70 septembre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 30 septembre 2010

Tintin


Enfant, je suivais mes héros en feuilleton, une double page après l'autre, dans le journal Tintin. Nous étions tenus en haleine, comme aujourd'hui les gosses avec leurs séries télévisées. Enfin, pas que les gosses ! Mes préférés étaient Blake et Mortimer, mais j'aimais aussi les personnages de Hergé, et aussi Chick Bill. Je m'étais fait offrir les albums des histoires que je voulais relire souvent. Plus tard, longtemps après la mort de Hergé, j'ai acquis leurs aventures complètes pour les jours de pluie en Bretagne. Alors j'ai fait cadeau de toute ma collection d'hebdos à un ami, sans en connaître la valeur, je ne sais combien de paquets ficelés... Je ne lisais pas Spirou, mais c'est tout de même un original de Gaston Lagaffe dessiné par Franquin, époque Idées noires, qui est accroché dans le studio !
Mon père avait reçu en service de presse quatre 33 tours 30 cm de Tintin, Les cigares du pharaon, Le lotus bleu, Objectif Lune et On a marché sur la lune, ainsi que, définitivement mes préférés, La Marque Jaune et Le secret de la Pyramide d'après E.P. Jacobs. "Minuit sonne dans le ciel d'Angleterre tout alourdi de pluie. Au bord de la Tamise sur le fond du ciel sombre, la Tour de Londres découpe sa dure silhouette médiévale. À l'abri de ses murs crénelés une ronde du Royal Fusiliers inspecte les sentinelles qui montent la garde autour de Wakefield Tower. Wakefield Tower, la tour où sont gardés les bijoux de la Couronne. Soudain...". Comme Elsa connaîtrait par cœur les dialogues et les chansons des Demoiselles de Rochefort, je finis par me souvenir à jamais du texte de ce disque, Grand Prix de l'Académie Charles Cros. J'imagine que l'évocation radiophonique eut une influence considérable sur mes compositions musicales. J'ai tellement écouté les aventures sonores de Buffalo Bill, Le courrier de Denver City, que le 25 cm est complètement usé. La présentation de William Cody par lui-même apparaissait comme un modèle au petit garçon de cinq ans que j'étais, j'ignorais alors le tueur de bisons qui avait participé en cela à l'anéantissement des nations indiennes. Des Pieds Nickelés à Bibi Fricotin, les héros de bande dessinée auxquels je m'identifiais ouvraient un champ imaginaire plus large que les acteurs de cinéma. En enlevant des paramètres à la réalité on aborde des rivages poétiques par ailleurs inaccessibles.

mercredi 29 septembre 2010

Les lapins à Bruxelles


Escale bruxelloise. Je ne suis pas revenu depuis les années 50 ! Mes parents m'avaient acheté un Manneken-pis avec une poire. Je prends quelques photos de murs peints inspirés de bandes dessinées et fais le nécessaire pour comparer les chocolats de Laurent Gerbaud et de Marcolini.
Les Galeries Royales St Hubert ont été fermées au public pour la soirée d'ICT 2010. Nos lapins se plaisent bien dans la belle salle du Théâtre du Vaudeville. Je les ai tellement pris en photo que dorénavant je cadre plutôt les décors dans lesquels ils s'ébattent et qui sont souvent étonnants. Nouvelles options aidant, il faut voir les centaines de téléphones portables filmer la scène toute la soirée. Les spectateurs conditionnés par les applications interactives sifflent ou se déhanchent vainement devant notre clapier impassible, exécutant inexorablement leur partition ORL (Oreilles Roucoulade Lumière). Nous dédicaçons le Nabaztag que l'organisateur offre au Ministre bruxellois de la recherche scientifique et de l'innovation, et après un sandwich frugal en guise de dîner officiel, nous terminons la soirée dans un hôtel automatique design où tout est en supplément sauf le savon épais comme un chewing-gum et friable comme une ardoise. Pour les moules frites et la gaufre, c'est tintin, autre spécialité locale. Je souris en me rappelant la devise de notre régisseur londonien : "Smile and invoice !".
Après une nuit très courte et agitée, probablement due à un mélange alcoolisé, je poste mon blog depuis le Thalys, agréablement équipé d'Internet en wi-fi.

mardi 28 septembre 2010

La crampe de l'écrivain


Déclarer ses œuvres à la Sacem est un passage désagréable quand on en a écrit des tripotées. J'ai l'impression de faire des lignes comme lorsque nous étions punis en classe. J'ai mal au dos à hurler, je n'arrive plus à tenir un stylo, je n'ai qu'une idée, passer à autre chose. Il est pourtant indispensable de déposer les œuvres écrites pour les films présentés à l'exposition Révélations au Petit Palais. Il ne s'agit pas seulement de perception, mais également de protection. On a connu des escrocs qui déposaient une chanson, ou même seulement le titre, avant que son auteur l'ait fait alors qu'il l'avait évoqué par exemple à la radio. Ensuite, ça se plaide, ça se négocie, ça se prouve, mais que d'ennuis pouvant être évités ! La répartition est le moment le plus agréable, parce qu'en général on ne s'y attend pas, même si elle tombe à dates fixes.
J'ai l'habitude d'attaquer les sociétés d'auteurs de l'intérieur et de les défendre à l'extérieur. Les plus intéressés à les voir s'affaiblir sont les industriels et les majors qui voudraient bien s'en débarrasser. J'ai acheté ma maison avec mes droits d'auteur, c'est dire si j'y suis attaché. J'ai participé plusieurs fois aux modifications des statuts (statut d'improvisateur de jazz, signature collective, dépôt sur support enregistré), joué les conseillers pour les nouvelles technologies (sans succès puisque les trois sociétés d'auteurs auxquelles j'appartiens se sont fourvoyées avec Hadopi et que je n'ai jamais réussi à toucher ce qui m'était dû pour tous les CD-Roms dont j'ai composé la musique). Je me souviens aussi que le responsable de la répartition d'alors m'expliqua que "l'on ne dépense pas des francs pour toucher des sous". J'ai écrit plusieurs articles sur le sujet, mais il est temps que j'aille m'allonger...
Heureusement, Antoine et moi partons ce matin pour Bruxelles présenter Nabaz'mob à l'ICT 2010 (Information and Communication Technologies) dans les Galeries Royales St Hubert. Nous serons en bonne compagnie puisque seront également présents Reactable et les Belges de Lab[au]. Cela me changera les idées.

lundi 27 septembre 2010

Un trésor derrière le divan


Bien que je n'ai jamais souhaité remplacer mes vinyles par leurs versions CD, je m'aperçois que je n'en fais plus très souvent tourner sur la platine. Leur poids et leur taille les avaient relégués au rang le plus bas de mes étagères et il y a quelques années nous avons adossé un canapé devant eux. Il suffit de le pousser avec le genou et de se baisser pour lire les tranches. C'est rangé serré. Conclusion : j'écoute moins de musique classique, car les interprétations que je possède dans ce format sont de référence, du moins les miennes. Bruno Walter, Arturo Toscanini, Pierre Boulez, des incunables de Charles Ives, Arnold Schönberg, Erik Satie, Enrique Granados, Hector Berlioz, etc. Les bruits de surface qui crépitent à côté de l'âtre ne me gênent pas tant. La durée d'une face de 33 tours est parfaite. Vingt, vingt-cinq minutes. Elle m'oblige à faire une pause, réactualisant mon acuité auditive. La même qu'exécutait l'orchestre entre deux mouvements quand j'allais au concert, a fortiori entre deux œuvres. Le flux continu délivré par iTunes ratiboise l'attention et le sens critique, sans parler du mp3 qui dissout "ce qui n'est pas important" dans le son, les détails. Autant dire qu'écouter de la musique classique dans ce format équivaut à s'enfiler des boules Quiès dans les oreilles, quelques informations arrivant tout de même à passer. Je n'ai pas remplacé non plus ma collection de musique expérimentale, un enchaînement de collectors qui s'étale de A à Z. Scat, précédente âme de ces lieux, a fait ses griffes sur les pochettes des disques pop de mon adolescence, là j'ai presque tout racheter en CD, espérant parfois changer d'angle dans la redécouverte d'un Zappa ou d'un Hendrix. Mais les remasterisations décapantes apportent moins d'émotion que les craquements qui ne sont en définitive que l'enregistrement du temps passé avec ces galettes. Chaque poc est une inscription que j'ai laissée un soir ou un matin dans le creux du sillon. Sa spirale m'entraîne dans un voyage qui dépasse les intentions des compositeurs, des interprètes et des manufacturiers. Les neuf cent cinquante centimètres carrés de la pochette donnent à l'objet son sens graphique et les notes au verso permettent de les lire sans se crever les yeux. Il ne faut pas non plus exagérer. L'enregistrement CD d'un vieux Beatles ou d'un Sun Ra ravive autant la mémoire qu'une vieille cire. J'ai rangé les 78 tours au deuxième étage avec le gramophone à manivelle. Le support importe peu, c'est la musique qui fait vibrer mes neurones en sympathie et dresser les poils sur les bras. Je n'ai rien contre une puce que l'on fera glisser devant son smartphone pour déclencher des orages symphoniques dans ses haut-parleurs, mais je reste attaché à l'objet, peu importe sa taille, sa forme et même sa matérialisation tant que je peux en jouir allongé sur le divan. Les producteurs de disques ne sont pas les seuls à avoir des problèmes de stockage. Dans une moindre mesure ! Tout reste toujours à inventer. Pendant ce temps, la musique traverse les âges...

