Cette nuit ma bicyclette a dormi toute seule. En descendant vers The Power Plant où avait lieu le vernissage de l'exposition Adaptation: Between Species, Antoine a perdu la clef du U de son vélo. Nous avons fait tout le chemin, aller et retour, sans succès. Quelqu'un l'aura ramassée. Les policiers qui se sont multipliés comme des lapins quadrillent le quartier, mais je crois que c'est plutôt pour le G20 qui se réunit bientôt à Toronto. Nous avons continué notre vagabondage en attachant ensemble les deux engins, mais cette nuit celui d'Antoine fréquente les valises de la consigne. Mon camarade n'aime pas les clefs. Je le comprends, je démonterais bien toutes les portes de la maison ! D'habitude il oublie ses clefs ou les confond. Ce n'est pas aussi grave que de laisser son sac avec passeport, appareil-photo, etc. dans le panier de son vélo comme je l'ai fait hier soir aussi pendant que nous dînions à Chinatown. Je suis chanceux, comme disent les Québécois, de l'avoir retrouvé en sortant. J'ai été quitte pour quelques secondes d'adrénaline. Juste avant que nous ne sortions du restaurant, la lumière s'est éteinte dans tout le quartier. Joli encombrement aux intersections ! La remarquable auto-discipline nord-américaine ne fonctionne alors plus du tout. Arrêt sur image. On ne bouge plus. On klaxonne. Pour dire qu'on est là. L'obscurité.


Pendant qu'Antoine fait un premier aller et retour à la recherche de l'objet perdu, je flâne le long des quais. Le vernissage diffuse la même musique tonitruante que partout. Ce choix reste un mystère. Mettre de la dance pour une exposition d'art contemporain fait preuve d'une faute de goût, d'un manque de discernement. L'enceinte urbaine serait une aubaine pour les designers sonores ! À l'intérieur j'aime bien l'étrange rituel du motard ramassant le cadavre d'un kangourou renversé (Shaun Gladwell, Apologies 1–6), le renard enfermé dans un musée londonien que les caméras (couleurs) de surveillance suivent dans ses moindres mouvements (Francis Alÿs, The Nightwatch), les six aveugles découvrant au toucher la peau de l'éléphant (Javier Téllez, Letter on the Blind For the Use of Those Who See), la fille qui fait la morte pour se faire lécher la figure ou les pieds par ses lévriers (Michelle Williams Gamaker, Sunday Afternoon II)... Ce sont toutes des vidéos intelligentes et sensibles, mais je ne continue qu'à y voir un plan de cinéma, tout au plus une séquence. C'est le temps que les visiteurs consacrent à une œuvre. On picore.