Dehors gronde le tonnerre tandis que les glaçons tombent automatiquement dans le bac du congélateur. Les deux sons se confondent. Nous avons encore profité du jardin à déjeuner, mais les beaux jours auront été de courte durée. Sun Sun est allé chercher sa tronçonneuse avant qu'il pleuve et nous avons coupé le grand conifère mort qui nous protégeait depuis dix ans du voisin de derrière. Je ne sais pas quoi planter dans cet espace à l'ombre alors que nous aurions justement besoin de quelque chose qui grimpe et absorbe les sons. Il va falloir trouver une solution. En attendant la coupe produit un carré de lumière. Pourtant je préfère les sous-bois à la pelouse, surtout à Paris ! Sur le mur, la vigne, qui ne donne plus de raisin depuis plusieurs années à force d'être asphyxiée par les autres plantes et leurs ombres, dessine un visage. Le nez est trop petit pour être celui d'Hitchcock, aussi opterais-je plutôt pour Léon-la-Terreur. Chaque fois qu'un arbre meurt, je suis déprimé. Le couper me rend coupable à mon tour. Pourquoi n'ai-je pas su le sauver ? Je vibre en sympathie avec ce qui pousse. Avant qu'il ne dessèche, ses épines étaient si douces que je pouvais m'en badigeonner le visage en l'enserrant dans mes bras. Son volume respirait tel un poumon élastique et son parfum inspirait une délicate euphorie. Il me faut bien cela pour préserver mon zen quand s'ourdissent d'assassins complots dont les retombées nous éclaboussent malgré nous et que les retards s'ajoutent les uns aux autres jusqu'à former un monticule de points d'interrogation inextricables. À côtoyer des entreprises j'ai parfois l'impression de vivre L'argent des autres de Christian de Chalonge. J'attends patiemment que les nœuds se défassent ou que de nouveaux navires accostent à mon quai. Je n'ai même pas besoin de regarder l'horizon, j'attends que chantent les sirènes à leur approche.