dimanche 26 septembre 2010

Mochi Mochi


Les "Japanese Style Green Tea Mochi" rappellent les gâteaux mous à la noix de coco servis par les restaurants chinois ou vendus surgelés, mais ceux-ci sont au thé vert et leur mode de conservation ne nécessite pas de devoir les décongeler quand l'envie vient titiller les papilles. Est-ce leur goût sucré ou leur texture, molle et onctueuse, qui génère le désir ? Allez savoir où va se nicher la libido à l'heure du thé ! L'analogie avec une partie cachée du corps masculin est indubitable, générant l'enjouement hilare des amatrices.
Si le dos du paquet est encombré de chiffres sur les valeurs nutritives de ces gâteaux de riz gluant (basses en graisse et en calories !), je doute que les produits qui les composent soient bios, mais ce doux poison excite l'imagination et en comble certain(e)s d'extase gourmande. Quant à la recette (clin d'œil à Dominique !), je ne l'ai trouvée qu'en anglais. Comme souvent, la traduction imprimée sur la boîte semble avoir été réalisée grâce à l'automate de Google : "SVP Le magasin dans un jour (le préposé aura tapé day au lieu de dry) et un endroit frais. Et évitent de garder sous sunray direct. Subsistance à la température ambiante."
Pour vous éviter de cliquer sur le lien ci-dessous je recopie exceptionnellement une partie du texte de Wikipédia :
Du fait de sa grande viscosité, les étouffements sont fréquents. La consommation rapide et abondante de mochi provoque chaque année quelques dizaines de morts au Japon, notamment au Nouvel an avec le Kashiwa-mochi.
Au Japon l'expression « peau de mochi » désigne une peau douce et ferme mais rebondie. On pourrait l'assimiler à notre expression « peau de bébé », à la différence que « peau de mochi » s'applique uniquement aux femmes et possède une forte connotation sexuelle.
Les mochi sont également consommés à Taïwan, où ils sont appelés máshu (麻糬) selon les recettes japonaises. Cette tradition date de la colonisation japonaise de Taïwan."
Ces mochi, six par boîte, dont il existe d'autres parfums comme le sésame ou le haricot rouge, sont importés de Taïwan par mon magasin chinois préféré, l'un des moins chers et qui abrite un poissonnier, un boucher et un marchand de légumes, Les Quatre saisons, 12 rue de Belleville à Paris. C'est à leur traiteur que j'achète régulièrement la salade vinaigrée de pattes de poulet, les nerfs de bœuf, les gobis sucrés et toutes sortes d'abats qui font frémir mes invités, certains de plaisir, les autres de terreur !

samedi 25 septembre 2010

Symbiopsychotaxiplasm & Cie


Coup sur coup nous avons regardé trois films américains indépendants que nous avait conseillés Elisabeth Lequeret, tous un pied dans le documentaire, un autre dans la fiction.
Le petit fugitif de Morris Engel (1953) est le seul sorti en France et publié en DVD par Carlotta, errance d'un gamin de 7 ans livré à lui-même dans la fête foraine de Coney Island. Il inspira tant John Cassavettes et Martin Scorcese que la nouvelle vague, des 400 coups de François Truffaut à À bout de souffle de Jean-Luc Godard qui écrivit vainement à Engel pour lui acheter la caméra spécialement construite par Charles Woodruff pour tourner au milieu de la foule quasiment sans être vu, et qui alla jusqu'à lui envoyer à New York son chef opérateur Raoul Coutard. Le film repose sur les épaules du jeune acteur Richie Andrusco qui ne fit pas carrière, mais dont le jeu exceptionnel fait glisser notre regard à hauteur d'enfant, ballade d'un gosse qui apprend à composer avec le monde des adultes.
Si Le petit fugitif se passe en un week-end à New York, The Exiles (Les exilés, 1959) de Kent McKenzie chronique une nuit à Los Angeles d'un groupe d'une douzaine d'Indiens du Colorado habitant le quartier de Bunker Hill. Le réalisateur insiste sur le rapport des hommes et des femmes dont la mélancolie de l'une d'elles répond aux libations des hommes qui draguent, boivent, se battent et dansent, perclus d'égoïsme mâle. La misère des déracinés, coupés de leur culture, est dramatique. Comme Charles Burnett, McKenzie fait participer ses acteurs à l'écriture du scénario, inventant un néoréalisme à l'américaine qui rappelle de Sica et, encore cette fois, Cassavetes. Dans les bonus du DVD figurent Bunker Hill de McKenzie (1956), d'autres courts-métrages montrant le Los Angeles de l'époque et White Fawn's Devotion, le premier film dédié aux natifs américains (1910)...
Mais le plus impressionnant reste Symbiopsychotaxiplasm - Take 1 tourné en 1968, mais sorti seulement en 2005 grâce au soutien de Steven Soderbergh et Steve Buscemi. William Greaves, né en 1926, star afro-américaine passée par le National Black Theater et l'Actor's Studio, quitte le métier de comédien pour se lancer dans le documentaire à une époque où ce n'était pas du tout à la mode. Fortement impliqué politiquement, Greaves ne tient pas à passer sa vie à jouer des rôles d'Uncle Tom. Considéré comme le doyen des cinéastes afro-américains, il consacra sa vie à filmer son peuple et certaines de ses figures légendaires et produisit le Black Journal, premier journal d'actualités de la communauté noire à la télévision américaine. Aucun des films qu'il a tournés au National Film Board of Canada, puis avec sa propre société, ne semble accessible en France, mais Criterion a publié un double DVD avec l'époustouflant Symbiopsychotaxiplasm - Take 1 et Symbiopsychotaxiplasm - Take 2½ tourné 36 ans plus tard.
Symbiopsychotaxiplasm - Take 1 est un film expérimental unique qui n'est pas sans rappeler encore et toujours John Cassavetes. Mi-documentaire pour la participation de toute l'équipe au tournage et grandement présente à l'image et au son, mi-fiction avec des comédiens extraordinaires, passant une audition au milieu de Central Park, le film respire son époque pétillante à chacun de ses plans. Le multi-écrans que l'on ne connaissait alors que pour L'affaire Thomas Crown, tourné la même année, sert formidablement le propos et la musique de Miles Davis lui donne son swing. Derrière le prétexte d'un couple qui se déchire joué par trois couples différents, Greaves s'amuse à filmer, souvent à trois caméras, le joyeux chaos que cette période lui inspire avec la complicité de tous ses techniciens. Appelé à tort cinéma-vérité, un terme impropre à tout mouvement cinématographique, il filme la vérité du cinéma avec ses manipulations, ses errances et ses rencontres miraculeuses. Il compara lui-même son film à un saut dans le vide sans parachute. Les spectateurs d'aujourd'hui sauront le saisir au vol pour se laisser planer jusqu'à l'atterrissage.

vendredi 24 septembre 2010

Miroir, miroir, suis-je toujours en une de Mediapart ?


Depuis un mois, j'ai porté mon blog sur Mediapart, mais si son miroir est identique dans sa recopie sur FaceBook j'ai préféré effectuer une sélection d'articles anciens et récents pour le site dirigé par Edwy Plenel. J'y place donc seulement les articles politiques ou critiques, en particulier mes comptes-rendus de livres, DVD ou CD, ne publiant qu'ici les choses personnelles qui, mélangées à l'ensemble, crée cette impression généraliste qui réfléchit plus fidèlement l'encyclopédiste amateur et le professionnel polymorphe. J'avais évidemment envie d'élargir le cercle de mes lecteurs/trices, notant au passage que les commentaires se font plus aisément sur FaceBook et Mediapart qu'ici-même. La ligne éditoriale de Mediapart étant essentiellement politique, mes billets culturels se sont retrouvés instantanément en une du Journal, du Club ou de la rubrique Culture et idées, à tel point qu'hier matin j'occupais ces trois pages avec mes trois derniers articles ! J'aimerais bien que Le Monde Diplomatique ait la même exigence dans ses pages culture que sur le reste de leur mensuel. L'orientation principale de Mediapart explique probablement l'intérêt de la rédaction pour ce que j'écris, puisque je me retrouve chaque jour sur l'une de leurs unes, flatté, comme on peut s'en douter. De plus, cette participation ne leur coûte rien, bien au contraire, puisque je profite de l'abonnement que Françoise a souscrit à raison de 9 euros par mois, somme que je conseille à tous les amateurs d'actualités brûlantes de dépenser sans hésiter, car il y a plus à y lire, voir et écouter que dans les quotidiens traditionnels de la presse papier à laquelle nous sommes également abonnés. Si vous désirez être parrainé(e), l'offre d'accueil est de 1€ le premier mois ou 19€ les 3 mois d'abonnement...
Mon blog le plus complet reste http://www.drame.org/blog puisque je ne publie sur Mediapart qu'une partie de mes récits quotidiens complétée par une sélection d'anciens, et qu'il est impossible de placer certains fichiers, comme les sons, sur FaceBook qui met, en outre, souvent plus de 24 heures pour recopier automatiquement ma prose kaléidoscopique.

