akchoté, Pascal Anquetil, Philippe Aronson, Guillaume Belhomme, Flavien Berger, François Billard, Jean-Jacques Birgé, Alexandre Breton, Dave Burrell, Roy Campbell, Bernard Chambaz, Jean-Louis Comolli, Richard Davis, Michel Delorme, Matthieu Donarier, Pascal Dusapin, Edouard Fouré Caul-Futy, Alex Grillo, Henry Grimes, Philippe Gumplowicz, Mats Gustafsson, Lee Konitz, Oliver Lake, Joachim Kühn, Mathieu Nuss, Guillaume Orti, Jean-Marc Padovani, William Parker, Annette Peacock, Hervé Péjaudier, Ivo Perelman, Serge Pey, Alexandre Pierrepont, Sam Rivers, Ildefonso Rodriguez, Jean Saavedra, Jean-Pierre Sarrazac, Martin Sarrazac, Alan Silva, François-René Simon, Jedediah Sklower, Sébastien Smirou, Tristan Soler, Bernard Stollman, Christian Tarting, John Tchicai, Mathieu Terrier (absent du sommaire), Henri Texier, Samuel Thiébaut, Ken Vandermark, Barry Wallenstein, Christian Wasselin, Jason Weiss, illustrés par les photographies de Philippe Gras, Horace, Guy Kopelowicz, Christian Rose, Bill Smith, Thierry Trombert, Val Wilmer !
Plus on est exigeant, plus on est respecté. Cette constatation est terrible. Elle justifie les "caprices" de certains artistes face aux entrepreneurs de spectacles ou, comme ici, à un journaliste compilateur qui commanda des contributions à nombre d'entre eux sans les rétribuer, méthode douteuse pour un ouvrage vendu 25 euros, et, sujet de mon courroux, sans leur accorder à tous la même considération, ce qui devient franchement mesquin, surtout lorsque le cuistre accueille la critique avec outrecuidance au lieu de s'en excuser gentiment. Espérons qu'aucun auteur n'a été payé si ce n'est l'astucieux "directeur artistique" ou alors je suis encore plus naïf que je ne le croyais. L'incorrection porte sur les auteurs cités en quatrième de couverture et les laissés pour compte. Quant à l'absence de ces derniers sur le site de l'éditeur, Le mot et le reste, complice en indélicatesse d'autant qu'encore plus sélectif, elle ne pourra se justifier par manque de place ! Nous avons donné le mot, ils ont gardé le reste.
Le paltoquet n'en est pas à son coup d'essai. Franck Médioni m'avait déjà commandé un texte accompagné d'une œuvre graphique pour son précédent Jazz En Suite et j'avais découvert seulement à publication que notre contribution avait sauté sans que nous en fussions avertis. J'avais embringué l'artiste peintre Marie-Christine Gayffier dans cette galère, qui heureusement ne m'en tint pas rigueur. Faut-il que je sois stupide pour me laisser berner une seconde fois ! L'incorrection est une récurrence que je tente d'éviter en ne travaillant qu'avec des personnes bien intentionnées. Leur solidarité fait passer bien des mesquineries de notre monde de malotrus dont le ton brutal et arrogant est hélas dicté par nos dirigeants. Faut-il que je sois veule pour ne pas souligner le rôle de chacun lorsque je chroniquai l'excellent livre sur Joëlle Léandre, qu'elle écrivit en fait seule, l'intrigant notoire en phase de sarkozisme se contentant essentiellement de retranscrire les propos de la contrebassiste qui dut reprendre et structurer elle-même son langage. Certains à qui je m'en ouvris de souligner que le livre n'en fut que meilleur. Mais qui s'en soucie ? Cela arrange tout le monde de faire semblant. Ces pratiques n'intéressent pas les lecteurs, elles se perpétuent dans le silence jusqu'au jour où L'idiot met les pieds dans le plat.
On aura compris que la puce venue me susurrer à l'oreille le nom des oubliés commença par mon nom, la maline ! N'étant donc pas le seul à être considéré comme un sous-contribuant je recopiai d'entrée la liste des parias dont la prose est juste bonne à gonfler l'ouvrage de ses 356 pages avant de rappeler celle des illustres supposés vendeurs qui n'y sont pour rien, à savoir Amiri Baraka, Daniel Berger, Zéno Bianu, Jacques Bisceglia, Yves Buin, Philippe Carles, Daniel Caux, Jean-Louis Chautemps, Jayne Cortez, Christian Désagulier (traducteur cité pour Martine Joulia et Jean-Yves Bériou oubliés), Raphaël Imbert, Steve Lake (absent du sommaire), Robert Latxague, Michel Le Bris, Didier Levallet, Yoyo Maeght, Francis Marmande, bien évidemment Franck Médioni, Jean-Pierre Moussaron, Jacques Réda, PL Renou, Philippe Robert, Gérard Rouy, François Tusques, "pour leurs contributions". Ainsi que Peter Brötzmann, Ornette Coleman, Alain Corneau, François Corneloup, Bertrand Denzler, Bobby Few, Charles Gayle, Noah Howard, Ronald Shannon Jackson, François Jeanneau, Sylvain Kassap, Steve Lacy, Daunik Lazro, Joëlle Léandre, Urs Leimgruber, David Liebman, Joe Lovano, Joe McPhee, Thurston Moore, David Murray, Sunny Murray, Evan Parker, Gary Peacok, Michel Portal, Marc Ribot, Sonny Rollins, Louis Sclavis, Archie Shepp, Wayne Shorter, Cecil Taylor, David S. Ware, "pour leurs témoignages". Que du beau monde !
Mon article est bien assez long pour aujourd'hui, je reviendrai plus tard sur tous les témoignages lorsque j'aurai terminé de lire Albert Ayler, témoignages sur un Holy Ghost. Ce genre d'ouvrage est une aubaine pour qui souhaite en mettre plein la vue pour pas un rond. Je pratiquais ce sport du temps où je publiais la Question de JJB dans Le Journal des Allumés du Jazz, mais je n'ai jamais censuré aucun texte, ni mis en valeur une réponse plutôt qu'une autre.
Cette pratique odieuse, équivalant à ne pas inscrire tous les protagonistes d'un film à son générique ou dans les crédits d'un CD, jette une ombre sur l'excellente maison qui publie vingt-cinq titres par an au sein de cinq collections, dont une largement consacrée à la musique avec de sérieux auteurs tels Philippe Thieyre, Joseph Ghosn, Aymeric Leroy, Christophe Delbrouck, Philippe Robert ou Guy Darol. Mazette, voici qu'à mon tour je cite les uns et pas les autres ! Mais la différence est de taille : je ne leur ai rien demandé, ne les ai pas fait travailler pour des nèfles et mon article vous est gracieusement offert. Si je préfère en général évoquer ce qui me plaît, la liberté dont je jouis dans cette colonne m'affranchit par contre des nuisibles nécrophages et de leur pouvoir éphémère.

