C'est la mode des web-documentaires. Tant mieux si cela permet à des œuvres telles Duo pour 13 mots et un paysage de Karine Lebrun d'exister et de toucher de nouveaux publics. Le genre n'est pas récent, même si l'appellation est d'actualité. WaxWeb de David Blair est le premier long métrage publié sur Internet dès 1993. En 2000, Françoise Romand initiait ikitcheneye, tentative online purement documentaire. L'an passé, Antoine mettait en téléchargement gratuit Machiavel que nous avions réalisé pour CD-Rom en 1998... L'évolution technologique permet aujourd'hui de donner au webdoc ses lettres de noblesse.
Karine Lebrun produit un objet abouti où l'interactivité se justifie par un aller et retour panoramique sur le double écran. L'image est en haute définition, le débit est fluide, l'interface réfléchie, permettant à l'internaute de profiter au mieux du spectacle en plein écran. Passé ces considérations techniques, le dispositif convient parfaitement à la rencontre de Karine Lebrun filmant l'écrivaine Christine Lapostolle dont les textes et ses ramifications dans l'histoire littéraire inspirent la lectrice transformée en vidéaste. Le paysage de bord de mer, de la pointe bretonne, le Finis Terrae, et les ambiances sonores de Sacha Gattino répondent au dialogue des deux femmes autour de la résistance qu'offrent la littérature et, par conséquence ici, l'œuvre multimédia.
Dès le premier mot, "Début", s'inscrit le hors-champ, à gauche la musique, à droite la caméra, tierce personnage se révélant lorsque Christine jette un œil à l'arrière de la voiture qu'elle conduit pour parler à son interlocutrice assise à l'arrière, et, plus fort encore, l'internaute aux commandes de l'engin. Le curseur placé sur la collure entre les deux images hésite à privilégier le son de l'une ou l'autre, les mouvements de la souris contrôlant le mixage à l'image pour "Décrire", vague vague laiteuse, écume rappelant le spectateur à son rôle de voyeur ex machina. De part et d'autre, les plans fixes calment les séquences à l'épaule, sobriété de la "Lecture", même si la tentation est grande d'écouter les deux discours simultanés quand intervient "Christophe Fiat". Astucieusement la boucle permet de revenir sur ce que l'on a négligé, les deux vidéos ne faisant jamais la même durée. Le ton murmuré du "Détachement" de Karine renforce l'élégance du travail sonore de Sacha dont l'orchestration homogène comprend pourtant "cithares, tambour à cordes, piano à queue, rhombes, shrutibox, orgue à bouche, kalimba, papier de soie, bruitages de Bretagne, électronique et traitement informatique".
Dans le sixième épisode, terme plus approprié que chapitre, car il peut être agréable d'y revenir plutôt que de vouloir tout assimiler comme un goinfre, l'eau glisse sur le sable comme l'écrivaine arpente la grève. En toile de fond, les vagues de l'océan qui viennent et se retirent recopient sans cesse leur "Écriture" à quatre mains. Pour "Conversation", Kar. apparaît enfin à l'écran (in sur le logiciel), rime riche avec X. que la lectrice prononce Xine, effaçant la référence chrétienne dont on ne saura pas vraiment si l'écrivaine s'en dégage ou l'assume, après les toiles peintes de son compagnon "Benoît Andro", une nouvelle "Promenade" et le plat de "Résistance". Comment peut-elle citer la Princesse de Clèves et revendiquer pour elles deux les termes masculins "écrivain" et "lecteur" ? Comment peuvent-elles justifier de ne pas accorder au féminin des qualificatifs d'épanouissement en prétendant que le mot "écrivaine" est moins beau que celui d'"écrivain" (hors texte, tiens-je à préciser) ? La résistance aux conventions revendiquée par Xine et adoptée tout autant par Karine épargnerait ces restes d'oppression séculaire camouflée sous des prétextes esthétiques ? De quels autres mots l'oratrice se priverait pour cause de laideur phonétique ? Qu'est ce que la beauté d'un mot si ce n'est le simple fait qu'il soit ou non approprié dans l'énoncé ? Je résiste, elles résistent, résistez-vous ?
La "Fin", peu avenante pour les deux femmes, est précédée du "Bout du monde" et d'un échange sur Toile et sofa avec "Pierre Trividic", Sacha en amorce jouant les Candide, avant que le Tchat vidéo ne close le long métrage ou le feuilleton selon qu'on le savoure en bloc ou par étapes. Karine Lebrun réussit un beau portrait d'artiste par le truchement des nouveaux médias, nous faisant entrer dans le monde sensible et critique de Christine Lapostolle par la fenêtre des écrans domestiques, avec un souci du détail où tout est pensé pour que rien ne s'échappe de la Toile tendue pour nous prendre, nous prendre au mot, car 13 n'est qu'un prétexte. Les autres sont des étoiles filantes.