jeudi 23 septembre 2010

Raccord


J'ai passé la matinée à découper des sons en rondelles. Comme d'habitude, j'enregistre tous les instruments dans la foulée, en une seule prise, et je les traite ensuite un par un. Par la fenêtre du studio je vois Annie porter la dernière touche à la peinture du jardin. En prolongeant l'orange sur les bacs à fleurs et les contre-marches de la terrasse, elle a donné du volume à la façade en l'intégrant à l'ensemble. Dommage qu'il n'y ait plus de peinture verte pour le retour à angle droit, car elle se marie parfaitement avec la couleur des bambous. Sur la photo, derrière moi, et à ma gauche... Donc on ne voit rien. Nous envisageons maintenant de rénover les fenêtres du second étage en rouge vif. Annie a également effacé les tags de l'allée avec trois couches d'orange. L'après-midi nous refaisons le monde, ou plutôt nous nous demandons comment nous y prendre. Devons-nous jouer les zorros et rétablir la vérité ou laisser pisser le mérinos ? Dans ces cas-là mon père disait : "Occupe-toi du chapeau de la gamine et laisse flotter le ruban !" Il semble que l'avenir soit plus séduisant si l'on se fiche de la mesquinerie. En termes de corrections j'obtempère. Pourtant je me dis que parfois une bonne correction... Cela ne fait rien. Il fait beau. Le soleil cède sa place à la pleine lune. Demain c'est grève générale. Nous sommes déjà en route pour de nouvelles aventures. Colorées, comme il se doit !

mercredi 22 septembre 2010

La casse


S'il y a bien un truc dont je me contrefiche, ce sont les voitures. Cela ne m'empêche pas d'avoir un souvenir ému de l'Espace qui va partir à la casse d'ici une semaine. Nous l'avions acheté il y a vingt deux ans, d'une part pour les migrations saisonnières vers L'île Tudy où nous passions à peu près un quart de l'année, d'autre part pour les tournées d'Un Drame Musical Instantané où nous bourrions le coffre jusqu'au plafond en ne laissant que trois sièges pour notre trio. À l'époque le véhicule tenait du vaisseau spatial, avec ses vitres tous azimuts, ses sièges pivotants, repliables, démontables, et tutti quanti. Je n'ai pourtant jamais fait beaucoup de kilomètres, le compteur en indiquant 176 000, mais les déménagements successifs ont amorti l'investissement. Pour le dernier des miens, j'ai exécuté seul trente voyages plein à craquer, mais j'ai tout de même terminé avec un camion de 30 mètres cubes. Si le contrôle technique est passé avec succès, il n'y a plus d'amortisseurs ni de chauffage. Cela fait quatre ans que nous roulions l'hiver avec des couvertures sur les genoux, mais en nous gelant les pieds. Le garage baigne dans une fine mare composée d'huile et d'eau et nous n'osons plus nous éloigner trop de Paris sous peine de rentrer à pied. Le petit garagiste de Montreuil a réussi à la maintenir jusqu'à ce que mon client nous paye. Alors j'ai commandé une Kangoo Pépite, vite fait bien fait. C'est comme acheter des fringues, il faut que ça se passe en deux temps trois mouvements. Je rentre, j'essaie, je paie, je ressors. Là je me suis seulement assis devant, derrière, à côté. J'ai comparé avec la Dacia qui lui faisait face, mais l'offre de Renault mettait exceptionnellement la Kangoo moins chère. Pour le reste je me suis laissé embobiner par le sympathique vendeur qui a ajouté une bouteille de champagne en capitales sur le contrat. Où va se nicher le marketing ! Ni Françoise ni moi n'en buvons. En plus, elle me travaille depuis des semaines pour que nous n'achetions pas de voiture. Je rigole, elle s'en sert plus que moi. D'un point de vue économique, ça se tenait. Mais il n'y a aucun loueur à proximité et j'aime réagir vite, ici comme ailleurs. Alors j'ai craqué. Cela ne nous empêchera pas de continuer à emprunter les transports en commun, ni surtout de faire de la bicyclette, mais on aura le choix. Il reste un problème : je deviens vite aussi débile que les autres automobilistes lorsque je conduis. Je peste sans arrêt et ça irrite ma compagne. Je la comprends. Au volant la connerie est contagieuse. À pied je râle aussi contre tous ces chauffards, métastases de la ville. Il n'y qu'à vélo que je suis zen. Si je m'énerve, je risque un pépin quelques mètres plus loin. L'ultime solution, je me terre à la maison, je ne vais plus nulle part, mais est-ce que cela fera de moi un homme meilleur ? J'en doute.

mardi 21 septembre 2010

Il était une fois


Si j'attends d'avoir tout vu pour en parler, on aura dépassé Noël et vous raterez le coffret des 25 DVD de la RKO édités par les Éditions Montparnasse qui sortira le 5 octobre pour seulement 100 euros. Il ne s'agit pas d'acheter n'importe quoi parce que ce n'est pas cher comme aux premiers temps de CDiscount quand l'offre DVD était maigre, mais de se faire une jolie cinémathèque pour celles et ceux qui seraient restés collés aux nouveautés couleurs 5.1 écran large quand l'histoire du cinéma recèle des trésors qui lui donnent ses lettres de noblesse. On a déjà tout dit des chefs d'œuvre que sont Citizen Kane et La splendeur des Amberson d'Orson Welles, King Kong, l'original inégalé de 1933 avec la sublime partition de Max Steiner, La griffe du passé (Out of the Past), polar dont je ne me suis jamais lassé malgré le nombre de fois où je l'ai vu et entendu, car les films de Jacques Tourneur s'écoutent, comme son fantastique La féline (Cat Woman) avec Simone Simon, tous de vrais auteurs, des inclassables comme la plupart des réalisateurs de la RKO... On peut avoir envie de rire avec L'impossible Monsieur Bébé d'Howard Hawks ou Panique à l'hôtel des Marx Brothers, frémir avec Soupçons d'Alfred Hitchcock, Le récupérateur de cadavres (The Body Snatcher) de Robert Wise ou La Chose d’un autre monde, craquer pour Elle et lui (Love Affair) de Leo McCarey ou Sylvia Scarlett de George Cukor... On peut attraper l'ensemble comme un éventail et choisir selon son humeur un film de genre, western avec La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon), Le Massacre de Fort Apache de John Ford ou La Captive aux yeux clairs encore de Hawks, aventures avec Barbe-Noire le pirate de Raoul Walsh, comédie musicale avec Top Hat animée par Fred Astaire et Ginger Rogers, policier avec L’énigme du Chicago Express de Richard Fleischer, guerre avec Les Diables de Guadalcanal de Nicholas Ray, action avec Ça commence à Vera Cruz de Don Siegel, etc. Je n'ai pas vu Un si doux visage d'Otto Preminger avec Robert Mitchum, ni Nous avons gagné ce soir de Robert Wise, pas plus que La fille de la cinquième avenue de Gregory La Cava avec Ginger Rogers, et j'ai un vague souvenir de L'enfant aux cheveux verts de Joseph Losey, mais il est indéniable que tous ces films sont des modèles, chacun dans leur catégorie.
Orson Welles disait qu'il suffit d'enlever un paramètre à la réalité pour plonger dans la poésie. Le noir et blanc qui effarouche a priori nos contemporains rend les histoires plus vraisemblables comme lorsque l'on était petit et qu'elles commençaient toutes par "il était une fois".

lundi 20 septembre 2010

Terres arbitraires


La nouvelle installation de Nicolas Clauss inaugure une nouvelle direction du travail de l'artiste plasticien. Pour Terres arbitraires présenté au Théâtre de l'Agora d'Evry jusqu'au 16 octobre, il est allé à l'essentiel, laissant de côté les enluminures graphiques dont il a le secret pour livrer une œuvre brute, fondamentalement politique, axée sur la vidéo.
Pour ses œuvres numériques comme Cinq ailleurs, De l'art si je veux, Un palpitant ou Les musiciens, Nicolas a toujours filmé et travaillé avec les jeunes des quartiers. Pour Terres arbitraires qui tire son titre d'un vers d'Aimé Césaire dans Ô Guinée du recueil Cadastres, auteur adulé par nombre de ces jeunes, il a choisi de ne montrer que les garçons qui se regroupent en bas des tours pour passer le temps dans un endroit où rien n'est construit pour eux, le seul endroit qu'ils ont pour se retrouver et où la police passe le sien à les contrôler. Les sœurs et la famille ne sont pas pour autant absentes, quand les mots enregistrés évoquent la relégation sociale et le racisme, la frontière et l'expulsion à la périphérie, le délire sécuritaire et les poncifs des médias, la solidarité et la conscience aiguë de l'enjeu qu'ils représentent...
S'il évoque Terrain vague de Marcel Carné, il filme les visages, chacun des soixante portraits réfléchissant l'ambivalence des modèles. Lorsqu'il leur demande de jouer les petits durs toisant le spectateur, fidèles à leur stéréotype, ils les pousse à se lâcher dans un grand éclat de rire. Ils rayonnent, malgré le cadre dans lequel la société les enferme. On pense à Pasolini en regardant l'image qu'ils se construisent tandis que l'on entend comment les médias s'emploient à les travestir. Car les trois sources sonores, dont la diffusion est aussi aléatoire que les images qui se succèdent sur dix moniteurs et deux grands écrans, jouent la carte de la dialectique, matière composée de 120 fichiers où se mêlent les voix de Sarkozy, Le Pen, Amara, de Villiers, Emmanuel Valls, Bourdieu, les Indigènes de la République dont Houria Bouteldja et Saïd Bouamama, Mathieu Rigouste, Loïc Wacquant, Tariq Ramadan, Eric Besson, Eric Zemmour, Daniel Mermet, le groupe Ministère des Affaires Populaires, les présentateurs du JT et des habitants des cités... Les slams et raps enregistrés pendant six mois sur la dalle du quartier des Pyramides à Evry leur répondent sur les grands écrans, mais cela aurait pu aussi bien se passer dans n'importe laquelle des 751 ZUS (Zones Urbaines Sensibles) que le Ministère de la Ville a étiquetées. Sur le moniteur central défile le nom de plus d'un millier de quartiers. Deux jeunes habitants des Pyramides, Ruben Djagoue et Sami Moqtassid, ont aussi tenu le micro et la caméra. Nicolas a ensuite superposé les couches d'images dans Director, subtiles textures, ralentis, effets de rémanence en accord avec les cadres et les mouvements à la fois émouvants, drôles et interrogateurs.
Nicolas Clauss rêve que les spectateurs empruntent le RER jusqu'à Evry, croisant les "jeunes" comme ceux qu'il a filmés, en espérant que leur regard aura changé lorsqu'ils reviendront vers la capitale. Pas seulement celui que nous portons sur les autres, mais celui que nous retournons vers nous-mêmes.