vendredi 7 mai 2010

L'influence des études


Sur la chemise Supralux je décrypte, effacé par le temps, Love is You, Light Show H + Dagon, Berthoulet (Red Noise + Planetarium), Epimanondas, mais à l'intérieur, du même stylo plume, reposent six dissertations de philosophie d'octobre 1969 à mai 1970, plus deux d'anglais et une quantité d'équations mathématiques qui ne me disent plus rien aujourd'hui. Si la plupart ressemblent à des pense-bête, alignement de sinus, cosinus, tangentes et logarithmes, j'arrive seulement à déchiffrer les calculs de surfaces et volumes des cônes, pyramides et sphères. La même écriture enfantine suit laborieusement les lignes des carreaux millimétrés, collant à la ligne rouge de la marge comme des pattes d'insectes sur un papier tue-mouche. Toutes les dissertations respirent mai 68 tant dans leur énoncé que par les réponses que j'y apporte. Les trois premières pages étaient chronométrées, moins de cinq minutes pour décrire la philosophie de Nietzsche ! Ma mère raconte que j'étais rentré à la maison en reprochant à mes parents de ne m'avoir jamais parlé de lui. J'y aborde essentiellement le danger des interprétations, en particulier par les nazis, insistant sur le désir de Nietzsche que les hommes s'interrogent continuellement, qu'ils remettent en permanence tout en question, que les hommes philosophent ! En les lisant ébahi, les dissertations naïves m'apparaissent comme le terreau où pousseront toutes mes idées à venir, justifiant jusqu'à ma quotidienne contribution. Au début de mes années de lycée, ma mère faisait le travail à ma place. Je me souviens pourtant de ma première composition réalisée en classe : "Birgé, premier, votre style habituel !" Ma mère n'était pas peu fière d'avoir passé le relais au fiston. En Terminale, j'avais depuis longtemps acquis mon autonomie et m'opposais parfois à la morale parentale, comme au moment de la guerre du Sinaï ou par mes choix politiques nettement plus radicaux que les leurs. Pendant le Secondaire, mes notes n'étaient plus aussi brillantes. J'obtins tout de même mon Bac C, que je repasserai deux fois, persuadé que la vraie vie est ailleurs, avec un 2 en maths et 5 en physique. Il fallait que mes notes de français, de philo, d'anglais et de gymnastique soient sacrément bonnes !
L'énoncé des différents devoirs en dit long sur l'époque : D'où vient, selon vous, le malaise de notre civilisation ? - Le travail est-il une nécessité, une contrainte ou une obligation ? - Réforme et révolution. - La violence. - Expliquez et commentez cette affirmation : "On peut être bourgeois sans rien posséder et ne pas l'être en possédant. L'état de bourgeoisie est un genre de vie et une manière de penser." - As a student, what will freedom mean to you? J'y fustige les systèmes capitalistes, privé ou d'État, le pouvoir et l'autorité, l'abrutissement programmé des masses, les modèles pernicieux que la société nous suggère, allant jusqu'à justifier certaines formes de violence que je nomme "contre-violence", tout pacifiste que j'étais. J'éventualise le travail dans la joie, utopie réalisée à mon petit niveau. Je rappelle l'historique des événements de mai en me trompant sur la révolution qui ne fut que de mœurs... Pourtant là aussi j'en adopterai pratiquement les principes : "c'est quand l'extraordinaire devient quotidien" !

jeudi 6 mai 2010

Enfermé avec George Harrison


