70 août 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 août 2010

Le Kronos décrit un arc-en-ciel en Asie Centrale


Pour la septième fois en trois jours j'écoute le nouveau CD du Kronos Quartet enregistré en compagnie de musiciens afghans et azéris. L'album financé par The Aga Khan Music Initiative in Central Asia est accompagné d'un DVD, sorte de making of et de catalogue pour la collection Music in Central Asia réunissant huit autres références qui me font envie. Rainbow, un de leurs meilleurs depuis longtemps, propose une pièce d'une demi-heure du compositeur Homayun Sakhi et cinq mélodies d'Azerbaïdjan arrangées par Alim Qasimov. La première est censée réfléchir la multitude de communautés afghanes avec les parties du Kronos arrangées par un habitué du quatuor, Stephen Prutsman, et la participation du compositeur lui-même au rubab, luth aux cordes sympathiques, Salar Nader au tabla, Abbos Kosimov au doyra et qayraq, d'autres percussions. Les morceaux suivants sont arrangés pour le Kronos par Jacob Garchik avec l'ensemble de Qasimov qui chante avec sa compagne Fargana Qasimova, accompagnés de Rafael Asgarov au balaban, une sorte de hautbois, Rauf Islamov au kamancha et Ali Asgar Mammadov au tar, deux instruments à cordes, Vugar Sharifzadeh au naghara, un tambour. Tous ces instruments sont présentés en images, textes et extraits sonores sur le DVD et sur le livret de 44 pages.
Pour ces deux rencontres les arrangeurs ont dû trouver un moyen de figer les improvisations des Azéris et d'interpréter les enregistrements de l'Afghan pour que le Kronos puisse s'y fondre. Les musiciens traditionnels se mêlent merveilleusement aux partitions écrites du quatuor américain parfois tenté par un jeu plus ouvert. Le résultat, d'une incroyable unité, nous entraîne dans des contrées que l'on souhaiterait libérées de la colonisation déguisée des profiteurs belliqueux. Le changement de repères nous fait chavirer, un peu comme hier matin lorsque je montrais à Sonia le film Les saisons de Pelechian avec les hommes dévalant les pentes entraînés par les immenses meules qu'ils tirent derrière eux ou faisant traverser leurs moutons à gué et à cheval au milieu des flots bouillonnants. À l'art du montage cinématographique de l'Arménien, j'oppose la fluidité et l'évidence de la musique, deux formes d'art que je tente de réunir dans mon propre travail. En me fixant des modèles inaccessibles, je peux me laisser inspirer sans risquer de les suivre !
Sur le site de l'éditeur Smithsonian Folkways, on peut avoir un avant-goût de chacun des neuf double albums en regardant gratuitement les making of mis en ligne. Tandis que je rédige ces notes, je ne peux m'empêcher de commander ceux d'Homayu Sakhi, des Qasimov et les rencontres sur les traces de Babur, trois volumes de la collection. Ces musiques m'insufflent une énergie hors du commun telle que les musiques traditionnelles savent transmettre, du jazz le plus hirsute au tango intello de Piazzolla, des tambours africains aux rythmes tziganes des parias reconduits à la frontière par une bande de bandits incultes.
Si vous préférez le Kronos Quartet et que vous voulez les soutenir ou vous faire un petit plaisir, sur la page Give de leur site vous pouvez vous faire une idée de ce qu'il vous en coûtera, donations pures ou jusqu'à 149$ des enregistrements inédits, jusqu'à 499$ un CD avec autographe, 2499$ assister à un concert privé, 4999$ une répétition, 9999$ un dîner, 24999$ David Harrington en DJ chez vous, 49999$ avec concert du quatuor... C'est donné ? Je traduis peut-être mal le Give du titre...

lundi 30 août 2010

Établissement d'un ciel d'alternance, poème symphonique en duo avec Michel Houellebecq


Hier j'ai commandé La carte et le territoire. On murmure que c'est le meilleur ouvrage de Michel Houellebecq depuis Extension du domaine de la lutte, le roman de lui que je préfère, et sa période poétique d'où sont issus les textes de notre CD.
Pour Établissement d'un ciel d'alternance, Michel souhaitait une production indépendante qui nous laisserait libres de faire exactement ce que nous voulions, sans les pressions du monde de l'édition. Créé pour le 10ème anniversaire des Inrockuptibles à la Fondation Cartier, notre duo a été enregistré le 9 novembre 1996 en une seule prise, sans coupure ni mixage postérieur.
Dans le livret du CD, Michel a écrit :
"Ceux qui étaient là lors de ce concert auront donc assisté à quelque chose d'assez rare dans ma vie : une collaboration avec un musicien, réussie".
La page manuscrite ne dépare pas le cousu main graphique d'Étienne Auger. Seule la presse musicale a relaté la sortie de notre album (1 2 3). L'indépendance est un luxe. L'objet au format allongé est superbe, jamais Michel n'a été aussi bon dans sa diction, voix chaude et généreuse, parfaite adéquation avec la musique que je joue en temps réel pendant qu'il slame. On nous a reproché le terme comme s'il était réservé aux alexandrins des rappeurs. Michel a un flow unique, une sobriété qui fait passer toutes les intentions et ouvre la porte aux interprétations de l'auditeur.


Sorti en 2007 sur mon label GRRR (dist. Orkhêstra), on peut écouter un extrait d'Établissement d'un ciel d'alternance sur le site des Disques GRRR.
J'ai raconté l'histoire de notre collaboration, pourquoi j'ai attendu dix ans avant de sortir le disque, d'autant que c'était le deuxième que nous faisions ensemble. Le premier ne correspondait pas à nos attentes. D'où la nécessité de cet album, cinématographique, minimal, résolument moderne pour le son ; renversé, glauque, nocturne pour l'image.

dimanche 29 août 2010

Wyclef Jean proteste en chantant


Fan du musicien depuis ses débuts en solo, j'ai cherché sur le Net la protest song que Wyclef Jean vient de composer pour critiquer son éviction de la course à la présidence en Haïti. Prizon pou K.E.P.A. renvoie au Conseil Electoral Provisoire. Les paroles créoles disent : "Je conteste, je ne suis pas d'accord, je conteste, je vais au tribunal pour contester. Le président Préval m'a jeté en dehors de la course... Je sais que tu as toutes le cartes en mains (...) J’ai voté pour que tu sois président en 2006, pourquoi rejettes-tu aujourd’hui ma candidature ? (...) Ce n’est pas Wyclef que tu as exclu, c’est la jeunesse, la population, les paysans...". J'ignore s'il saurait ou aurait su diriger le pays, mais il est certain qu'il a toujours montré une très grande générosité du temps de ses concerts (il y a dix ans j'ai eu la chance d'assister à un marathon époustouflant à l'Élysée Montmartre) comme plus tard quand sa notoriété lui permit de créer sa fondation ou après le séisme en ce début d'année.
Aujourd'hui les hommes et les femmes aux commandes des États sont plus souvent des gens de spectacle adeptes du storytelling que des gestionnaires ou des capitaines, les économistes tirant les ficelles depuis l'ombre. La corruption des professionnels formés à la politique et dont la charge se passe quasiment de père en fils ne laisse-t-elle pas supposer qu'un véritable artiste peut aussi bien faire l'affaire ? Les exemples sont nombreux. Les bons acteurs ne sont pas pires que les mauvais quand il s'agit de jouer les marionnettes. Dans notre société du spectacle, je préfère que le chanteur qui dirige le pays ait un véritable talent musical plutôt que des prétentions à jouer du saxophone, du piano ou de l'accordéon ! Les chansons ont souvent accompagné les mouvements révolutionnaires, alors si on raconte toujours qu'en France tout finit en chansons, on aurait pu rêver qu'en Haïti c'eut pu commencer en rappant...
En 1999 lors de ma visite à Louth, Robert Wyatt me signale la chanson Gone Till November de Wyclef Jean comme un petit trésor méconnu qu'il a entendu à la radio. Si les Fugees (pour Re'fugees) avaient été n°1 du Top 50, personne en France ne s'intéresse alors au premier album solo du rappeur, The Carnival, chef d'œuvre absolu digne de figurer parmi les meilleurs albums jamais produits tous genres confondus. Wyclef Jean mêle le flow du rap au reggae et à de sublimes mélodies dans de savants arrangements tout en réalisant des petits scénarios sonores très cinématographiques avec une utilisation merveilleuse des divers accents de l'immigration nord-américaine. Dans ses textes, le rappeur haïtien qui vit à New York depuis l'âge de 9 ans évite le gangsta rap des frimeurs qui se vantent d'avoir tué deux cents personnes avec une seule balle, préférant fustiger les mines anti-personnel (New Day, très beau duo avec Bono de U2). Après un remarquable The Ecleftic: 2 Sides II a Book toujours aussi entouré d'une ribambelle d'invités prestigieux, ses albums Masquerade et The Preecher's Son n'auront pas cette intensité, mais Wyclef Jean (prononcer ouaïcleffe et Jean comme en français) retrouve son authenticité haïtienne avec les trois derniers Welcome to Haiti: Creole 101, Carnival Vol. II: Memoirs of an Immigrant et Toussaint St. Jean: From the Hut, To the Projects, To the Mansion où il chante le plus souvent en créole. En Haïti, cette langue possède une base lexicale française avec des influences africaines fon, éwé, kikongo, yoruba et igbo, qui nous permet de la deviner, à défaut de la comprendre, mieux que les anglophones !
Sur le blog de Wyclef Jean, les commentaires produisent de passionnants débats. Il avait déjà chanté "Si j'étais président, je serais élu le vendredi, assassiné le samedi et enterré le dimanche." Le président Préval lui aurait donc sauvé la vie ! Quoi qu'il en soit de son avenir politique, un homme qui honore le journaliste Jean Dominique ou rappelle un autre assassinat, celui d'Amadou Diallo à New York, et qui se réfère à Toussaint L'Ouverture, premier leader noir à avoir vaincu les forces d'un empire colonial européen dans son propre pays, ne peut a priori qu'avoir toute ma sympathie !