dimanche 19 septembre 2010

Promenade virtuelle au Petit Palais


À l'occasion des Journées du Patrimoine, le Petit Palais a ouvert ses portes dès samedi sur l'exposition Révélations, une odyssée numérique dans la peinture, initiée par Samsung. Bien que j'aie largement participé à l'aventure, je ne pouvais m'empêcher de craindre une comparaison des écrans avec les œuvres originales. Or, et des ors il en déborde du majestueux édifice enflammé de soleil, or, donc, les films montrent ce qu'aucun musée ne peut offrir, une plongée dans la matière comme dans les intentions des peintres, et ce sans paroles, avec le seul artifice de la conjugaison de l'image et du son. Pour ce faire, il aura fallu axer notre regard analytique sur la narration, privilégier le rêve, plutôt que de ressasser d'éternelles explications de texte pompeuses sous prétexte pédagogique.
Les quarante téléviseurs C9000 et C6000, avec leurs écrans de 55 ou 46 pouces d'une épaisseur presque invisible de 7,8mm diffusent autant de courts métrages réalisés soit par Pierre Oscar Lévy et sonorisés par mes soins, soit par l'agence Laforme dont les équipes travaillent dans l'anonymat. Sept d'entre eux sont abrités dans des chambres obscures, équipées de bancs, permettant une diffusion sonore mieux en accord avec le propos général de la collection qui à terme sera fournie par Samsung aux futurs propriétaires de ces téléviseurs. La nouveauté marketing réside dans cet apport de contenu qui double l'offre des chaînes traditionnelles par des programmes exclusifs. Comme Sony ou LG, Samsung fournit des programmes à la demande, archives de telle ou telle chaîne, mais son idée de financer des programmes de création, pour l'instant issu du patrimoine (mais qui sait de l'avenir ?), est une initiative ouvrant de nouvelles perspectives à la diffusion de contenus originaux. La télé a vécu, vive la télé ? D'un côté les smartphones permettent de regarder des films sur leurs écrans miniatures, de l'autre les écrans Haute Définition montrent ce qui n'a jamais été vu. Car je suis illico allé comparer ce que je venais de découvrir dans l'aile sud où est installée l'exposition, agréablement scénographiée par Jean-Luc Blais, avec les véritables Rembrandt ou Courbet du musée pour constater que mon émotion était paradoxalement plus forte devant la relecture cinématographique que face aux toiles des maîtres ! C'est un comble.


Il faut voir pour le croire. J'ajoute qu'il faut l'entendre aussi puisque j'ai composé la musique des Ambassadeurs d'Holbein (pour trompette à anche et électronique), le Portrait de Rembrandt en costume oriental (pour flûte basse), cosigné le Coucher de soleil sur la seine à Lavacourt, effet d'hiver de Claude Monet avec Bernard Vitet (pour piano) et dirigé la séance où Vincent Segal improvisa au violoncelle pour La grande Odalisque de Ingres. J'ai également conçu et réalisé les partitions sonores de Nuit étoilée Van Gogh et de La tempête de Giorgione. Les 23 films réalisés par Pierre Oscar Lévy sont en ligne sur le site de Snarx-Fx. En me promenant parmi les 34 autres toiles revisitées, j'en ai profité pour monter leur son avec la plus grande délicatesse et mixer l'ensemble afin de leur donner la profondeur que le projet leur confère. Il faudra néanmoins tendre l'oreille en s'approchant de chacune là où chez soi on pourra profiter pleinement du spectacle audiovisuel.
Les 40 œuvres choisies par Charles Villeneuve de Janti sont couronnées par deux toiles que nous avons réalisées en 3D avec Snarx-Fx qui s'est chargé de la technique des 23 qui nous incombent. Une hôtesse distribue les lunettes électroniques permettant de découvrir en relief L'enfant au toton de Jean-Baptiste Chardin et L'île des morts d'Arnold Böcklin.
Rien de tout cela n'eut été possible sans l'initiative de Samsung et la patience de Dominique Playoust, producteur délégué de cette odyssée dont je fus à la fois le directeur artistique et compositeur de la moitié des films présentés. Ce voyage dans le passé avec les outils d'aujourd'hui fut une grande expérience que nous pouvons maintenant partager avec le public.

samedi 18 septembre 2010

Un terroriste peut en cacher un autre


L'expulsion honteuse des Roms était censée servir de paravent à l'affaire Bettencourt. Mauvaise pioche : Mediapart pointe à nouveau cette manifestation exemplaire de la collusion du monde des affaires avec l'État voyou en publiant les enregistrements sonores où l'on entend tout ! Comme l'Europe s'en mêle et place la France sur la sellette, il faut trouver un nouveau truc pour déjouer l'attention du public. L'enlèvement de cinq Français au Niger tombe à pic et l'annonce de la réactivation du plan Vigipirate devrait offrir un peu de répit aux bandits qui nous gouvernent et qui opèrent, de plus, avec une extrême maladresse. Il ne leur suffit pas d'être méchants, il faut aussi qu'ils soient mauvais.
On ne va revenir sur la déportation des Roms puisque le monde entier se charge de rappeler les droits de l'homme à notre beau pays. Je suggère par contre aux amateurs de polars et de conspiration politique de s'abonner à Mediapart pour s'offrir le plaisir d'écouter Patrice de Maistre, l'homme de confiance de Liliane Bettencourt dévoiler les secrets de la corruption. Obligé d'articuler clairement pour permettre à sa cliente un peu sourde de le comprendre, il nous fait partager un feuilleton digne des meilleures fictions américaines. Mediapart organise le dossier en sept chapitres :
1. Les enregistrements, les témoignages, les documents
2- Eric Woerth, l'UMP, conflit d'intérêts et financements politiques
3- Polémique sur l'indépendance de la justice
4- Editoriaux, analyses, entretiens
5- Mediapart et le droit à l'information
6- Bettencourt, une histoire et un groupe, L'Oréal
7- Comment l'affaire est devenue un scandale politique
Entendre de Maistre réclamer son petit cadeau, du superflu, mais qui lui ferait tellement plaisir, un yacht en l'occurrence, ou expliquer que faire des chèques à Valérie Pécresse, Éric Woerth et Nicolas Sarkozy, "c'est pas cher et ils apprécient", est aussi ahurissant que tout le reste. En couverture de Télérama, le couple de sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot en remet une couche en étudiant comment vivent les riches en France. Mediapart les suit en vidéo... L'étau se resserre autour de Woerth que le président de la République a soutenu mordicus, et pour cause ! Dans un pays qui se prétend démocratique, tout le gouvernement aurait dû démissionner et le peuple devrait voter sa méfiance pour que le système sarkozien soit balayé. Une fois pour toutes ? Certainement pas ! Cela ne résoudrait pas les problèmes de fond, puisqu'aujourd'hui ce sont les financiers qui dirigent les états, avec à leurs têtes des marionnettes. Berlusconi est un des rares à jouer sur les deux tableaux, magnat corrompu jusqu'à la moelle ayant réussi à mettre la main sur le pouvoir. En France, son homologue n'est qu'un petit valet à la solde du Capital.
Acculé, il devient agressif, voire dangereux lorsque son homme de main Hortefeux, chargé des basses œuvres, évoque un risque terroriste sur le sol français. De deux choses l'une, soit la France a des cadavres dans le placard et ses "élus" savent très bien pourquoi des attentats seraient susceptibles d'être perpétrés en représailles, comme lors des factures impayées à l'Iran qui avaient abouti à la boucherie du magasin Tati rue de Rennes en 1986, soit les services secrets pourraient déclencher ici ou là quelque "pare-feu" qui mettrait en fait le feu aux poudres...
Vous pouvez penser que je me fais du cinéma, mais je ne suis qu'un amateur en termes de storytelling. Reprenez toutes les grandes affaires depuis l'incendie de Rome jusqu'au 11 septembre, en passant par celui du Reichstag, en vous demandant à qui profite le crime, et vous aurez froid dans le dos. Sur Mediapart, l'enquête sur l'assassinat des moines de Tibéhirine montre bien comment on peut se jouer de la crédulité de la population et faire porter le chapeau à la partie adverse. L'Histoire rendra peut-être justice, mais le mal aura été fait. N'attendons pas qu'il soit trop tard pour chasser les imposteurs !