À l'arrière plan de la photo, on reconnaît George Harrison ; devant, au tambourin, Michel Polizzi, un camarade du Lycée Claude Bernard, à l'époque où il fréquentait les Dévots de Krishna. Les commentaires sur sa page FaceBook m'incitent à raconter cette soirée du 13 mars 1970 chez Maxim's. Préparant le concours de l'Idhec, ancêtre de la Femis, j'avais choisi le "groupe social" des Krishnas comme sujet d'enquête, grâce à Michel qui m'avait également présenté James Doody, fondateur du light-show Krishna Lights. Après le temple de Fontenay-Aux-Roses et les soirées à l'American Center, boulevard Raspail (ah, les bananes trempées dans le lait de coco !), j'étais parti pour Londres où résidait le maître spirituel A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupāda pour continuer mes interviews. Bury Place. On peut deviner que mes questions aux disciples furent perfides et mes remarques éminemment critiques. Le Maître planait au-dessus de la mêlée bien ordonnée. Par quel hasard m'étais-je retrouvé à l'harmonium avec mon Beatle préféré à l'étage de l'improbable Maxim's, rue Royale ? Doody m'avait tout simplement donné le téléphone de John Lennon qui savait comment joindre George ! Les dévots étaient hébergés à Pigalle dans un hôtel de passe où se croisaient les toges aux couleurs du soleil et les mini-jupes des filles de la nuit.
L'harmonium me fut arraché au bout du troisième morceau. Au lieu de jouer le drone de manière recueillie, je m'étais progressivement laissé emporter par le rythme au point de faire swinguer le soufflet comme un malade ! Govinda Jai Jai, Gopala Jai Jai, Radaramanahari Govinda Jai Jai... Comment me suis-je retrouvé plus tard enfermé (à clefs !) pendant une heure sur un palier riquiqui entouré de trois portes, autant dire un placard, avec George Harrison, pour lui tenir le crachoir afin qu'il ne flippe pas tout seul en attendant que ses fans soient dispersés par le service d'ordre ? J'avais fui les avances d'une chanteuse en vogue (je n'avais pas 18 ans et en faisais beaucoup moins) dont le tube respirait le blues comme un gros pétard fait croire au génie de l'instant. Les organisateurs avaient certainement repéré mon comportement dévoué et inoffensif pour me choisir comme chaperon de la star. Dans des occasions pareilles, je tente toujours de converser comme si mon interlocuteur était un type comme un autre. Dehors les fans se coucheraient sous les pneus de sa voiture pour l'empêcher de fuir. George me confia de choisir à qui donner ses coordonnées, soit quelques rares journalistes.
Après avoir brillamment réussi le concours d'entrée à l'Idhec, mes débuts dans la pop-music s'annonçaient, non pas prometteurs, mais simplement banaux. Tout était facile. Je jouai de la flûte avec Eric Clapton dans la villa de Giorgio Gomelsky, le manager des Rolling Stones. Je phagocytai la villa de Pink Floyd. Ma sœur et moi étions devenus les mascottes de l'orchestre de Sun Ra. Je m'occupai de Frank Zappa lors de ses visites en France. Je projetais mes images psychédéliques sur Gong, Red Noise, Kalfon, Clémenti et Melmoth (Dashiell Hedayat). Je n'avais pas de Chrysler rose, mais une soif d'apprendre et de vivre, sans entrave, sans entraver que pouic non plus, car tout semblait à la fois naturel et fascinant. On planait littéralement. Avec le recul je comprends comme le monde a changé. Cela m'a mis le pied à l'étrier, me rendant exigeant et avide d'expérimentations en tous genres. J'ai continué à avoir de la chance, en travaillant d'arrache-pied. Tandis que je rangeai mon épais dossier d'enquête fortement illustré et parfumé à l'encens (ce qu'il en reste est très imagé), je découvre une chemise que je n'avais pas ouverte depuis 1970. Dedans il y a mes dissertations de philo, mais ça c'est une autre histoire.