samedi 28 août 2010

40. Les Complémentaires


L'idée était astucieuse de déguiser les marins de la Pia et de l'Uto en naufragés échappés d'un cargo-usine lorsqu'ils étaient envoyés au ravitaillement. L'histoire était beaucoup plus vraisemblable que d'imaginer une communauté libertaire flottante en pleine dérive sécuritaire.
Au sommet panafricain de Ouagadougou un groupe de participants avaient été écœurés par l'incapacité des camarades à se fédérer. La guerre civile fait évidemment le jeu des pays occidentaux qui ont tout intérêt à fourguer leurs engins de mort pour que l'Afrique ne se réveille jamais. On professe qu'il faudrait cinq générations à ce lumpenprolétariat pour se sortir de la crise, alors autant oublier tout de suite la moindre velléité coloniale qui coûterait beaucoup plus cher qu'elle ne rapporterait. On se débrouille pour pomper le sous-sol, récupérer le minerai et les céréales quand c'est faisable. Pour le reste, les virus et les guerres tribales sauront s'en charger. Depuis des décennies chaque fois qu'un homme politique d'envergure montre quelque charisme la CIA ou l'une de ses succursales européennes le transforme en passoire. Toute tentative démocratique est vouée à l'échec. Alors complot pour complot, quelques anciens étudiants qui avaient fait leurs classes à Harvard, Oxford, Paris ou Moscou, et ne briguaient pas forcément le fauteuil légué par papa, avaient décidé de plancher sur la question. Le groupe du 23 septembre avait eu la chance de rencontrer de drôles de barbus, chauves et hirsutes, qui avaient équipé deux villages près des falaises de Banfora de machines bizarres qui auraient plu à Verne et Tinguely, leur permettant de s'alimenter en eau et électricité. L'équipement tenait du bricolage, mais frisait la sorcellerie tant il faisait oublier la misère du continent. Ils avaient appliqué les dernières recherches en biologie et en nanotechnologie aux ressources locales, un projet aussi délirant qu'improbable, mais qui avait porté ses fruits. Tout finit par se savoir. D'anciens ingénieurs ayant participé à la construction des complexes souterrains de l'Universalité avaient réussi à déguerpir et à prendre contact. Le projet prit son ampleur lorsque deux milliardaires nord-américains en rupture de ban, culpabilisés par le déni historique à répétition de leur pays, décidèrent de se lancer dans l'aventure. La vie est courte, il faut parfois lui donner un sens.
Le type resté dans l'ombre pendant l'explication leur propose de tenir à leur disposition toute l'histoire consignée dans les livres indestructibles : "Nombreux détails vous amuseront, les scientifiques ont de ces fantaisies ! Pour ma part, je ne suis pas un comique, même si j'essaie de me détendre comme la plupart des êtres qui vivent à bord. On en apprend tous les jours. Nous avons suivi votre périple, aussi souvent que possible. Il suffit de décrypter les médias et nous avons des ramifications un peu partout, mais nous devons prendre tant de précautions que parfois nous ratons des occasions gravissimes. Pour l'heure, nous devons d'urgence vous opérer pour extraire les implants dont vous avez certainement constaté les effets nocturnes. Leur technologie n'est pas tout à fait au point, ce qui n'est pas non plus dû au hasard. Il y a heureusement des résistants au formatage et les réactions comme les vôtres nous permettent de repérer les récalcitrants que le pouvoir continue à appeler antisociaux ou terroristes, lorsqu'il n'arrive pas à les briser ou à les faire disparaître. Mais vous savez probablement tout cela, sinon vous ne seriez pas arrivés jusqu'ici."
Max peut enfin prendre la parole pour évoquer les rêves de la nuit dont la complémentarité lui avait justement mis la puce à l'oreille. Une femme qu'il n'avait pas remarquée à cause de la luminosité de l'écran et du contre-jour leur répond qu'ils n'en perdraient pas le souvenir, et que la complémentarité est justement l'un des secrets de leur entreprise, à tel point que certains d'entre eux se nomment les Complémentaires, d'autant que les concepts de chef et de hiérarchie ont été abolis parmi eux. "Mais tout le monde n'aime pas forcément mettre un nom sur les choses ou les personnes."

vendredi 27 août 2010

39. Les îles flottantes


Une étrange agitation règne sur la plage. Des ballots sont encordés et empilés près de l'eau. D'autres pendent encore aux falaises, que nos amis africains font glisser par un ingénieux toboggan de bambou qui arrive presque à la mer. Aucun n'a perdu son sourire de la veille, mais il a changé, sévère, concentré. L'amour du travail, la camaraderie de l'action, comme l'entrain des grandes causes, les font se mouvoir comme des danseurs haltérophiles. Ce retournement de situation surprend notre trio encore endormi qui n'en croit pas ses yeux. Ils avaient quitté une bande de fugitifs totalement démunis pour découvrir une troupe d'ouvriers aguerris aux prises avec une activité qui ne pouvait être que de contrebande. L'un d'eux leur fait signe qu'ils ont apporté de quoi manger. Un petit tas de figues est posé à côté d'une grosse bombonne d'eau fraîche et, plus surprenant, un paquet de biscuits aux amandes ! C'est le monde à l'envers.
Stella fait remarquer qu'elle est prête à tout depuis son rêve du salon bourgeois de cette nuit. Stupeur de ses deux compagnons. Vas-y, raconte, fait Max, cachant son trouble. Il se retient jusqu'à ce que Stella ait terminé, il éclate de rire. D'abord il a reconnu la célèbre phrase de Georges Arnaud qu'il avait infligée à sa fille lorsqu'à neuf ans elle avait évoqué l'existence de Dieu. Mais les similitudes avec son propre rêve l'inquiètent plus qu'elles ne l'amusent. Si l'allusion au trapèze est évidente, le va-et-vient entre ciel et abysses est moins préoccupant que certains termes rappelant des événements qu'il pensait être seul à connaître. Mettons cela sur le plan des coïncidences. L'interprétation d'un rêve n'appartient qu'à celui ou celle qui l'émet. Autour d'eux on s'active de plus en plus. Il aimerait interroger leurs nouveaux amis, mais il ne s'entend pas les freiner dans leur élan. De toute manière, il n'en aurait pas eu le temps. D'une voix haletante, essoufflée avant même d'avoir ouvert la bouche, Ilona raconte qu'elle a l'impression d'avoir volé le rêve d'un autre, comme si elle s'excusait auprès de Max. Elle jette un regard de tristesse vers Stella qui, décidément, comprend de moins en moins ce qu'elle a déclenché. Alors Ilona se jette à l'eau, virtuellement, parce qu'en fait elle aurait plutôt tendance à s'accrocher. Plus elle avance dans sa description méthodique plus Max fronce les sourcils, deux rides se creusant au-dessus de son nez comme deux routes parallèles qui se croiseraient quelque part, là haut au sommet de son crâne. Son scalp lui fait mal. Les synapses lui rappellent les gestes des Africains qui s'accélèrent au rythme des pas étouffés qui s'enfoncent dans le sable. Paf paf paf, shillang shillang shillang, paf paf paf... Le mot puzzle lui vient à l'esprit, mais il n'a pas le temps de réagir aux histoires des deux filles que les grands gestes d'un gars perché en haut de la falaise attirent son attention.
Au large, ce qu'ils avaient cru être des îles étaient deux immenses navires. Des flashs de couleur répondent au sémaphore du gars là-haut, des phrases codées répétées en boucle. Stella pense à la collection de guirlandes programmables dont elle avait décoré sa chambre de jeune fille, mais la chorégraphie lumineuse est beaucoup plus sophistiquée et sa puissance est incroyable, comme s'ils avaient été visés par des rayons laser. Derrière eux, on démonte le toboggan dont les branches sont hissées à toute vitesse. Les ballots sont regroupés. Sur la crête des vagues, ils voient très bien trois bateaux à moteur en route vers le rivage. Comme ils s'approchent, Max fait signe aux deux filles de ne pas bouger. Ils ignorent où ils sont, ils ne savent plus à qui se fier, ne comprennent rien à la langue de ceux qui se sont adossés aux ballots. Ils ont impérativement besoin d'aide. Tandis qu'on charge les navettes, un gros barbu assaille de questions le plus souriant de leurs compagnons de la nuit en désignant le trio. Les phrases ressemblent à une sorte de ping-pong où chacun rattrape les mots comme deux jouteuses inuit. Au terme de cet échange musical, le gros fait signe à tout le monde d'embarquer.