P.S.: pardonnez-moi d'illustrer mon billet avec une image gore, ce n'est pas mon habitude. Je suis également désolé de ne pas être capable d'indiquer l'auteur de la photo, et enfin, non, ce n'est pas Sylvester Stallone dans Rambo V. Un terroriste peut en cacher un autre !

vendredi 17 septembre 2010

Cache-misère


Françoise me demande de trouver une solution pour camoufler les craquements d'une séquence où son oncle Giraï évoque le génocide arménien au début de son film Thème Je. Cela hoquète sévèrement et il semble impossible d'opérer chirurgicalement l'extrait sonore autrement qu'en coupant les "poc" énormes qui hachent son témoignage. Le micro de sa caméra était tombé en panne lorsque c'est arrivé. Comme Giraï est mort il y a plus de deux ans, on ne peut pas non plus refaire la prise. Dans ces cas-là, je pratique la méthode du tuyau fluo. Au lieu de camoufler la plomberie qui traverse le salon, je le repeins en jaune citron. Quand ces mystères nous dépassent feignons d'en être les organisateurs, disait Cocteau. Je suis donc allé chercher le gramophone pour jouer d'un effet du passé et justifier les crachouillis. Françoise l'a également filmé afin qu'il n'y ait pas de confusion entre le 78 tours et le son du train entrant en gare de La Ciotat. La comparaison ne nous déplaît pas, bien au contraire, et nous en jouons évidemment. Il reste à mixer habilement les hoquets de la prise catastrophique et le son de l'aiguille à la fin du disque pour que le plan retrouve une poésie que la panne avait effacée. À la fin de la séquence, les canards espagnols, ce n'est pas une métaphore, ce sont des appelants en résidence à La Ciotat, substituent leurs claquements de bec aux trous de son qui claquent.
Dans un précédent film, j'avais comblé l'erreur d'avoir laissé la date imprimée sur l'image un jour où le soleil et le tangage ne permettaient pas de viser convenablement. Nous avions surchargé le film d'informations écrites, produisant un effet de recul critique auquel nous n'aurions jamais pensé si nous n'avions pas fait une bêtise. Nous avions ensuite étendu le procédé à tout le montage, rajoutant au témoignage bilingue une relecture complémentaire grâce aux sous-titres qui ne traduisaient plus la parole mais la commentaient.
Cette gymnastique réparatrice qui consiste à transformer une catastrophe en opportunité créatrice tient autant de l'aïkido que du Verfremdungseffekt !

jeudi 16 septembre 2010

Steve Reich se répète


Tout nouvel album de Steve Reich provoque une attente dans l'espoir d'ajouter un chef d'œuvre à la liste des disques dont on ne se lasse jamais malgré l'usure du temps. Chacun a ses préférences, mais Different Trains, dont l'enregistrement de voix parlées fournit la trame mélodique au quatuor à cordes, me semble ne pouvoir qu'entraîner tous les suffrages quand It's Gonna Rain ravira les amateurs d'expérimentations corrosives ; la vidéo de Three Tales conviendra mieux aux fans d'opéra multimédia et Drumming, Desert Music ou Music for 18 musicians restent de grands classiques... Quoi qu'il en soit, tout son catalogue produit la même excitation, le même vertige enthousiaste, même si le compositeur new-yorkais répète éternellement la formule des canons en unissons qu'il a découverte dès 1965 avec ses pièces pour bande magnétique. J'ai eu la chance de les entendre à la fin des années 60 et d'assister à la création française de Four Organs et Phase Patterns ; depuis, je n'ai cessé de m'intéresser à son travail de physicien du son, capable de faire entendre quatre mélodies enchevêtrées à partir de deux monodies par le seul pouvoir des harmoniques. S'inspirant grandement du gamelan, Steve Reich a su s'affranchir du sérialisme en revenant à une écriture tonale inventive qui laisse loin derrière lui les autres tenants de ce que les Américains appellent le minimalisme et que nous avions l'habitude d'appeler en Europe la musique répétitive.
Hélas, depuis 1995 je n'ai pas ressenti l'émotion que me procurent ses anciennes pièces. Double Sextet interprété par eight blackbird et qui lui vaut le Prix Pulitzer ni 2x5 par Bang on a Can ne m'emballent outre mesure. Steve Reich est tenté d'introduire des instruments populaires à son instrumentation, mais il n'en tire pas la substantifique moelle. Comme l'échantillonneur de City Life ne rendait pas la dimension de la ville, les guitares électriques, la basse et la batterie de 2x5 n'arrivent à produire l'électricité du rock. Le sextuor classique d'eight blackbird composé d'une flûte, une clarinette, un violon, un violoncelle, un vibraphone et un piano, génère des effets plus originaux avec d'intéressantes cassures de rythme. Comme pour Different Trains, Reich a recours à l'artifice du playback, chaque ensemble dialoguant avec lui-même pour permettre au compositeur de jouer de ses effets de déphasage dont il a le secret, mais il avoue préférer pour l'avenir des versions où tous les instrumentistes seront en direct, portant à douze et dix les effectifs.
Ces bémols ne m'empêchent pas de remettre sur la platine l'album publié encore cette fois sur Nonesuch pour constater que la deuxième écoute de Double Sextet me transporte sur un petit nuage...

mercredi 15 septembre 2010

Le sexe assisté


En choisissant de regarder d'abord Sexe, amour et handicap, j'y allais plutôt à reculons, mais il faut parfois se faire (douce) violence pour avancer. J'avais choisi celui des trois films de Jean-Michel Carré qui a priori m'attirait le moins. J'ai été longtemps gêné par les handicapés et je continue à ne me pas me sentir rassuré, mais très vite le film m'époustoufle par la liberté des propos énoncés. Carré fait sauter un verrou énorme en évoquant le désir sexuel des handicapés tant moteurs que cérébraux, hommes et femmes, et la charge de celles et ceux qui les aident et que l'on nomme assistants sexuels. Il bouleverse le regard porté sur la prostitution qu'il avait déjà abordé avec Les travailleur(s)es du sexe.
Dans ce précédent documentaire, le réalisateur montre l'hypocrisie de notre société libérale. En France, la fermeture des maisons closes par Marthe Richard en 1946 avait jeté les filles dans la rue, la loi Sarkozy de mars 2003, alors ministre de l'Intérieur, qui réprime le racolage passif et profite à la mafia, les rend encore plus vulnérables. Leurs témoignages critiques, intelligents, sensibles remet les pendules à l'heure. Avec un regard politique sur leur métier, elles mettent en question l'exploitation de l'homme par l'homme, la prostitution non sexuelle comme la nécessité de l'assistance. Hommes et femmes, là encore, racontent leur profession en insistant sur leur rébellion contre une société basée sur la frustration, la répression et le formatage.
Les deux films sont précédés de la bande-annonce du documentaire de Virginie Despentes, Mutantes. Je croyais à tort avoir gardé le meilleur pour la fin. Là où je m'attendais à une succession de provocations "féministes porno punk" comme annoncé, le film est un montage rapide de fantasmes conventionnels. Au delà de la libération acquise par les féministes "pro-sexe" dans les années 80, la fascination réactionnaire des artistes interviewées pour le machisme mâle éclate sur l'écran contrairement aux prolétaires du sexe filmé(e)s par Jean-Michel Carré dont les revendications apparaissent autrement plus vitales et révolutionnaires. Ses deux enquêtes nous remuent fortement, laissant des traces indélébiles tandis que les commentaires explicatifs de Despentes montrent les limites de son sujet et de son montage. Elle cherche vainement à épater ou à choquer quand Carré remue le couteau dans la plaie des idées reçues. Le spectacle n'égalera jamais l'incroyable scénario du réel et, à comparer ces films, l'on assiste à une manifestation involontaire et passionnante de la lutte des classes. Le sexe en fait partie, comme de bien entendu...
En bonus, les entretiens de Despentes avec Catherine Breillat, Lydia Lunch, Annie Sprinkle, nettement plus intéressants que l'ennuyeuse suite d'extraits qui composent Mutantes, rejoignent les interrogations des films de Carré, mais les performances de Victor Marzouk, Laszlo Pearlman, Pierna Lungas et Pellea de Perras, plates représentations fantasmatiques des poncifs les plus en vogue, soulignent définitivement les limites du spectacle face aux urgences du quotidien. C'est dommage, car j'avais beaucoup aimé Baise-moi, et plus encore King Kong Théorie. J'espère ne pas être aussi déçu par Apocalypse Bébé que je lirai lorsque j'aurai terminé le Houellebecq !
Un troisième film de Jean-Michel Carré complète le coffret DVD qui sortira le 8 octobre, tandis que Mutantes paraîtra le 5 octobre et que Sexe, amour et handicap sera diffusé sur France 2 le 7 octobre à 22h30. Tous sont édités par blaq out. Drôle de genre est une comédie satirique où les rôles homme-femme sont inversés. C'est un peu outré et systématique, mais la relation ne l'est-elle pas ? Comme dans le film de Despentes, les femmes n'auraient pas d'autre choix que d'imiter les hommes et vice versa ! On pourrait pourtant rêver qu'elles ne commettent pas les mêmes absurdités ni les mêmes grossièretés si elles décidaient de bouleverser l'ordre imposé depuis l'éternité. À moins d'une catastrophe planétaire, ce ne semble pas pour demain...