P.S. du 30 mars 2019 :


La photo aura mis presque un demi-siècle à me parvenir. Elle proviendrait des archives du New York-Paris Herald Tribune. J'avais raconté comment je m'étais retrouvé enfermé avec George Harrison ce 13 mars 1970. Mais je n'avais jamais vu d'autre photo que celle où mon camarade Michel Polizzi figurait avec mon Beatle préféré lors de cette incroyable soirée chez Maxim's avec les Dévots de Krishna ! De profil debout à gauche, je porte un gilet noir sans manches. Michel est en bas à droite. Harrison est facilement reconnaissable. Je pensais que c'était en 1971, mais Michel me rappelle que "les journalistes ne voulaient savoir qu'une seule chose, si les Beatles allaient se séparer. Or en 1971 c'était plié." Harrison était d'ailleurs là pour la sortie de Govinda paru une semaine plus tôt sur le label Apple, deuxième 45 tours du Radha Kṛṣṇa Temple qu'il avait produit.

mercredi 5 mai 2010

Hello happy taxpayers !


Je n'ai même pas le temps de bloguer. C'est une galère sans nom pour envoyer les lapins au Canada. Les Québécois avaient prévu de les faire voyager avec une facture commerciale comme si on les exportait définitivement, sauf qu'au retour on aurait payé la TVA comme si on les importait. Nos propres petits à nous ! Antoine doit courir à la Chambre de Commerce pour acheter et remplir un carnet ATA afin que le transporteur puisse les enlever le plus vite possible et que la marmaille soit à Victoriaville à temps. Le numéro de téléphone de la Chambre de Commerce indiqué sur leur site a changé, voire été supprimé, on tombe le bec dans l'Eau de Paris. On ne doit pas donner l'ATA au chauffeur qui pourrait le perdre, mais l'envoyer... en UPS... ou Fedex (dixit !)... à... UPS ! Je croise les oreilles, puisque nos lapins n'ont pas de pattes, pour qu'Antoine, muni d'un nombre impressionnant de documents de l'association, réussisse à récupérer le carnet ATA demain. C'est une procédure douanière. Je risque de péter un câble. Levé depuis l'aube, à 19h je n'avais pas encore eu le temps de m'habiller. Pas une minute. Une vie de fou. En y pensant, lundi soir j'ai vu Alice de Burton, c'était joli, mais je me suis ennuyé comme un rat mort. Aucun rythme. Pouf pouf. Quand je ne m'escrimais pas contre la bureaucratie française, je remplissais ma déclaration d'impôts, un autre cauchemar ! Journée nulle et non avenue. J'ai l'impression qu'on est mardi matin et que je vais me réveiller.