jeudi 26 août 2010

38. Anti-puces


Ils sont partis depuis trop longtemps pour que les règles s'appliquent à leurs rêves. Les ellipses finissent par les perdre sans qu'aucun fil ne puisse se voir. Ils avancent prudemment au bord des toits. Le balancier des vagues les fait flotter sur des fonts baptismaux dans lesquels ni les uns ni les autres n'auraient imaginé se baigner s'ils étaient éveillés. L'époque a basculé dans un précipice où le formatage a gagné l'inconscient collectif. Tous les trois se souviendraient de la même image, mais leur détermination avait forgé des anticorps au point de brouiller les émissions que l'implant dégage sans qu'ils le sachent. Ils ignorent que, lors de leur incarcération, les blouses leur ont greffé une puce à chacun. Ils ont sous-estimé leur résistance à la machination. Qu’importe, ils n’ont aucun souvenir. La nature recèle tant de pouvoirs que l’humanité méconnaît, croyant en être le maître. Expérimentant ainsi la réalité multiple, ils seront sauvés par leur libre interprétation du phénomène. Une image. La simple image d'une femme qui dort sous un lustre. Un lampadaire éclaire le divan. Deux petits claviers côte à côte font face à la fenêtre.
Max reconnaît sa mère derrière la vitre. Elle a toujours aimé les orchidées et les crocodiles. Il y avait une serre au fond du jardin où l'humidité vous poissait la chemise comme si l'on avait attrapé une maladie tropicale. Sa mère prétend y respirer l'air pur d'une Asie de théâtre, constituée de fumée et de carton pâte. Elle se soulève à l'horizontal comme les jeunes femmes qui assistent les prestidigitateurs au music'hall. La couverture forme un drapé dissimulant le canapé blanc et surtout le trucage que tout le monde imagine, mais que personne hormis les spécialistes ne devine. Elle se redresse, droite comme un piquet, pivotant sur ses pieds comme sur l'axe d'une roue dentée, par petits à-coups secs et précis. Si elle avait la place elle dessinerait des cercles comme les trapézistes. Le voile glisse lentement. La chambre s'efface. À chaque circonvolution il croit reconnaître Stella ou Ilona, à tour de rôle. Vertige. Il n'en finit pas de tomber, traversant une nuée d'insectes comme autant de pixels sur les écrans du double. Cela n'a pas de sens. Il se trompait. Il remonte à la surface sans aucun palier de décompression.
Ou bien. Si Stella n'avait jamais connu de crise mystique le moment aurait été bien choisi. La lévitation est un sport d'ascèse. Les enfants croient souvent savoir voler, ou du moins qu'ils l'on su. Elle se souvient très bien de la méthode. Il lui suffit de concentrer toute sa force sur son front et deux ailes de feu lui poussent comme des réacteurs. Elle s'élève à la verticale comme elle contracte ses sphincters. Dans l'appartement bourgeois surplombant la cour, la femme qui fait semblant de dormir sort un pouce vainqueur de sous le plaid qui la recouvre. Stella traverse la forêt de bambous comme les héroïnes des films chinois. On en mangerait, crie-t-elle à l'entour. Des brancardiers vont et viennent en courant, se cognant les uns dans les autres. Le burlesque l'emporte sur l'exploit. Un tourbillon efface la phrase que Max a écrite à la bombe sur la palissade qui borde le chantier adjacent : "Si Dieu existait ce serait un tel salaud qu'il ferait bien de ne pas s'en vanter". Des sauterelles synthétiques obscurcissent le ciel. C'est la nuit. On n'entend plus un bruit.
Ou encore. Comment Ilona peut-elle sentir ses deux compagnons endormis ? Les jumeaux ont joué toute la soirée des pièces à quatre mains, si fort que le plafonnier vibrait en sympathie, entrechoquant ses breloques de cristal, comme si la terre avait tremblé. Les murs s'écroulent. Tout n'était que du toc. La bourrasque arrache les vêtements de la morte. La femme allongée tremble de froid. Le sifflement du vent est obscène. Elle respire encore, marmonne Stella au creux de l'oreille du souffleur, sans réussir à le réveiller. Qui vit ? Qui est enseveli ? Ilona s'entend dire : qui est dans ce lit ? Elle se laisse aller sur le divan. Le cendrier est vide, mais l'urne est bourrée à craquer. Il suffirait d'un courant d'air. La femme lui dit qu'il ne faut pas s'inquiéter. Elle a refait sa vie. Elle est heureuse. Un buste passe derrière les vitres comme un jour de tempête. Ilona se réveille brutalement en criant "ça n'a ni queue ni tête !", entraînant Max et Stella à sa suite.
Dans la brume matinale, une fois de plus, ils croient rêver.

Rappel : le premier épisode a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction. L'ensemble sera constitué de 50 épisodes. Le précédent remontait au 8 mars 2010.

mercredi 25 août 2010

Bredouille


D'habitude la pêche nous sort du lit à 4 heures du matin pour être en mer quand le jour se lève. Cette fois, nous avons voulu profiter du soleil couchant. Ce sont les deux moments où le poisson est susceptible de mordre. Trop tôt dans la saison, mer agitée par les scooters des mers et la foule des vacanciers, manque de chance, peu importe la raison, nous sommes revenus bredouille, non sans avoir pesté contre les propriétaires de hors-bord inconscients qui rasent le pointu au risque de couper les lignes que nous traînons. Pour Françoise et moi, de toute manière, l'important n'est pas la prise, cerise sur le gâteau de la ballade, mais la baignade en pleine mer qui nous ravit. Plonger du bateau lorsque nous sommes au large produit une sorte de vertige planant, une sensation unique d'appartenir à la planète bleue. La profondeur sous nos pieds rend le masque inutile. Nous surplombons l'obscurité. Remonté sur le pont, je fais quelques clichés qui raviveront mes souvenirs lorsque nous aurons réintégré notre métropole surpeuplée.

mardi 24 août 2010

Pornographie du direct


Heure de la sieste. Allongé sur le dos. Testant les chaînes TV sur mon nouvel iPhone je tombe par hasard sur la prise d'otages de Manille diffusée en direct sur Euronews. Séquence pornographique. Extrême violence du voyeurisme. Suspense de l'absurde. Un ancien officier de police, viré deux ans auparavant, s'est engagé dans cette entreprise suicidaire et criminelle pour demander sa réintégration ! Ce genre de coup de folie découle directement de l'écho médiatique qu'il est susceptible de rencontrer. La presse est complice. Tout a commencé dix heures auparavant, mais je ne regarde que le dénouement. Les commentaires des deux présentatrices sont ce qu'il y a de plus déprimant, parce qu'ils démontrent l'inanité de la télévision, son absence de regard. Traduisant servilement le prompteur en bas de l'écran et tentant maladroitement de comprendre les images depuis Bruxelles, les deux prétendues journalistes ne font que répéter avec un léger délai ce que n'importe quel spectateur est capable de voir, à condition de lire l'anglais, certes. Il y a bien des psychologues pour s'occuper des rescapés, ne devrait-il pas y en avoir pour nous accompagner ? Ne sommes-nous pas aussi les otages de cette société du spectacle ? Puisque c'est ainsi on pourrait imaginer d'autres compétences pour suivre l'action. Qu'est-ce qui peut pousser un individu à un tel désespoir ? Quels processus névrotiques poussent les prisonniers, les employés de France Telecom (l'autre nom d'Orange !), les forcenés, à se suicider, voire entraîner avec eux une quinzaine de touristes hong-kongais ? Pourquoi les cameramen cadrent-ils de telle ou telle manière ? Sur place, c'est le cafouillage le plus complet. Il pleut à torrent. Les parapluies obstruent les objectifs. La foule se presse. Au cours de l'assaut du bus immobilisé on entend plusieurs fois des gens rire. Qui sont-ils ? Comment une journaliste se retrouve-t-elle avec la responsabilité de devoir tenir en haleine les téléspectateurs tandis qu'il ne se passe rien à l'image ? Quel est son parcours professionnel ? Comment le preneur d'otages a-t-il choisi ses victimes ? Il semble qu'il ait relâché les enfants et les vieux. Mais ensuite ? Quelle marche de manœuvre a celle ou celui qui est en joue devant un M16 ? Comment sont formés les policiers pour résoudre ce genre de drame ? Quel degré de sophistication possèdent leurs armes ? Passé le fait divers, de quel malaise est-ce le symptôme ? Depuis le passage à l'acte de l'assassin jusqu'à l'absence de recul criminelle de la télévision, que nous inspire la société que nous avons façonnée, que nous le voulions ou non ? Jusqu'à quelles extrémités sommes-nous prêts à aller ? Comment évaluer notre degré de complicité ? Décidément, la bande-son de ce reportage manquait fatalement de profondeur... Je m'emporte probablement parce que je ne regarde jamais la télévision. Mais la presse écrite vaut-elle guère mieux ?