mardi 14 septembre 2010

Résurrection des souvenirs fanés


Signe de sénilité, de distraction ou de titre bien trouvé, j'ai redemandé trois fois à Sun Sun Yip le nom de sa série de sculptures en bois et jus divers. Pas moyen de me souvenir de Flowers of Memories avant de taper son nom. J'aurais pu le graver avec un canif comme les amoureux entaillent l'écorce des arbres, cicatrices boursoufflées par le temps, mais Sun Sun recycle les arbres déjà morts et les fruits écrasés. S'il est un champion de la tronçonneuse, il préfère cultiver avec Marie-Laure une étonnante collection de cactus qui ont envahi la maison et dont certains ne fleurissent qu'un jour par an. Dehors, leur minuscule rectangle de verdure appelle la contemplation plutôt que la bronzette à l'instar des jardins zen. Comme il a sorti toutes ses dernières œuvres pour les photographier en vue d'un catalogue, j'en profite pour prendre un cliché pirate où l'on voit, au fond de son atelier, l'artiste hongkongais à son ordinateur. Il y cultive des plantes plus complexes, constituées de 0 et de 1, des entités vivantes dont la 3D fait ressortir l'ambiguïté, à l'opposé de ses bois bruts, partiellement enduits de mûre, de cassis ou de graphite. Au quotidien, il projette sa science dans l'univers de sa cuisine, car Sun Sun Yip manie cuissons et épices en maître-queux. Quelle différence y a-t-il entre la sculpture, la programmation et les raviolis frais ? Aucune lorsque c'est réalisé avec art et une pincée d'arrière-pensées...

lundi 13 septembre 2010

Zoom arrière


Comme nous avions passé un week-end tranquille entourés d'amis, je n'avais rien à raconter que de banal, mais tendre et roboratif. Dans un cas pareil, je suis tenté par la pause, une première après cinq ans de blog quotidien. Par acquis de conscience, j'ai demandé à Françoise si elle avait un sujet pour moi. Que nenni ! Alors je suis allé regarder mes dernières photos pour voir si l'une d'elles m'inspiraient. Il n'y a pas de miracle.
Lundi dernier, j'avais remarqué le texte de la pancarte vissée, pour ne pas dire clouée, sur un arbre le long du Gave de Pau, juste en face de la grotte où Bernadette Soubirous vit ses apparitions. Comme le tronc était également planté entre deux modernes fontaines d'eau miraculeuse, je notai l'humour de la situation. Mais je n'avais pas remarqué la variation de ponctuation selon les langues, ni surtout le dessin central. Faut-il se méfier des robinets disséminés partout sur le site, vu l'affluence en ce lieu "ceint" ? Ou les rayons entourant la main du noyé potentiel signalent-ils l'imminence d'un bras salvateur ?


Il est évident que les déçus, tentés de se jeter à l'eau, devraient être légion. Rappelons que la Vierge apparut à Bernadette en 1858, mais rien n'indique que depuis elle y ait élu domicile ou choisi comme lieu de villégiature. C'est pourtant de cet emplacement exact que la "simple d'esprit", je cite Zola, eut sa dix-huitième et dernière apparition. Nous ne sentons rien d'autre que l'angoisse égoïste de centaines de pèlerins, concentrés sur leur mal-être...


Comme nous faisons sagement la queue dans la grotte, deux femmes nous bousculent pour toucher la roche devant nous. Ce geste incivique en dit long sur la place du sacré dans ce supermarché de l'image pieuse. Il est une chose d'avoir la foi, une autre d'avoir les foies. La poudre d'or qu'on jette aux yeux de celles et ceux qui veulent à tout prix avoir une réponse à leurs angoisses sent le soufre. Les croyants exigent la quadrature du cercle. Seuls les scientifiques et les matérialistes ont le goût du mystère.

dimanche 12 septembre 2010

Travers


Façon originale de commémorer pour moi le 11 septembre, date aussi intime qu'universelle, le sylviculteur a déversé cinq stères de bois devant le garage pour nous permettre d'atteindre sans embûche le dixième anniversaire d'un des plus gros montages médiatiques de l'Histoire. Pour cette délicate opération j'avais invité quelques amis à venir me donner un coup de main. En deux coups de cuillères à pot le bois fut empilé, sous le auvent du jardin de derrière, sur les margelles du mur orange et finalement entassé élégamment grâce au talent d'Elisabeth, Sonia, Sun Sun et Philippe. Il faisait un temps magnifique pour un début septembre. Une heure plus tard, je mettais le feu au barbecue où grilleraient les travers et la poitrine de porc qui avaient mariné toute la nuit.


Dans un mixeur, hacher menu une grosse racine de gingembre, deux têtes d'ail, de la citronnelle, des feuilles de menthe et de shiso (feuille de nankin rouge), ajouter du sucre en poudre, pas trop de nước mắm, un peu de piment, un citron vert et un verre d'alcool. Masser la viande et la laisser reposer la nuit au frigidaire après avoir recouvert le saladier d'un linge humide. J'ai servi avec du riz saupoudré de mishima yukari à base de shiso et des petites tomates de toutes les couleurs, noires, oranges, jaunes, rouges, roses, et même des vertes et des bien mûres. On ne s'en est pas privés, d'autant que nous fûmes rejoints à l'heure du café ou du thé par Marie-Laure, Marie et Francis. Il ne manquait que ma mie qui arriva bien tard pour s'être endormie à l'heure du train... Mais l'histoire finit bien, éternel recommencement. Que rêver de mieux ?

samedi 11 septembre 2010

Un château (de sable) en Espagne


Pierre Oscar avait coiffé le tas de sable avec un gros téléviseur pour diffuser le film qu'il a conçu à partir du scénario de la bande dessinée qu'il publie avec Frederik Peeters dans la collection Bile blanche des éditions Atrabile. Je recommence. Pierre Oscar Lévy écrit un scénario à partir d'un lieu de vacances dans les Asturies où il n'est pas retourné depuis trente ans : sur une plage close par un mur de rochers, les protagonistes sont pris de vitesse par le temps qui s'emballe. Les vies glissent inexorablement comme les grains d'un sablier. On peut toujours le retourner pour savourer le trait noir de Peeters, on n'y peut rien, l'ange exterminateur veille au grain. Ou encore. POL réalise un film expérimental d'une quarantaine de minutes qu'aucun des invités au vernissage ne peut entendre. Il faudra revenir. Si le vacarme nous rend sourds, suivons les vagues formées par les 300 planches originales épinglées sur les murs de la galerie Since d'Upian jusqu'au 25 septembre.


Peeters et Lévy dédicacent à tour de bras. Nous serons pourtant inéluctablement un plus vieux en sortant qu'en entrant. Leur Château de sable est un château en Espagne, un rêve que seul le dessin est capable de matérialiser. Les réalités scientifiques s'effacent devant l'aventure fantastique. L'écran montre l'impossible du réel tandis que la BD vérifie la véracité de la fiction. Triomphe du storytelling, il y a neuf ans jour pour jour une histoire invraisemblable allait changer le profil du monde. Si vous avez eu la naïveté d'y croire, vous vous laisserez porter par les vagues. Sinon, vous saurez apprécier ce conte pour ce qu'il est, une manière de voir.

vendredi 10 septembre 2010

La stratégie du buffet


Une autre amie qui m'avait invité mercredi soir au 20ème anniversaire de Courrier International au Théâtre de l'Odéon me fit courir un risque insensé en me laissant seul quelques minutes près du buffet. C'est un vieux truc d'enfance, je n'aime pas les bulles mais j'adore goûter tous les petits fours de manière déraisonnable. J'avais sagement commencé à faire la queue pour le risotto jambon cru et les blinis au gravlax, mais les vieux réflexes ont pris le dessus et je me suis souvenu de la stratégie du buffet, consciencieusement élaborée à une époque où nous ne mangions rien d'autre que des pâtes, du riz ou de la purée mousseline, le tout assaisonné de sauce de soja. Il faut donc repérer où la cuisine a été installée et suivre le trajet emprunté par les serveurs jusqu'au buffet proprement dit. On fera parallèlement une petite étude psychologique du personnel pour identifier si certains joueraient les complices ou si une interception est envisageable sur leur chemin. Sinon il suffit de se planter à proximité de la table, sans s'y coller. On se sert, d'abord deux ou trois pièces à engouffrer successivement, et l'on s'éloigne pour laisser les autres convives en profiter, on passera même galamment une fourchette, et l'on effectue un petit tour avant de reprendre place au second rang. Il serait déplacé d'attendre les plats ; laisser repérer ce petit manège manquerait d'élégance ! Celles et ceux qui bloquent l'accès aux mets vous laisseront heureusement vous glisser. La stratégie consiste à évaluer la fréquence de présentation des plats, car les maîtres d'hôtel ont tous leurs manies, certains préférant tout apporter, d'autres distiller soigneusement les plateaux au fur et à mesure de la soirée, mais la fréquence est toujours régulière, ou du moins elle obéit à une logique. Lorsque nous étions nombreux, je suggérais à mes camarades de se mettre derrière moi en file indienne et je leur passais les canapés par dessus l'épaule sans avoir besoin de me retourner. J'ai le bras long !
Un jour à l'Opéra Garnier j'ai assisté à une démonstration de haute stratégie pour se faire servir au bar lorsqu'il y a foule. Un homme hèle le garçon un gros billet à la main : "Combien je vous dois ?". Le barman est irrésistiblement attiré par la grosse coupure qu'il ne peut pas laisser filer d'autant qu'elle est tendue de loin dans la mêlée. Ne se souvenant plus de ce qu'il a servi, et pour cause, il demande illico pour quoi. Le client annonce alors : "Deux whiskys". Surprise du garçon : "Mais nous n'en avons pas !". Réponse du petit malin : "Cela ne fait rien, donnez-moi deux Cocas !". Un autre breuvage absent de la carte fera aussi bien l'affaire...
Je suis rentré un peu honteux de m'être goinfré, pas tant pour la Holding LMPA (Courrier International, Le Monde, Télérama, etc.), mais pour mon régime qui a déjà subi cinq jours d'épreuves culinaires la semaine dernière dans le sud-ouest !

jeudi 9 septembre 2010

Touché !