mardi 4 mai 2010

Poids et haltères


Antoine dit que je suis fou. Bien sûr que je suis fou. Ce n'est pas une raison si mon label discographique s'appelle GRRR pour soulever tout seul des malles de 50kg chacune, avec trois disques écrasés et une hernie discale de 36 ans. Gymnastique le matin, gymnastique le soir. Je ne sais pas m'arrêter. Si j'ai mes chances, je m'y colle. Des étiquettes d'abord, avec l'adresse du Festival de Victoriaville au Québec et l'indication "Fragile" pour que nos rongeurs ne soient pas trop malmenés dans la soute. J'ai retiré trois lapins morts du voyage vers Bucarest et remplacé le vide par des bulles. Il faut vraiment être bête pour se targuer d'avoir réussi à empiler les flight-cases les unes sur les autres. La porte du garage n'allait pas rester ouverte jusqu'à l'enlèvement des lapines. Celui des Sabines est d'un Poussin. Histoire de basse-cour... Je passe du coq à l'âne. Basse-cour, chanson écrite pour Elsa lorsqu'elle avait neuf ans, laissée à l'état de maquette, chantée ici par Bernard :

En la réécoutant je m'aperçois que c'est aussi une histoire de transport !
La livraison était annoncée pour mercredi dernier. Le chauffeur est passé par la Hollande. Drôle de trajet pour venir de Roumanie, à moins d'avoir envie de s'éclater dans les coffee-shops tout un week-end. Espérons que le test sera négatif quand les bestioles souffleront dans la montgolfière. En attendant le prochain transporteur, j'ai suspendu un trognon de carotte au bout d'une ficelle avant de rabattre la porte sur le clapier.

lundi 3 mai 2010

C'est par où la sortie ?


7 jours sur 7, le blog. Pas seulement. Le boulot, on ne va pas se plaindre. La vie, c'est bon. Faire à manger, autant que ce soit bon. Se laver, une pause. Se raser, la barbe. S'habiller, tard. Répondre au courrier, inflationniste. Administration, inévitable. Téléphone, en cascade. Les déplacements, minimum. Nourrir le chat, pas trop tôt. Etc. J'appelle maman, je ne l'ai pas vue depuis des semaines, j'appelle Bernard, c'est devenu difficile, j'appelle du bain, je souffle un peu, je sors avant qu'il ne soit froid, et je tape, tape, tape, tape. Impossible de tout raconter, en tout cas pas ici. Je ne veux choquer personne. Tours et détours. Mes jours et mes nuits sont bien remplis. Des écrans partout. Je cherche une porte de sortie. Sans compter sur mes doigts, le planning affiche complet jusqu'à la fin de l'année. La décision de m'abstraire un mois devient vitale. Janvier, la Birmanie ? Il y a trois ans nous étions partis au Laos. Sans tout ça. Juste Françoise. D'ici là, voir les amis. S'organiser pour ne pas travailler. Comment s'y prendre sans tomber malade. Il faut inventer une nouvelle gymnastique. Dormir très peu est une bonne combine, mais les journées n'ont que vingt-quatre heures. C'est ce qu'on dit. Les visites, sympa. Le soir, je m'endors devant le film. Absurde. À l'aube, je m'allonge pour lire. Détente. Apprendre. S'exercer. Éprouver. Répondre. Sourire. Autant que possible. Pleurer. Pas trop. Rire. Jamais assez. Aimer. Beaucoup. Travailler. Travailler du ciboulot. Inventer. Rêver. Et voilà, ça recommence. Pas moyen de se reposer.