lundi 23 août 2010

Révélations au Petit Palais


Pour l'exposition Révélations, une odyssée numérique dans la peinture au Petit Palais à Paris du 18 septembre au 17 octobre 2010, seulement 6 de nos films seront projetés sonorisés (Van Gogh, Giorgione, Holbein, Rembrandt, Monet, Ingres). Pierre Oscar Lévy a réalisé 23 films des 40 de la collection Révélations pour Samsung d'après des chefs d'œuvre de la peinture. J'en ai assuré la direction artistique et la composition musicale, Dominique Playoust la production, Luis Belhaouari le conseil historique, Sonia Cruchon nous a assistés, Snarx-Fx s'est chargé de toute la post-production (numérisation des tableaux, traitement sur Flame, images 3D, etc.). Vincent Segal a composé la musique de La Grande Odalisque en imitant un oud avec son violoncelle, j'ai cosigné la partition de piano de Coucher de soleil à Lavacourt avec Bernard Vitet et je me suis chargé du reste. Les 16 autres de nos films seront exceptionnellement diffusés en muet au Petit Palais, les versions originales, toutes sonorisées, étant exclusivement accessibles sur les nouveaux téléviseurs géants de Samsung. Deux films (Böcklin et Chardin) ont été tournés en 3D par nos soins. Les dix-sept autres tableaux ont été traités dans une approche totalement différente par une autre équipe.
Tenu au secret tant que ce n'était pas officiel, j'ai évoqué ici mon travail pendant tout le mois de juillet sans me référer au commanditaire ni à la finalité de la collection. En plus d'avoir initié tout le projet avec Hee Il Shin, Dominique et Pierre Oscar, j'ai livré quelques idées pour l'exposition, m'inspirant de la scénographie d'une exposition vue à Linz l'an passé, en particulier l'astucieux système de chicanes pour isoler phoniquement les alcôves où seront présentées les 7 films sonores (la réalisation du septième, Delacroix, ne nous incombe pas). Travailler sur nos 23 films a été une partie de plaisir, même si ce ne fut pas une sinécure ! J'ai dormi trois heures par nuit en juillet pour accoucher de 22 partitions sonores dont la plupart des musiques ont été enregistrées avec des instruments acoustiques, qui plus est originaux, souvent construits par Bernard (flûtes en PVC et plexiglas, trompette à anche, contrebasse à tension variable, clavier de cloches tubulaires, etc.). J'ai fait tomber des grains de riz sur toutes sortes d'instruments et cassé un rhombe pour le Zao Wou-Ki, joué du violon et du piano-jouet pour le Chirico tandis que Sonia s'est entraînée pour que le Toton de Chardin tourne encore pendant 250 ans. Tout cela fut possible grâce à la persévérance et à l'amitié de mes camarades de jeu qui se sont défoncés pour rendre en temps et en heure ce qui équivaut à la production d'un long métrage ! L'apport de Vincent a été déterminant, que ce soit pour le burlesque Chirico ou le dramatique Le Lorrain. Elsa a fait fredonner la Vierge de Vinci, Pierre Oscar a joué Joseph et Sonia son fils pour le de La Tour... Mon idée était de rendre les films narratifs sans aucun autre commentaire que la partition sonore et le travail sur l'image. L'équipe de Snarx, principalement Erwan et Franky, a rajouté quelques effets numériques ici et là à la demande de Samsung, ce que Pierre Oscar avait l'habitude d'appeler malicieusement les effets Tannenbaum. Sur les 23 qu'il a réalisés, tous ne peuvent être des chefs d'œuvre, mais pour quelques uns d'entre eux j'ai des doutes ! Je dois enfin préciser que tous ont été conçus pour fonctionner en boucle et que leur durée moyenne est de 4 minutes.

Photographie de Pierre Oscar Lévy travaillant sur Les noces de Cana de Véronèse.

P.S. : nos 23 films sont sur le site de Snarx-Fx.

dimanche 22 août 2010

Il n'y a pas que les ânes qui chient de l'or


L'arrière grand-père de Françoise, celui qui joue le rôle du gamin dans L'arroseur arrosé des frères Lumière, Léon Trotobas, faisait paître ses deux chèvres le long de la voie ferrée départementale jusqu'à un terrain abandonné au Grand Séchoir, le Sécadou en provençal. Les riverains lui faisant tracas de son squat animalier, Léon, décidé de ne pas se laisser faire, l'acheta pour une bouchée de pain et planta des piquets pour ses chèvres. Jean-Claude me dessine le huit qui permettait à une chèvre de tourner autour du piquet. Avec le temps, La Ciotat s'étendit et le demi hectare se retrouva en pleine ville ! À l'occasion du mariage de sa fille et du futur maire communiste de la ville à l'époque des chantiers navals, Georges Romand, Léon construisit la petite maison carrée. Beaucoup plus tard, les parents de Françoise y plantèrent leur mobil home jusqu'à faire construire une seconde maison dix ans plus tard. Le jardin extraordinaire traversé par des ribambelles de canards doit donc son existence à un coup de colère d'un électricien des frères Lumière à qui les bourgeois refusaient d'y voir brouter ses chèvres.

samedi 21 août 2010

Gourmandise


Qu'est-ce qui ne faut pas faire par gourmandise ! Je fais le singe en grimpant plus haut que la grande échelle pour cueillir les figues que Jean-Claude doit réduire en confiture avec les pommes du fond du jardin. Depuis mes abus en début de semaine qui s'étaient soldés par une nuit difficile, j'y vais doucement.
Par contre, je suis passé aux gojis que je lave et fais tremper avant de les savourer le matin à jeun. Achetés à Chinatown à Belleville les petites baies rouges coûtent dix fois moins cher que chez les bios. C'est le dernier fruit à la mode. Les Chinois leur prêtent des qualités exceptionnelles. Wikipédia résume : "Le goji permettrait de renforcer les défenses immunitaires (propriétés anti-inflammatoires), de faire baisser la tension artérielle, le taux de cholestérol et de sucres dans le sang, d'améliorer l'assimilation du calcium, et de soulager le foie. Le goji est présenté comme pouvant être utile dans les cas de fatigue, de faiblesse immunitaire, d'hypertension, d'infection urinaire, d'excès de cholestérol, de prévention des troubles oculaires. Certains chercheurs chinois supposent que cette baie fait partie des aliments qui pourraient retarder le vieillissement cellulaire."
J'ai piqué une sacrée suée au faîte de l'arbre. Les grosses figues noires regorgent de sucre. Ça explose dans la bouche de l'indigo à l'ultraviolet. "En médecine chinoise, la figue est utilisée pour éliminer les toxines et traiter les furoncles. En herboristerie, elle est utilisée en préparation pour soigner les rhumes et dégager les voies respiratoires." Ce qui est bien avec les Chinois, c'est quoi que l'on avale il recèle toujours quelque chose de bon pour la santé. Ça vous déculpabiliserait de vous empiffrer.

vendredi 20 août 2010

Match de canards


Si les canards mangent les grenouilles, se repaissent-ils des souris ? Françoise qui a mis en eau le nouveau bassin construit par son père m'appelle pour assister à un match de rugby entre les six canetons étroitement surveillés par leur mère. Un souriceau tombé entre leurs becs sert de ballon à la bande de palmipèdes excités comme des puces. Ils n'arrêtent pas de se nager après en essayant de se chiper leur proie. Diabolo surveille la mêlée en arbitre de touche sans avoir droit d'y aller de son museau. Je l'ai enregistré en début d'après-midi avec un os entre les dents. Sa plainte phénoménale rappelait le cri d'un lion qui vient de se Quincy Jones dans la porte de sa cage. Loulou, le vieux labrador paralysé de l'arrière-train, s'en fichait éperdument, se réveillant de temps en temps pour lancer un aboiement aussi terrible que celui du jouet qui nous terrorisait lorsque nous étions enfants Passage du Panorama. Entre les grincements de ténor du Jack Russell, les sub-basses du Labrador, les coups de klaxons de la cane, les piaillements de sa marmaille, les stridulations des cigales, les gémissements des tourterelles, les jacassements des pies et le concert des petits oiseaux, il n'y a que les abeilles que l'on n'entend pas, cantonnées derrière les figuiers, trop absorbées à travailler.

jeudi 19 août 2010

Fiction ou réalité ? À vous de choisir !