Une amie s'interrogeait récemment sur son intérêt pour la décapitation, bien qu'elle ne soit nullement tentée par sa pratique, rassurons-nous. Notez tout de même qu'à l'appel d'embauche du dernier bourreau, avant la suppression de la peine de mort en 1981, trois cents personnes se proposèrent pour faire fonctionner la guillotine. Il eut été passionnant de faire une enquête pour savoir ce qu'étaient devenus les candidats malheureux !
Comme nous marchions dans l'obscurité, je remarquai que la coupure partageait nos cinq sens au niveau du cou de manière inégale. La vue, l'ouïe, l'odorat et le goût roulaient dans la sciure tandis que le toucher restait à genoux. Approchons-nous du crâne et du cerveau qu'il abrite pour constater que notre sensibilité s'exerce essentiellement par la vue et l'ouïe, laissant loin derrière l'odorat perdu au fil des siècles et le goût dont la marge de man?uvre se réduirait à quatre paramètres, sucré-salé-acide-amer si les Japonais n'ajoutaient l'umami qui permet d'identifier le glutamate et le kombu. Dans nos sociétés policées on touche peu, sauf les travailleurs manuels à qui leur profession évite d'être accusés de pelotage ! L'outil n'est pas non plus le doigté. Les masseurs, médecins, coiffeurs, etc. ont ce privilège. Une Italienne me confirmait hier soir que lorsqu'elle touche ses interlocuteurs, pratique courante dans son pays, les Français regardent sa main, ce qui devient pour elle embarrassant. On caresse son chat ou son chien, mais aujourd'hui on prend de dangereux risques avec les enfants, même si ce sont les siens ! Les mères indiennes massent les leurs, mais s'appuyer sur le bras de votre voisin ou de votre voisine produit souvent un malaise et sème la confusion... On tombe vite sur un tabou que la sexualité saura braver dans l'intimité. Les ébats sont d'autant plus frénétiques ou sensibles que "le toucher nous est ravi", comme je l'écrivais dans la chanson Camille du CD Carton. Contrairement aux autres sens, le toucher n'est pas raisonnable. Il ne s'expose vraiment que dans la sublimation du corps, peau à peau.
Mon amie touche donc du doigt un sujet épineux. Sans le savoir elle identifie la ligne pointillée qui sépare le corps du cerveau. Il ne s'agit nullement de la question de la mort qui pourrait s'exprimer de mille autres manières, mais de la relation qu'entretiennent le senti et le réfléchi. Ainsi le corps s'abandonne au chaos tandis que le cerveau prend le contrôle.

Illustration : Exécution sans jugement chez les rois maures de Henri Régnault (1870) par Pierre Oscar Lévy pour l'exposition Révélations au Petit Palais à Paris (2010).

mercredi 8 septembre 2010

Avec les pompons... Avec les pompiers


Une fois de plus, nous avons surtout eu l'impression de faire nombre pour exprimer notre mécontentement contre Little Sarko et sa bande, mais de politique nous n'en avons pas senti les effluves.
La retraite qui se rapproche devrait me mobiliser, mais mon statut d'intermittent ne me permettra pas d'en jouir de façon notable. Je sais que je devrais travailler jusqu'à la fin de ma vie. Bien que ce ne soit pas seulement une obligation, mais aussi un plaisir, je ne suis pourtant pas certain d'en avoir toujours la force. J'y suis donc allé par solidarité et pour grossir les rangs. 1+1+1+...= 2,7 millions dans la rue !
Depuis maintenant pas mal d'années les manifestations ressemblent à des promenades sympathiques, relativement silencieuses, aucun slogan consistant ne venant marteler le bitume. Si la fantaisie est rare, j'ai apprécié le simulacre de jeu télévisé avec une fausse Bettencourt et un Woerth assez ressemblant. Les Français swinguent comme des passe-lacets lorsqu'il s'agit de marcher. On est loin de la marée humaine qui s'avançait sur nous en dansant lorsque nous filmions le cortège de l'ANC à Johannesburg en 1993 ! Un monde était à construire. Mais ici, en 2010, de quel avenir rêvons-nous ? Pour quoi sommes-nous prêts à nous battre et abandonner nos privilèges ? Nous semblons avoir plus à perdre qu'à gagner. Quel leurre ! Même si le patronat s'engraisse toujours plus sur le dos de la masse laborieuse, il serait plus sain de retourner la question que de défendre nos acquis, fruits des désirs dictés par ceux-là mêmes que nous fustigeons. Si nous voulons changer de société, c'est d'abandon que nous devons discuter, ou de partage pour être plus juste. Que sommes-nous prêts à perdre pour accorder ce monde aux désirs que nous prétendons défendre ?
Hier après-midi entre République et Nation les pompiers eurent leur petit succès. Bras dessus bras dessous ils exprimaient une détermination rare dans le défilé. De plus ils traînaient avec eux leur célèbre sirène, détachée de son camion rouge. Pour qui espère ou attend un peu de fougue d'un tel après-midi, ils furent certainement les moins pompiers du cortège.

mardi 7 septembre 2010

Il n'y a pas de miracle


Journée Lourdes et humide. Pas de miracle. Le temps semblait tourner à l'orage. La ville de Bernadette Soubirous exhalait un parfum morbide. L'angoisse des clients s'exprimait unanimement. Est-ce véritablement la dernière station avant l'autoroute ? Les auxiliaires en blanc s'affairaient autour des plus mal portants. Les chaises roulantes glissaient péniblement vers la grotte de Massabielle où les fidèles faisaient la queue pour palper la roche noire. Elles repartaient pourtant comme elles étaient venues. Autodafé du XXIe siècle, d'énormes cierges flambaient comme un bûcher. Seuls les colverts s'épanouissaient sur le gave de Pau qui traverse le site. Sans nous concerter, l'un et l'autre avons évité le contact avec la chasse d'eau. L'eau qui coule des toilettes puant la vieille urine est-elle aussi bénite ? Boulevard de la Grotte on vend toutes sortes de flacons à remplir aux dizaines de fontaines éparpillées sous la basilique de l'Immaculée-Conception. Les plus kitsch ont la forme de la Vierge avec un petit bouchon bleu sur la tête. La barre qui commençait à nous plomber les sinus était-elle due aux vibrations du sanctuaire ou étions-nous seulement affamés ? Devant un jambon de porc noir et une énorme côte de veau garnie de cèpes et de truffes je racontai à Sonia Lourdes et ses miracles, le fantastique film de Georges Rouquier, commande du Diocèse qu'il transforme en enquête à la fois sincère et pleine d'humour, sentiment résolument absent hier matin devant la piscine où attendaient sagement les pèlerins. Aux marchands du Temple qui s'égrènent tel un chapelet sur les deux côtés de la rue principale j'ai acheté une petite cloche en céramique et deux briquets à l'effigie de Bernadette. Nous avions opté pour le Palais du Rosaire, grand bazar aux prix vraiment attrayants : 2,50€ la cloche, moins d'1€ le briquet, et à partir de 5€ vous avez droit à un cadeau, en l'occurrence trois images pieuses. Mécréants à l'esprit définitivement mal tourné, nous avons fui cette ville de débauche batracienne et repris l'avion pour Paris avant que le ciel ne se gèle, grève oblige !

lundi 6 septembre 2010

Du Gouffre d'Esparros à la Petite Amazonie


Il fait trop chaud pour écrire. Pourtant la journée a commencé à la fraîche. Le gouffre d'Esparros présente d'originales concrétions d'aragonite karstique, cristal de roche aggloméré qui fleurit le long des parois ou des stalagtites. J'ai évidemment un faible pour celles que l'on nomme excentriques. Si je me serais passé de la flûte andine dans l'accompagnement audio automatique, je trouve sympathique les percussions enregistrées à partir des stalagmites ou tites qui ont la qualité d'être toujours évidés en leur centre et donc de sonner remarquablement. Sur une île de la Baie d'Halong j'avais eu la chance de pouvoir essayer ces sublimes lithophones.
L'étape suivante fut aussi humide, puisque nous sommes allés nous promener à la Gourgue d'Asque, dite La Petite Amazonie, micro-climat où la végétation est composée de mousses, fougères et essences rares pour une forêt pyrénéenne. Le long de l'Arros, bien maigre en cette saison, volaient quantité de papillons. Sonia cueillit maintes noisettes fraîches et nous picorâmes quelques mûres avant d'aller nous éclater la panse dans une auberge près de l'Abbaye où nos lapins travaillaient sagement devant un public ébahi.
Le spectacle est maintenant terminé et nous devons les renvoyer à leur clapier parisien avant leur prochaine escale à Bruxelles à la fin du mois où ils se produiront dans le somptueux théâtre des Galeries Royales St Hubert.

dimanche 5 septembre 2010

Des distances


La montagne nous fait perdre nos repères d'échelle. Nous ne savons plus qui des promeneurs ou des paysages sont petits. Dans le chapitre Des distances Jean Cocteau suggère qu'il n'y ni grand ni petit, mais seulement du proche et du loin. Je crois qu'il s'agit du Journal d'un inconnu. Nous prenons les rochers pour des vaches et les chevaux pour des moutons. Au lointain nous croyons apercevoir Toulouse. Sur l'autre versant du Pic du Midi, les oiseaux emportent des demi-baguettes entières dans leurs becs. Comme le ciel est dégagé j'en profite pour photographier quelques cartes postales.