dimanche 2 mai 2010

La mutation d'une ville


Tôt ce matin j'ai grimpé sur une échelle pour photographier les huit planches d'un classique de l'illustration daté de 1976 que j'avais étalées par terre. Chaque planche de 85x31cm de La pelle mécanique ou La mutation d'une ville montre les changements architecturaux d'un quartier de 1953 à 1976 tels qu'imaginés par Jörg Müller à partir de 800 diapositives réalisées à Hanovre, Zurich, Bienne, etc. L'étude urbanistique qui traverse les saisons met en scène une foule de petites scènes anecdotiques offrant au lecteur une forme originale de bande dessinée où l'enfant peut découvrir comment la vie des habitants suit celle de leur ville. Au fur et à mesure des années, les travaux s'accélèrent, une ligne de métro est creusée et un échangeur d'autoroute finit par tout envahir à l'exception d'une maison typique transformée en Grill Corner. Ce sont évidemment les innombrables détails qui donnent tout son piment à l'entreprise, souvent critiques, tendres ou amusants, là où ma photo ne fait que survoler le plan moins bien que Google Earth !
L'idée m'est venue lorsque Marie-Laure m'a appelé hier soir pour savoir si je pouvais lui prêter quelques ouvrages ayant trait à la ville. Elle cherchait les films Metropolis, L'homme à la caméra, West Side Story, Play Time, et la musique de Gershwin, Un Américain à Paris, où l'on entend quatre klaxons de taxis parisiens. Je lui conseillai également les CD City Life de Steve Reich, Fenêtres sur villes de Louis Dandrel, le magnifique coffret sur l'avant-garde russe où figurent entre autres la Symphonie du Dombass de Dziga Vertov et la Symphonie de sirènes d'Arseny Avraamov, ainsi qu'une bande dessinée sur l'architecture éditée par l'ESA. Pouvoir répondre à mes amis à la recherche de tel ou tel document justifie le temps passé à accumuler tous ces trésors. Mes archives que j'assimile à des instruments prennent ainsi tout leur sens.

samedi 1 mai 2010

La glycine du 1er mai


Claude Monet disait à ses jardiniers : "cette année je veux que tout mon jardin soit mauve". Plusieurs mois à l'avance, il imaginait son modèle comme on prépare ses couleurs. J'en ai eu marre de chercher les failles du système, je me suis allongé quelques instants. Les mystères de l'informatique sont plus absurdes que les énigmes de la nature. J'ai empoigné le courrier, c'était triste. Le Journal des Allumés finit par ressembler à Jazz Mag. Je n'ai pas encore ouvert le Diplo arrivé hier matin, mais ce n'est jamais rose. La vacuité de la presse me pousse à nouveau vers les romans ; hélas, leur lecture saupoudrée me fait vite perdre le fil. J'oscille entre Haruki Murakami et Christiane Rochefort. À la vue de l'enveloppe des impôts, je me laisse espérer en payer plus l'an prochain. Après une bonne saison, l'oseille fleurit à côté des orties. Je comprends mal ceux qui s'en plaignent ou les professions où le truandage est de rigueur. Participer aux dépenses de la cité me semble sain. Évidemment j'aimerais mieux que l'on affecte mon obole à la culture, à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la solidarité, à la préservation de la nature et des autres espèces... Plutôt qu'à perpétuer le gâchis. On préfère produire des armes, entretenir une police agressive et faire des cadeaux de roi aux nantis et aux copains du Fouquet's.
Les fleurs poussent et trépassent. Il y a dix ans le jardin était envahi de centaines de roses jaunes. Les coquelicots rouge vif ne sont apparus qu'en 2000 pour ne plus jamais éclore. Depuis l'an passé, les brins de muguet sont devenus rares. Les plantes les plus vigoureuses étouffent les plus tendres. Sans produit toxique qui risquerait de polluer nos herbes aromatiques, sans interférence trop brutale de ma part sur le cours du temps, le jardin suit son petit bonhomme de chemin. J'évite parfois certaines injustices trop flagrantes, certains assassinats programmés. Les bambous gagnent toujours du terrain et la glycine que Françoise a plantée étend ses grappes sur le lavatère et l'églantier. Les iris violet nous font de l'œil. En juin nous repeindrons le mur du studio qui s'est très abîmé, jaune d'or et parme.
Pensant au défilé, j'imagine de nouveaux moyens de lutte contre le patronat. La désobéissance civile va de pair avec le courage de ses actes. Voire de sa propre pensée. La peur de soi-même régit l'inconscient collectif. Tout est lisse, une mer d'huile, un océan d'hydrocarbure, tandis que l'horreur se profile. À secouer l'arbre mort, on craint qu'il en tombe des fruits pourris, bruns, vert-de-gris. Pourtant, si nous ne nous prenons pas en main nous risquons d'en voir de toutes les couleurs.