Cher Jonathan,
lorsque cet été nous avons regardé ensemble le film Carlos, tu as convenu que le terrorisme ne pouvait être que d'État. Ce n'est pas le meilleur d'Olivier Assayas, mais il reste très intéressant, du moins dans sa version télévisée de 5h15. Si le premier épisode a du mal à choisir entre film d'action et réflexion politique, le second nous éclaire sur les simulacres de la realpolitik et fonctionne également très bien comme film à suspens. Le troisième est dès lors nécessaire, la durée profitant souvent à ce genre d'œuvre. Ma méthode qui consiste à chercher à qui profite le crime n'a pour l'instant jamais failli. Tu es par contre toujours resté sceptique sur les responsables du 11 septembre 2001, malgré tous les témoignages qui ont été produits, même si tu admets aujourd'hui que la version officielle est incohérente.
Comme presque tous les films que j'ai signalés ici-même (1 2 3 4 5), le documentaire de long métrage Zeitgeist, que m'indique Francis (sur DailyMotion avec sous-titres français), est visible gratuitement sur le Net. Tourné en 2007, il est construit en trois parties. La première montre comment le mythe de la religion fut élaboré depuis celui d'Horus, intégralement plagié par le Christianisme qui fait führer depuis vingt siècles. La seconde partie reprend des éléments majeurs de la contre-enquête sur les attentats du World Trade Center. La troisième dévoile les banquiers qui se cachent derrière le rideau. Le film peut parfois paraître agaçant aux Européens car il abuse des mêmes effets spectaculaires qu'il critique par ailleurs. On a le même sentiment avec ceux de Michael Moore ou avec toutes les fictions que l'entertainment américain continue de produire pour dénoncer les scandales dont votre gouvernement et les intérêts privés qu'il sert sont les auteurs. Fiction ou réalité ? Qu'elle que soit la crédulité des spectateurs dans un sens ou dans un autre, on ne perd pas son temps à le regarder et à l'écouter. À chacun de se faire son opinion ! Il n'empêche que la religion, l'État américain et le Capital sont sévèrement mis à l'index par nombre de témoins et je serai curieux de connaître comment ses détracteurs contreront chaque argument exposé.
Le film va plus loin, cernant le but de cette manipulation de masse. Il rejoint les craintes évoquées par Pierre Oscar, de finir nos jours dans un camp, au mieux ! Comme je l'ai regardé sur DailyMotion, j'ai eu la curiosité d'aller jeter un œil au site original zeitgeistmovie.com et là j'apprends d'abord que Zeitgeist n'a pas été à l'origine conçu comme film, mais qu'il s'agissait d'une performance multimédia avec musiciens live et vidéo qui s'est tenue à New York pendant six jours. Indépendamment et conséquemment au succès du film, 100 millions de vues jusqu'en 2009, Zeitgeist est devenu un mouvement, d'inspiration humaniste, à l'initiative de Peter Joseph, l'auteur-producteur des films, un musicien, trader à ses heures (infos ici aussi)... Il y a même une antenne française ! Je découvre également la suite intitulée Zetgeist Addendum dont j'avais fait un article en décembre 2008 (je n'avais pas fait le rapport en commençant mon article)... Comme si cela ne suffisait pas, un troisième sera mis en ligne à la fin de l'année, Zeitgeist: Moving Forward.
Je regrette de ne pas avoir regardé les deux premiers avec toi pour pouvoir en discuter de vive voix et je te souhaite une bonne fin d'été à New York.
Jean-Jacques

mercredi 18 août 2010

Quand ils sont venus me chercher...


Au lendemain de la victoire de Yorktown, Thomas Jefferson rendit hommage aux Français en déclarant que «chaque homme a deux patries: son pays et la France». La citation est souvent attribuée à Benjamin Franklin, mais qu'importe ! Lorsque j'étais enfant, mon père me racontait avec fierté que la France était la patrie des Droits de l'homme et une terre d'asile pour les réfugiés politiques et les apatrides.
Les manipulations électorales du gouvernement sarkoziste rappellent l'époque où les Tsiganes étaient pourchassés dans toute l'Europe. Au moins 250 000 Tsiganes, sur les 700 000 qui vivaient en Europe, ont été exterminés pendant la seconde guerre mondiale par les nazis et leurs alliés. Ce génocide souvent oublié porte le nom de Samudaripen. Trois mille furent internés dans 27 camps en France. Le fichier des nomades fut constitué avant celui des Juifs. Mais peu de Tsiganes français furent déportés, le gouvernement de Vichy défendant une politique de sédentarisation et d'intégration. Aujourd'hui Sarkozy et sa clique préfèrent les reconduire à la frontière. Le Times titre en une "Sarkozy expels Roma to spark memories of Gestapo (l'expulsion des Roms par Sarkozy rappelle la Gestapo)".
Si par hasard vous ne le connaissiez pas ou l'aviez oublié, je ne peux m'empêcher de citer le poème écrit à Dachau et attribué au Pasteur Martin Niemöller :
Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je me suis tu, je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les sociaux-démocrates,
Je me suis tu, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je me suis tu, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n’ai pas protesté, je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus me chercher
Il ne restait plus personne pour protester.
(traduction reprise de l'original en allemand)

mardi 17 août 2010

Seconde chance pour Mr Nobody, un film quantique


Après Toto le héros (1991) et Le huitième jour (1996), le cinéaste belge Jaco Van Dormael a attendu treize ans avant de réaliser son troisième long-métrage. Alors que le Festival de Cannes sélectionne quantité de navets, Mr Nobody (2009) a été refusé en sélection, mettant en danger sa sortie en salles, repoussée de plusieurs mois pour sortir discrètement en janvier 2010. Le scénario, fruit d'un travail quotidien pendant six ou sept ans, a dû être repris à la demande des distributeurs. Comme jadis Dans la peau de John Malkovich, l'édition DVD (Fox Pathé Europa) lui permettra peut-être de devenir un film culte au fur et à mesure des années. Car Mr Nobody échappe à la logique du cinéma de papa et fiston réunis, celui que nous infligent tant l'entertainment américain à destination des adolescents du monde entier formatés sur leur modèle et les balourdises hexagonales dont les ficelles ressemblent à des cordes à nœuds. Ce n'est pas non plus le cinématographe de grand-papa, même si l'invention plastique n'a rien à envier au temps du muet, car Mr Nobody est une autre manière de voir un film, si personnelle qu'elle n'augure pas même le cinéma de l'avenir. On peut éventuellement le rapprocher de l'excellent Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry ou de l'épouvantable L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher, en termes de préoccupations scénaristiques.
Impossible à raconter sans gâcher le plaisir du futur spectateur, Mr Nobody, 2h17 avec des comédiens anglophones, est un film d'anticipation, de construction complexe, basé sur les principes d'incertitude et les théories de Schrödinger, ce qui fit dire à des jeunes spectateurs qu'il s'agissait d'un film quantique ! Puisqu'il faut une explication à tout, la psychanalyse viendra au secours de la science pour justifier des univers parallèles que composent nos possibles "tant qu'on n'a pas choisi". Les images, les effets spéciaux, les décors sont à la hauteur de cet ambitieux projet qu'ils servent avec intelligence. Le recours à de nombreuses citations musicales sont justifiées par le propos et Jared Leto est formidable dans son rôle à transformations. J'en ai déjà trop dit, il vaut mieux vous souhaiter le plaisir de la découverte...

lundi 16 août 2010

Les Marseillaises


Les Marseillaises cueillies sur l'arbre tiendraient leur nom de la planète Mars que je n'en serais pas étonné. C'est à tomber par Terre si l'on n'y prenait garde en grimpant sur l'échelle pour cueillir au sommet les plus mûres. Quand on commence il est difficile de s'arrêter de les dévorer tant elles sont délicieuses, fondant dans la bouche avec leurs petits grains qui viennent vous chatouiller le palais. Ma princesse, elle aussi marseillaise, s'en délecte sous les yeux de Diabolo qui a plutôt une furieuse envie de jouer à chien perché. Je n'ai jamais mangé de figues de Marseille, appelées aussi figues d'Athènes, couilles du pape, blanquettes, blanchettes, grises de Marseille ou liparis, ailleurs que dans le jardin de La Ciotat. Je n'en ai jamais vu sur aucun marché, probablement parce qu'elles se conservent mal. Leur parfum et leur sucre surpassent pourtant les meilleures des grosses figues violettes. Elles sont deux fois plus petites et ne passent du vert au jaune que lorsque le soleil les a confites. Il faut les cueillir vite, car après l'orage elles éclatent et les mouches viennent pondre leurs œufs dans leur cœur écarlate. Si l'on n'est pas regardant, cela apporte un supplément de protéine, mais cela n'y fait rien au goût ! Jean-Claude les transforme parfois en confiture, mais rien ne vaut de les cueillir soi-même et de les engouffrer aussi sec. Aucun fruit, même la meilleure framboise, n'égale à mes yeux cette merveille de la nature. Question de goût.