Le musée scientifique de l'Observatoire est comme la plupart du temps, un peu ringard et rébarbatif, mais les contributions d'étudiants en arts plastiques y apportent un peu de fantaisie comme Les mites au logis, photographies de culture de mites alimentaires. Le sonoscope en céramique de Hye-soon Seo est un concept amusant même si l'on entend essentiellement les commentaires des touristes qui sont à quinze mètres de nous, sans que ce soit pour autant dans la direction pointée ! Sonia et moi essayons en vain de reconnaître certaines des langues qui se croisent là-haut, à 2870 mètres d'altitude. En fin d'après-midi nous retournons à l'Abbaye de l'Escaladieu où France 3 m'interviewe devant la meute lagomorphe (diffusion ce dimanche midi et soir sur FR3 Midi-Pyrénées)... Sur la route éclairée par les phares la question des distances se pose à nouveau. Les routes en lacet me semblent plus rapides que l'autoroute. Je ne sais pas si nous sommes tout petits, mais je suis certain que nous sommes très loin.

samedi 4 septembre 2010

Jusqu'au cirque de Gavarnie


Après que Sonia ait appuyé sur la touche A de l'ordinateur qui contrôle nos 100 lapins en wi-fi, j'ai encore pris quelques photos de l'installation de Nabaz'mob à l'Abbaye cistercienne de l'Escaladieu à Bonnemazon pour le site dédié à notre opéra. Comme chaque lieu impose une disposition appropriée, j'ai pris l'habitude de publier quelques clichés de ses variations scéniques.
Sur ce, nous avons pris la route du cirque de Gavarnie par le col du Tourmalet. Le temps splendide offre une visibilité exceptionnelle sur les Pyrénées à tel point que nous pensons monter ce matin au Pic du Midi comme on nous le suggère...


Nous ignorions que nous allions marcher puis crapahuter pendant quatre heures, mais l'enjeu en valait la chandelle. Les embruns de la cascade de Gavarnie dégringolant de ses 423 mètres de hauteur furent rafraîchissants après l'escalade des cailloux qui se dérobaient sous nos pas. En redescendant, passé le névé, nous avons repéré que le chemin était bordé de centaines de framboisiers, un délice ! Nous sommes rentrés exténués à l'auberge où l'obscurité offrait un panorama sur les étoiles que nous avons trop souvent tendance à oublier à force de vivre en ville. Ces espaces grandioses nous dépaysent tant que nous avons l'impression d'être partis depuis une éternité.

vendredi 3 septembre 2010

Nabaz'mob à L'Escaladieu


Nos 100 lapins effectuent une petite retraite dans une abbaye cistercienne du XIIe siècle. Le parc est calme, spacieux et l'herbe y est bien verte. L'acoustique de la salle est telle que jamais les bestioles n'ont joué aussi fort. On ne s'entendrait pas parler si la centurie n'imposait le recueillement. Nabaz'mob est donc exposé à l'Abbaye de l'Escaladieu, près de Tarbes, dans le cadre du Festival des arts numériques. L'installation est visible de vendredi à dimanche (9h30-12h30/13h30-18h30).


Petite nouveauté, Antoine Schmitt s'est exceptionnellement fait remplacer par Sonia pour la mise en place de notre opéra. Il est en effet accaparé par sa nouvelle œuvre qui le mène de Bruxelles à Madrid en passant par Berlin et Helsinki. City Sleep Light joue le rôle de veilleuse dans les villes endormies, pulsant au rythme socio-économique de leurs activités respectives. Les immeubles équipés de LED sont visibles de partout, même depuis l'espace. Les habitants peuvent également faire vibrer leurs ordinateurs au rythme de leur ville. Le dernier contact établi avec mon camarade venait de Linz en Autriche où l'Ars Electronica Center respirait devant la fenêtre de sa chambre d'hôtel.

jeudi 2 septembre 2010

Shut Up and Dance


Après avoir embrassé les amis, j'ai pédalé comme un dératé pour grimper la côte de Belleville aux Lilas. À l'avant de mon Brompton reposait le nouvel album de l'Orchestre National de Jazz, double galette composée par le batteur John Hollenbeck, que j'étais trop impatient de glisser dans la platine du salon. Françoise dormait déjà. J'ai ouvert les volets, décellophané l'objet et la bile noire s'est envolée comme un nuage remonte du fond de la vallée pour aller s'évanouir de l'autre côté des cîmes. Chaque pièce est écrite en hommage à l'un des dix musiciens de l'orchestre, dix petits concertos inventifs et variés plus un morceau où tous frappent le sol de tubes en plastique accordés. Shut Up and Dance est le deuxième album de l'ONJ après celui autour de Robert Wyatt. Shut Up, ça vous en bouche un coin, and Dance, parce que l'ambiance est joyeuse, une sacrée marmaille réunie par Daniel Yvinec qui rejoint doucement mais sûrement son projet initial après un an et demi d'activité.


N'ayant pas l'intention de chroniquer le disque si tôt, je pensais faire un billet court pour évoquer la soirée de lancement du catalogue Bee Jazz de la rentrée en me servant du duo d'Ève Risser et Antonin-Tri Hoang comme alibi. J'aurais raconté qu'ils avaient joué King Korn, un morceau écrit en 1962 par Carla Bley pour son mari Paul, avec une fougue juvénile à redonner des couleurs à la meute des journalistes dont il était évident que peu avaient pris de vacances. Antonin soufflait dans son alto en oscillant de gauche à droite et de droite à gauche comme lorsqu'il était bébé et faisait des incantations exotiques avec le même mouvement de balancier vaudou. Ève pense jouer mâle quand elle frappe les touches du piano alors que sa fantaisie féminine est aiguisée comme un couteau de cuisine. Leur duo sentait fort le grand singe courant au milieu des épis, mais ce n'était que le fantasme d'une autre jeune femme avec une frange blonde lui cachant les yeux et qui cette année en avait déjà 72.
Quelques heures plus tard, alors que j'aurais dû aller me coucher vu l'horaire de mon avion ce matin aux aurores, j'écoutais le second disque en comprenant qu'il me faudrait plus d'une écoute pour en faire le tour. Le tremblé Shaking Peace dédié à Ève ou le "videogameplayed" Praya Dance dédié à Joce Mienniel sont probablement mes préférés. Dès que le style est innommable, je retrouve mes petits. La fraîcheur des compositions fonctionne parfaitement avec l'entrain des jeunes musiciens. Composer pour des individus plutôt que pour des pupitres est gratifiant pour tout le monde. L'ensemble me fait penser à une boule à facettes fixé à un nuage un jour où la brise est légère. J'y repenserai en m'endormant.

mercredi 1 septembre 2010

Août au Père Lachaise


Je ne peux pas imaginer faire une promenade au Père Lachaise sans aller saluer le buste de Georges Méliès, le créateur du spectacle cinématographique qui finit ses jours comme marchand de jouets et de bonbons à la gare Montparnasse. Depuis ma dernière visite en avril 2007 le cimetière héberge pas mal de nouveaux pensionnaires ou certains que je n'avais pas encore croisés sur mon chemin buissonnier. Pierre Bourdieu, Alain Bashung, Marie Trintignant, Mano Solo, Henri Salvador, Ticky Holgado ont rejoint la cohorte des immortels qui peuplent ce havre de paix. C'est pourquoi Arman se trompe lourdement...


Comme il est agréable de passer le dernier jour du mois d'août à la campagne par un temps pareil ! Je suis pourtant surpris d'entendre très peu d'oiseaux même si je sais qu'ils ne sont pas loin, quelque part au-dessus de nos têtes. Plus angoissant, nous ne rencontrons pas un chat. L'heure du déjeuner peut expliquer les allées désertes, mais l'absence de gente féline est inquiétante. Aurait-on vidé le jardin de ses hôtes câlins ? Une partie du charme s'est évanouie... Ayant proposé à Marie-Laure et Sun Sun de jouer leur guide, je les ai menés sans répit trois heures durant sur les traces de Radiguet, Proust, Hedayat, Apollinaire, Eluard, Balzac, Nerval, Modigliani, Morrison, Piaf, Colette, Desproges, Chopin et tant d'autres. En vieux Père-Lachaisien, j'évite les guides qui se proposent, ayant toujours préféré me perdre dans le labyrinthe des allées qui portent le nom du dragon ou des chèvres. Tout en bas, près de l'entrée principale rue de la Roquette, de grandes photographies de Jean-Claude Garnier montrent des cimetières du monde entier (exposition en plein air jusqu'au 2 novembre). Ils exhalent toujours un étrange parfum de mystère qui n'a rien à voir avec la mort. J'y sens une formidable pulsion de vie, l'énergie créatrice de la nature, la régénérescence à l'état brut. J'espère que ce n'est pas la troisième saison de True Blood qui me tape sur le système...