dimanche 15 août 2010

The Rest is Noise, une démarche américaine


Arrivé au bout des 750 pages du best seller d'Alex Ross sur l'histoire de la musique au XXe siècle, je ne suis pas aussi emballé qu'en en commençant la lecture.
L'essai est passionnant, mais il nécessite d'y ajouter quelques bémols, à commencer par le choix de ne pas en traduire le titre. Attention, le texte abonde en faux amis, au propre comme au figuré. Avec The Rest is Noise, Ross renverse les derniers mots d'Hamlet ("le reste est silence") pour signifier que tout le reste n'est que du bruit, assimilant le silence au bruit, clin d'œil à la pièce 4'33" de John Cage, emblématique de l'art conceptuel et de la musique contemporaine. Le "rest" anglo-saxon est aussi une pause en langage musical, mais il y en a peu dans ce texte au demeurant plein d'anecdotes croustillantes, de perspectives historiques et de courtes analyses musicales. Il reste (en français dans le texte !) peu de place pour le silence et la réflexion. Le titre apparaît alors comme un élément de marketing sans réel rapport avec le contenu du livre.
Alex Ross survole en effet son sujet sans savoir en tirer de réelle leçon, tant historique qu'analytique, trop enclin à vouloir revaloriser la musique américaine face à l'hégémonie allemande, à confondre les ravages du nazisme avec ceux du stalinisme par un anti-communisme primaire, oubliant complètement l'école française du début du siècle (Debussy, Ravel, Satie, etc.) et privilégiant des compositeurs comme Stravinsky, Sibelius ou Copland au détriment de Ives ou Varèse. L'ensemble prétend "parler de la musique classique comme si elle était universellement populaire, et de la musique populaire comme si elle accédait enfin à l'intemporalité de ce qui est classique". Or ce dernier mouvement est hélas bâclé, son survol rapide ne permettant pas de comprendre sérieusement ce qui lie les unes aux autres, ce qu'elles se doivent mutuellement. Faisant également l'impasse sur l'influence des musiques traditionnelles sur celles-ci, son approche finit par se révéler fondamentalement bourgeoise, centralisatrice et colonialiste car coupée des racines profondes qui leur ont permis de se développer. Manifestation typique de l'industrie culturelle américaine, il offre néanmoins un point de vue intéressant sur comment est perçue l'Histoire de la musique depuis le centre du Monde !
Si l'on ne prend donc pas l'essai pour une Histoire de la musique au XXe siècle, sa lecture peut apporter maintes informations amusantes ou dramatiques sur tel ou tel compositeur, surtout s'il émigra un temps outre Atlantique. Alors que la judaïcité de nombre d'entre eux est connue, Ross se conforte d'une homosexualité courante parmi les compositeurs du XXe siècle sans qu'il sache tirer parti de ce coming out forcé. De même les engagements politiques largement évoqués apparaissent confus. On flotte la plupart du temps en surface, sauf pour Britten dont l'étude est la plus poussée.
La démarche est intéressante, mais elle n'est que le prologue d'un travail à réaliser. Le journaliste ne comprend pas les motivations profondes qui animent les compositeurs pas plus qu'il ne sait analyser la relation étroite des différents courants artistiques en butte aux épreuves de l'Histoire. À trop chercher à défendre ses inclinations personnelles il passe à côté de la découverte des diamants noirs qui jalonnent le XXe siècle. Sa "modernité" en devient réformiste et son "écoute" gentillette. De l'astucieuse "orientation discographique et bibliographique" au Blog et au site Internet où l'on peut picorer des extraits des œuvres évoquées, on sent l'opération marketée plus qu'une recherche philosophique qui permettrait de comprendre la diversité des approches musicales des dernières décennies. Le chapitre consacré au reste de la planète et l'épilogue ne suffisent pas à cacher que le livre d'Alex Ross obéit à la banale et insupportable démarche américaine qui consiste à prendre la culture de son pays pour l'étalon universel. Les pages sur les musiques actuelles souffrent ainsi d'une méconnaissance des différents courants et processus à l'œuvre. The Rest is Noise (Ed. Actes Sud) est un livre plein d'informations, qu'il faut prendre avec des pincettes dès que l'on s'écarte du domaine musical et qui manque fondamentalement d'un point de vue sur ce qu'est la création.

samedi 14 août 2010

Énième alerte


Dans une séquence de L'astre, scénario de long métrage que j'écrivis d'après Présence de la mort de C.F. Ramuz, un homme se suicide par peur de la mort. Nous vivons dans la plus grande absurdité. L'humanité attend les grandes catastrophes pour bouger alors que la raison devrait imposer des choix draconiens. J'ignore s'il s'agit de la sélection naturelle qui lui échappe forcément, de la stupidité des guides, du cynisme des nantis, d'une fatalité mystique ou d'un cocktail de tout cela, mais jusqu'ici l'équilibre, même précaire, a été maintenu, tant que l'on pouvait réparer les dégâts. La vitesse caractérisant notre époque le permettra-t-elle éternellement ? Certainement pas ! Tout a une fin et l'entropie fait son œuvre. Nous sommes devenus trop nombreux. Il y a autant d'humains vivant aujourd'hui que la somme de tous ceux qui ont vécu depuis l'avènement de l'humanité ! L'équation est incroyable. On recouvre la terre de toujours plus de bitume. Les incendies russes, s'ils touchent les centrales nucléaires et les zones radioactives mettent en péril toute la planète. L'iceberg trois fois grand comme Paris qui s'est détaché du Pôle devrait ébranler ceux qui doutent encore du réchauffement climatique. Inondations, raz de marée, tremblements de terre sont-ils les signes avant-coureurs du pire ? Il n'y a pas que les événements qui nous incombent. La longévité de notre soleil ou n'importe quelle grosse météorite s'écrasant sur la Terre pourraient changer la donne. Le physicien Stephen Hawking suggère que si nous ne colonisons pas l'espace d'ici cent ou deux cents ans, nous sommes cuits, mais nous en sommes bien loin. L'économie ne va guère mieux. Plus qu'aucun autre système, l'ultra-libéralisme aura montré ses limites aussi vite qu'il aura été promu. L'Asie ne se laissera pas toujours exploiter par l'Occident. La Chine se réveille. Partout les inégalités se creusent. Sachant que cela ne peut durer, on tire sur la corde, on joue avec le feu. Nombreux scientifiques s'en émeuvent, mais personne ne veut entendre les mauvaises nouvelles. La quatrième guerre mondiale est commencée depuis longtemps, mais elle pourrait enlever son masque démocrate comme le fascisme refaire surface. Nous ne sommes pas à l'abri. Si nous pouvons espérer échapper au pire en jouant la montre et en nous parquant dans des cités sous haute surveillance, qu'en sera-t-il de nos enfants ?

vendredi 13 août 2010

Dernières tomates


"Dernières tomates" n'est qu'une manière d'annoncer les dernières nouvelles, car ce sont pour moi les premiers fruits de l'année que je cueille sur l'arbuste. Je ne crois pas comme Saint Matthieu que "les derniers seront les premiers" (chapitre 20), préférant à la paraphrase biblique un "à travail égal salaire égal" (GRRR 1005). Tandis que j'arrose le potager quelques gouttes viennent à tomber. Si peu qu'elles nous semblent un mirage. Jean-Claude a creusé des rigoles qui facilitent le travail. L'eau coule de pied en pied et je n'asperge les miens qu'en passant aux potimarrons, faisant bien attention de ne pas mouiller les feuilles des tomates. Comme j'en coupe les gourmands qui affaiblissent les plants je me retrouve avec les mains vertes, réputation que je n'ai pas, bien que je sois habituellement en charge de la végétation de notre maison. Chaque son, chaque pas sur le gravier nous rappellent forcément l'absence de Rosette. Cette mémoire douloureuse s'adoucira avec le temps. En apprivoisant la perte, la tendresse permet de ne conserver que les leçons de vie. Au retour de la baignade, je me gave de figues marseillaises et de chasselas avant de régler les points en suspens des projets supposés terminés et ceux en devenir. Le farniente prend doucement. J'ai même réussi à faire une petite sieste. C'est la révolution. J'en suis rouge de confusion. Comme une tomate.

jeudi 12 août 2010

Un train peut en cacher un autre


En photographiant le ciel au hasard des 300 km/h, j'intercepte un trapèze suspendu aux caténaires. Avec la campagne sécuritaire que mènent les bandits qui nous gouvernent, c'est moins risqué qu'un fer à béton. L'acrobate électrifié se consumerait tout de même vitesse V, participant à l'effet de fumée déployé par le gouvernement pour faire oublier l'affaire Bettancourt qui risquait de le faire chuter. Les faits divers reflètent une société, mais ils servent aussi à camoufler les scandales lorsqu'ils sont promus en une des journaux.
Un ami qui voulait renouveler sa carte de séjour à la Préfecture de Bobigny, s'étant planter la première fois à cause de l'afflux de monde, s'y est pointé à 7h30 du matin, une heure plus tôt que conseillé par le préposé. Il y avait déjà trois cents personnes ! Certains y avaient passé la nuit. Devant les policiers présents pour calmer les ardeurs des révoltés, des margoulins revendaient de bonnes places dans la queue 50 ou 100 euros. Malgré cela l'ambiance cosmopolite laissait percer la solidarité. À 9h30, un employé est passé prévenir que ce jour-là on ne pourrait recevoir autant de monde. Début août, seuls deux guichets étaient ouverts. Alors encore trois personnes derrière mon ami, mais les autres devraient revenir. À 16h30, il a pu retirer le dossier qu'il était venu chercher. On ne lui a pas demander son nom. Il n'a eu à montrer aucun papier. C'est sympa. Il avait seulement passé deux jours pour se voir remettre un dossier à remplir.
La fumée russe ne se dispersera pas aussi vite. Le vent apporte de très mauvaises nouvelles. On nous racontera pourtant les mêmes mensonges qu'après Tchernobyl. En Allemagne, les sangliers sont abattus sans pouvoir être mangés. En France, quatorze ans plus tard, les champignons sont toujours impropres à la consommation dans de nombreuses régions. Mais ce ne seraient que des symptômes négligeables. Nous n'aurions pas été touchés. Le mensonge, le gâchis, la bureaucratie, le profit sont des valeurs sûres...

mercredi 11 août 2010

Bagnolet, dernière station avant l'autoroute


Commandé lundi midi chez Etal'Pro, le tuyau lumineux est arrivé hier matin, juste à temps pour que je puisse l'essayer avant mon départ pour le sud. Passé l'effet diurne aux couleurs années 60, les douze mètres de trous de l'Isorel ont multiplié les leds jusqu'au fond du jardin comme l'avait imaginé Annie. Il a suffi d'ajouter la guirlande rouge qui longe le mur du fond et un puissant halogène de chantier sur le palmier et les bambous géants pour donner son air exotique à mon neuf cube.
À gauche, un clavier de pots de fleurs surplombe le bureau des invités où est installé mon vieux G5. J'ignore si Sonia et Elisabeth, qui tiendront compagnie à Scotch en notre absence, l'occuperont ou si elles préfèreront investir le studio dont on aperçoit à droite le fauteuil de massage. Nous y avons effectué quelques essais de volume sonore avec tambour et voix la semaine dernière ; en effet, rien ne passe. La lumière de la nuit n'est pas suffisante pour distinguer la porte et la table en marquèterie de ma tante Arlette, ni les centaines d'heures d'archives réfléchies par le grand miroir.
Dans l'après-midi j'ai croisé Anaïs à qui j'ai demandé si elle partait en vacances. Comme elle me répond qu'elle est revenue depuis un moment, je comprends soudain que nous sommes déjà presque à la mi-août. Je ne me suis aperçu de rien. Mais mon titre est trompeur. "C'est bien plus romantique !" Je rejoins Françoise à La Ciotat en TGV. Trois heures jusqu'à Marseille ne justifient pas que je prenne la route. En me mettant au vert, j'espère bien changer de sujet.

mardi 10 août 2010

Workaholic


Je continue à ne pas comprendre comment le sort s'acharne sur moi. Remarquez, je n'ai pas dit pourquoi. Ça, je le sais. Une très très vieille histoire. Mais chaque fois que j'imagine passer une après-midi peinard, le téléphone sonne, sonne, sonne... Le matin colle chez Décor Plus, croquettes pour le chat, provision de harissa yéménite (il est vert et génialement parfumé) car le Champion de la Mairie de Bagnolet a changé de grossiste, commande d'une guirlande lumineuse blanche et les activités nécessaires à l'entretien d'une grande maison... J'ai le temps de me faire un expresso, mais je le boirai froid. Entre temps, la galopade a recommencé. Repris le mixage du de La Tour et du Giorgione, ici un son de semelles trop fort, là une boucle, parfaite sur Cubase ou Peak, mais qui clique sur QuickTime. Pierre Oscar et moi faisons notre hit des meilleurs courts-métrages parmi les 23 réalisés en un mois.
Le dernier, Les Noces de Cana, qui fut accessoirement le premier, pilote de la collection, produit un effet complètement différent lorsqu'on l'écoute sur des enceintes ou au casque qui permet d'entendre la foule se pressant au Louvre devant le tableau et y allant de ses commentaires dans toutes les langues de la planète. C'est à la fois drôle et passionnant. La bande-son contemporaine, intégrant bruit de fourchettes, perroquet, et surtout transformation de l'eau en vin, donne au tableau de Véronèse une allure d'éternité, à la fois récit biblique, arrêt sur image et tranche de vie quotidienne. Magie du cinéma, sa durée a doublé, mais il semble plus court. Sortie prévue : 20 septembre.
Pourtant, un travail n'est terminé que lorsque tous les protagonistes ont fait leur travail, et le comptable n'a pas encore réglé la note comme le stipulait notre accord. Ce n'est pas encore du vin qui coule de la jarre...
Là-dessus, Sophie me réclame la spirale pour remonter le temps dans 2025 ex machina. Le jeu se simplifie, les fruits trop mûrs tombent, faisant ressortir l'unité de notre travail qui s'étala sur plus d'un an. Les trucs livrés qui ne fonctionnent pas sont toujours une question de réglage, il suffit souvent de baisser le niveau, de faire le ménage, ajouter un léger fondu et ce que l'on a imaginé prend soudain forme. Il ne me reste que la conclusion à composer dès que j'aurai reçu la séquence linéaire montée à partir des images de Nicolas. Sortie prévue : novembre.
Je pars avec tout le "petit" nécessaire de voyage, ordinateur, magnétophone, Tenori-on et Kaossilator, guimbardes, l'intégralité de ma sonothèque, mais chut, je risque de me faire gronder. Le projet est de me reposer enfin. J'y tiens. On verra ce qu'on verra. C'est tout entendu. Sortie prévue : demain !

lundi 9 août 2010

Le soleil invariable


Annie n'a probablement pas l'habitude d'avoir des clients avec des goûts si colorés. Elle a repeint le mur du studio, toujours à l'ombre, comme si un rayon de soleil l'éclairait toute la journée. J'avais d'abord écrit que le mur était à l'est, mais c'était le contraire, il était comme moi depuis quelque temps, à l'ouest. La nuit, une guirlande lumineuse cachée sous le bandeau traverse les trous de l'Isorel orange posé par Caroline. Les petits miroirs réfléchissent et les baguettes en bambou rappellent ceux du jardin. Ce n'est pas du luxe, le mur était dépouillé par les intempéries, le toit de goudron noir protègera le auvent. Peindre le bac en orange ainsi que la tranche de la terrasse constituera un rappel agréable. Le plus surprenant est la continuité de couleurs avec le reste du rez-de-chaussée. Si l'on se place dos à la bibliothèque et que l'on effectue un panoramique depuis la cuisine jaune et orange en passant par les toilettes vert pomme jusqu'au fond du jardin, l'effet est saisissant. Il n'y a aucune rupture entre l'intérieur et l'extérieur, si ce n'est la porte vitrée et la chatière qui sert encore à Scotch malgré ses huit kilos et demi !

dimanche 8 août 2010

Mon ange


Louise rappelle que c'est la nuit des étoiles. On pourrait les admirer facilement cette nuit s'il n'y avait pas de nuages et si nous étions loin de toute agglomération. Les lumières de la ville nuisent aux lucioles qui brillent à des années lumière de notre pauvre petite planète bien mal en point.
La perspective du temps qui me sépare de ces cuivres étincelants me rassure tandis que les trous noirs qu'ils oblitèrent me renvoient dans les cordes. Mauvaise conseillère lorsqu'elle fait de nous des lâches, la peur peut se retourner comme un gant de caoutchouc et nous pousser à réaliser des projets pour lesquels nous nous jugions incompétents. Ce sont d'ailleurs toujours les plus réussis, venus de l'au-delà ou soufflés par l'inconnu que nous hébergeons. La mécanique quantique et la relativité einsteinienne se croisent au centre de notre univers, un point précis que je situerais un petit peu en-dessous du nombril. Le doute agit de la même façon. Il habite forcément tout créateur qui marche pour la première fois sur la Lune. Un coup de vent balaie le ciel, faisant apparaître notre bonne étoile, chacun la sienne. L'une d'elles porte mon nom. J'imagine qu'il y en a pour tout le monde. Il suffit de se projeter sur la Toile, du moins les points vitaux de notre organisme précaire, en équilibre instable, et de chercher celui que j'ai évoqué tout à l'heure, résultante des forces, tant musculaires que cérébrales, le centre de l'étoile que nous venons de dessiner en reliant tous les points. Peu importe s'il bouge. Rien n'est fixé une fois pour toutes. Attention de ne tracer que des vecteurs, jamais de lignes. Les flèches de Cupidon, avec leurs extrémités trempées dans les flammes des astres bouillants, sont la pointe des ailes qui permettent de s'envoler.

Bande-son : Les étoiles filantes.

samedi 7 août 2010

Rosette a pris la clef des champs


C'était il y a moins d'un an à La Ciotat. Était inaugurée une sculpture à la mémoire des camarades des chantiers navals tombés pour la Résistance. Rosette et Jean-Claude, fidèles au poste, riaient tout de même avec nous de la cérémonie, nos shorts contrastant avec ses pompes, et du lourd monument qui ne risquerait pas de s'envoler. Rosette a toujours aimé rigoler. Pour la caractériser, j'emploierais les mots rigolade et résistance. Dans le film de sa fille Françoise, elle revendique d'avoir eu une bonne vie et d'avoir été beaucoup aimée. C'est vrai. Elle savait se battre, mais le cancer qui l'a emportée n'a pas traîné. Nous aurions dû comprendre les signes avant-coureurs, mais elle n'aimait pas se plaindre. On pensait Rosette invincible, mais la mort n'est pas une étrangère. On vit avec. Le seul ennemi est le renoncement des vivants, leur démission devant l'adversité. Rosette a su nous donner des leçons de vie, le goût du combat, de la légèreté et du plaisir partagé.

vendredi 6 août 2010

L'Arlésien


Pressurisé entre les payeurs indélicats, la disponibilité hypothétique du matériel pour terminer le chantier, mes maladresses à appréhender la console d'administration du futur drame.org et un moustique qui me pique à l'endroit tendre entre les doigts, je choisis de tirer le Joker. Peine perdue, pas moyen de me souvenir où j'ai rangé les jeux de notre enfance et Google, mauvaise pioche, me dirige presque exclusivement vers Jack Nicholson et Heath Ledger... Heureusement que Françoise m'a amoureusement fait jouer le rôle du Joker arlésien dans Thème Je ! Capture écran de la scène où Aldo tire le bonneteau et le tour est joué. Manière de vivre. On fait semblant pour ne pas dire qu'on est triste. Un autre tour. Un mauvais tour. Rosette s'éteint doucement. Quelle tristesse ! Bientôt on ne pensera qu'à son sourire. Mais là ça fait mal au ventre.

jeudi 5 août 2010

Le Château des Carpathes


Une semaine après avoir téléchargé sur mon iPhone 4 l'application qui permet de recevoir gratuitement un étui pour régler le bug de l'antenne du téléphone, j'ai reçu le bumper, un cadre en caoutchouc tout simple qui a l'avantage de protéger un peu l'appareil et, surtout, plus agréable en main que la froide tranche en métal. Le signal de réception est enfin stable quelle que soit la façon de tenir le combiné. J'en profite pour faire un tour du propriétaire en testant les applications auxquelles mon iPhone 1 ne me donnait pas accès.
La définition des chaînes de télévision est incroyable. Je ne pouvais imaginer qu'il soit possible de suivre des émissions sur un aussi petit écran. Dommage que je ne la regarde jamais, bien que je sois encore en-dessous de l'âge moyen d'un téléspectateur d'Arte ! Ajoutez en dix de plus pour les chaînes du service public ou TF1 et vous comprendrez que la retraite a sonné depuis belles lurettes... Contrairement à ce que nous avions imaginé, les jeunes délaissent la télé au profit d'Internet ou d'activités plus saines que l'encloîtrement. Dans un accès de jeunisme caractérisé qui en irrita plus d'un avant que je ne déserte les réunions de producteurs indépendants, je vais donc dehors faire un tour. Comme il faut toujours que je pousse le matériel dans ses retranchements, j'ai raison du GPS d'Orange Maps en désobéissant systématiquement à ses injonctions vocales. Même s'il me court derrière, c'est assez époustouflant pour moi qui n'avais encore jamais testé la prise en charge automatique. Il sera dans ce cas indispensable d'utiliser un adaptateur sur l'allume-cigare, l'application dépensant vite son énergie. L'appareil-photo 5 Mo pixels et la caméra HD sont évidemment d'une qualité incomparable, comparés à la première version, mais je n'ai pu encore tester Face Time qui ne fonctionne qu'avec un autre iPhone 4, restriction limitant considérablement l'intérêt de la communication visiophonique, entendu que la plupart de mes camarades ne sont pas aussi timbrés que moi avec les nouvelles technologies.
L'alimentation externe occupe moins de place, mais le reste des améliorations est surtout dû au dernier système, l'iOS4 que Françoise a installé sur son 3G (donc la version 2) devenu hyper lent depuis.
Conclusion, c'est épatant, surtout si je me remémore Le Château des Carpathes ou toutes les élucubrations de Jules Verne qui constituaient la base de notre culture de science-fiction lorsque nous étions gamins. Un Drame Musical Instantané adapta ce roman pour la scène en 1987 avec Frank Royon Le Mée dans le rôle du récitant de cette "cantate enflammée". Dominique, qui nous accompagnait, et Bernard ayant pris une cuite au genièvre la veille, ce dernier fut pris d'une colère disproportionnée contre les fusées du feu d'artifice qui risquaient d'affoler les pigeons et déserta le parvis de l'église de Marcq-en-Barœul où nous étions installés pour jouir du spectacle auquel nous participions. Frank s'emballa, ne laissant plus aucun espace pour les instrumentaux que Francis et moi étions condamnés à interpréter en assumant la partition de notre camarade trompettiste en plus des nôtres. Plus ça allait, plus Frank accélérait. Je ne me souviens plus de grand chose si ce n'est du roman que nous avions habilement rajeuni avec nos machines du XXe siècle !

mercredi 4 août 2010

Un jour comme un autre


Encore une journée détournée de mes bonnes intentions ! Je me lève tôt en me promettant que je vais me reposer, m'allonger pour lire et farniente. J'ai travaillé jusqu'à 3 heures 30 du matin sur le nouveau site du Drame que Jacques concocte avant de partir pour la Corse.
Après la lecture rituelle des deux quotidiens qui tombent dans la boîte aux lettres aux alentours de 6h30, je fais quelques courses comme un jour férié après être passé voir ma tante Arlette Martin pour récupérer un exemplaire du livre qui lui est consacré et dont j'ai rédigé la préface. Ses initiales AM laissent imaginer qu'il s'agit aussi de celles de l'Artiste Muraliste.
Halte à Chinatown où je trouve toutes sortes de petites aubergines, certaines grosses comme des petits pois, d'autres blanches ou jaune canari. Même sans connaître les légumes extraordinaires exposés sur les rayons de Belleville on imagine très bien comment les cuire, haricots thaï, épinards bizarres ou le nerf de bœuf dont la tendresse n'apparaît qu'à la cuisson. Pour le crabe cru en saumure, gluant, c'est si bon à sucer.
Autour du métro, je suis surpris par la nouvelle faune qui a envahi les trottoirs cet été, ostentatoires femmes mûres bras ballants renvoyant un portrait terrible de la misère et de l'exploitation. La communauté chinoise est en train de se transformer, c'en est l'un des signes.
Emporté par mon élan, je commence à scanner les pochettes de la trentaine de mes disques dans une meilleure résolution qu'en 1997 lorsque Étienne Mineur chez Hyptique avaient réalisé la première version du site drame.org. Les 33 tours, trop grands, réclamant qu'on les photographie je m'énerve contre les erreurs de parallaxe quand FRA me demande de fabriquer de jolies boucles pour Carmen de Bizet, leur prochain DVD pour lequel Etienne Auger dessine l'interface. Évidemment c'est urgent, à faire toute affaire cessante !
Comme je suis un garçon raisonnable, je commence à faire des projets de vacance pour demain, mais Sonia m'apprend que Pierre Oscar a été obligé de reprendre complètement le Véronèse réalisé en mars et, catastrophe pour mon planning doigts de pieds en éventail, le nouveau film passe de 4'47 à 9'36. Cela signifie que je dois entièrement reprendre la partition sonore dont la scénarisation épouse avec minutie les mouvements de la caméra. Pour m'avancer sur le montage et le mixage, je ralentis le quatuor à cordes que j'avais composé en faisant passer la noire de 120 à 110 et en humanisant l'interprétation virtuelle par des artifices aléatoires ou contrôlés. Un peu des deux, comme sel et poivre, huile vinaigre, aigre-doux... La différence avec "dans le temps", c'est que j'arrive à faire tout en douceur. N'empêche ! C'est comment qu'on freine ?

Illustration de Massimo Mattioli extraite du livret du CD Qui vive ?

mardi 3 août 2010

Goutte de pluie attrapée au lasso


Bon moment, mauvais temps. À l'instant où j'appuie sur le bouton, Annie passe dans le champ. La tête en bas les pieds en l'air. Accroche-toi au pinceau, l'auvent lève l'échelle. Il était temps. L'averse arrose le jardin à grosses gouttes, tissée serrée, rideau. Derrière la fenêtre je regarde le nouveau mur jaune, le vert d'eau du bandeau, j'imagine la frise orange. La machine à laver s'est arrêtée. Annie profite de nos goûts colorés pour faire éclater la palette. La bille de verre du carillon retournée propulse la maison à des kilomètres vers le sud. Repeindre le mur du studio, c'est ravaler la façade, comme aller chez le coiffeur ou s'acheter un nouveau vêtement. Soudain je repeindrais bien tout, frénétiquement, des quatre faces de notre home jusqu'aux temples grecs qui ne connurent la couleur de la pierre qu'avec l'usure du temps. Dommage que je déteste tout ce qui salit, déjà que je ne suis pas fan du bricolage ! J'ai presque toujours laissé les filles choisir les couleurs vives qui m'inspireront. Cela a fini par déteindre sur moi. Je suis sorti du noir.

lundi 2 août 2010

Charnière


Le boulanger de la place du Vel d'Hiv est parti en vacances. Charlie, le boucher, n'avait plus assez de clients pour rester ouvert. Le quartier est comme sinistré. Il ne reste que l'épicier, Ismaël. Pour le reste il faut enfourcher sa bicyclette. La rue est calme. Françoise filme les Gay Games à Cologne. J'ai presque terminé mon travail. Une dernière réunion sur les tableaux me retient à Paris et je n'ai plus qu'un petit film à sonoriser pour 2025. Le reste pourra se faire à distance : un texte à écrire sur les croisements entre les cultures, les disciplines, les espaces, etc. que m'a demandé Catherine Peillon pour le futur DVD des 38èmes Rugissants, mon activité quotidienne dans cette colonne, préparer les prochaines migrations de lapins, mais surtout reconstruire ma force de travail en me la coulant douce.
À la rentrée, je devrai attaquer la composition de mon nouvel album dont je souhaite avoir enregistré les bases avant Noël pour me concentrer ensuite sur les solistes pris en charge par Radio France. L'autre grand projet est ma collaboration à une nouvelle et excitante aventure avec le scénographe Raymond Sarti qui s'étalera sur deux ans. Je crois que nous n'avons rien fait ensemble depuis Jours de cirque au Grimaldi Forum à Monaco il y a huit ans. L'année se présente sous le signe du voyage, dans le temps, passé et futur, avec mon disque, et dans l'espace grâce au concours remporté par notre équipe, avec Saint-Nazaire comme port d'attache et l'océan en perspective, du moins virtuelle.

dimanche 1 août 2010

Les œufs de serpent s'envolent


Rien à faire. La fatigue me brûle les yeux devant les pages de The Rest is Noise. C'est trop tôt. Rien à raconter. L'année du coup d'état des colonels, mes parents m'avaient rapporté un komboloï, l'amuse-doigts des Grecs. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Dans une rue d'Athènes la police les avait pris à parti. Je cherche le calme en scrutant le jardin où peint Annie. Contrairement à mes boules de Qi Gong, les Bao-Ding anti-stress, qui tintent comme un hochet, mais qu'il ne faut pas laisser se toucher, je jette en l'air ma paire d'œufs de serpent pour produire des sons inouïs, entre la cymbalisation de la cigale et la fermeture éclair en nylon. Dans leur chute les pierres magnétiques se frôlent en se rapprochant l'une de l'autre, produisant un étonnant son strident. Je pense à autre chose... Pour un dimanche, ça ira.