70 octobre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 31 octobre 2010

Portraits pour très


Des images et des sons. Bernard Vitet est venu écouter et regarder. Contrechamp à la pause. Je lui projète Thème Je que nos chansons accompagnent depuis que Françoise les a intégrées à son nouveau montage. Personne ne pose. Jeux de miroirs et loupe au goût de mon camarade qui en 1977 m'avait photocopié les gravures de son exemplaire du Livre des Inventions. Nous écoutons la maquette de mon nouvel album, du moins les premières ébauches. Bernard, présent à la trompette sur le troisième morceau, doit chanter sur le sixième, dès que j'en aurai écrit les paroles. Il n'avait pas vu non plus les films de Pierre Oscar Lévy de la collection Révélations sur lesquels j'ai placé quelques musiques composées ensemble. Je lui montre la richesse du nouveau site drame.org que j'espère mettre en ligne dès que Jacques aura terminé, soit, pour commencer, trente heures de musique inédites...


Françoise à la loupe elle aussi, sous mes Caramels. Avec, suspendu, le tableau qui fait fantasmer nos invités et délie les langues. Pas sans rapport avec Les miettes du purgatoire. Bernard n'est pas le dernier pour imaginer des histoires abracadabrantes. La chaudière est réparée, le feu frisote dans l'âtre, mais nous avons gardé nos manteaux...


Bien que je connaisse le film de Françoise, j'ai beaucoup ri et j'ai pleuré deux fois. En fait j'ai retenu mes larmes pour ne pas influer sur l'interprétation de Bernard qui évoque plusieurs fois Buñuel pendant la projection. Comme José Berzosa, lui aussi s'attend à ce que ce long-métrage choque une partie du public. Il craint que l'on reproche à Françoise de ne pas jouer. De ne pas jouer la comédie. Parce qu'elle joue beaucoup. Mais au jeu de la vérité. Jusqu'à s'en jouer, fictionnalisant les scènes, qu'elles soient impromptues ou sciemment composées. S'enjouant, sans joug, cent joues en feu, en joue, feu ! Je délire tandis que je l'entends tout en haut monter Gais Gay Games pour le Festival LGBT de Saint-Étienne. Elle me demande chaque fois de lui trouver ses titres. J'adore ça. Comment faire sans jouer avec les mots ?
Je titre "Portraits pour très", complétant dans ma tête "amis". Les cigarettes de Bernard m'ont collé la migraine. Il a même réussi à brûler mon nouveau fauteuil dans le studio. Je n'ai rien dit. Il est comme il a toujours été. Il dit que ce n'est pas le temps qui passe, mais nous qui passons. J'ai rigolé en pensant qu'il avait réussi à marquer son territoire...


En regardant cette photo, Bernard dit qu'il s'y reconnaît. C'est donc ainsi qu'il se voit. Cette fois ce sont les lunettes que j'ai trouvées sur eBay. Pas facile de trouver d'anciennes Matsuda à un prix décent. Je lui en ai aussi offert une paire pour le soleil. Il faut que je continue à surveiller si d'autres pointent leur nez sur le site d'enchères. C'est un des rares "endroits" où l'on peut dégoter l'introuvable. Bernard était plutôt en forme. J'ai donc extirpé mon appareil de son étui et j'ai mitraillé. Pour une fois que j'y pense !

samedi 30 octobre 2010

Projets de vacances


Ce ne sera pas la Birmanie dont les élections du 7 novembre risquent de provoquer des troubles incompatibles avec l'organisation d'un voyage plutôt roots. Je passe à Belleville acheter du nerf de bœuf, de la salade de pattes de poulet, des tripes laquées, du crabe cru et d'autres trucs bizarres pour me consoler. Sur le trottoir des Chinoises vendent des petits paquets de riz enrobés d'une feuille de bananier, tantôt sucrés, tantôt salés. C'est délicieux... Ce ne sera pas l'Australie dont le nord sera en pleine saison des pluies et le centre en pleine sécheresse. Et puis c'est loin et cher. Je fais inlassablement tourner le rhombe à deux tons, envoyé par Lark in the Morning, dont le son rappelle celui du didgeridoo. Il remplace celui que j'avais éclaté contre un mur pendant l'enregistrement d'Il ne fait jamais nuit de Zao Wou-Ki et que j'ai essayé de recoller ce matin malgré que l'arc soit toujours sous tension. C'est idiot, mais je suis un piètre bricoleur... Je cherche un coin reposant et dépaysant pour le mois de janvier. Après le Myanmar et l'Australie, je me suis renseigné sur le Costa Rica, mais j'ai l'impression que je m'y prends tard ; la période touristique correspondant aux vacances des Étatsuniens, tout est déjà complet et oblige à une organisation contraignante. Ses paysages naturels peuplés de bêtes sauvages me font pourtant rêver. L'idée est de partir en janvier dans un pays coupé de tout. Pas de téléphone. Arrêt du blog comme je l'avais fait il y a trois ans en partant avec Françoise au Laos. Ce n'est pas gagné. Le sud de la Thaïlande et le Cambodge nous plairait à tous les deux. On y mange bien, nous ne connaissons ni les plages thaïlandaises, ni Angkor et nous n'aurions pas besoin de tout planifier. En attendant je reviens à la réalité parisienne sans mer bleue, sans soleil, la chaudière est en panne et Françoise est revenue bredouille de la gare hier soir alors qu'elle aurait dû se réveiller ce matin à Luchon. La grève continue à la SNCF et l'information n'est pas relayée pour minimiser les mouvements de protestation.

vendredi 29 octobre 2010

Loué fut Ben Laden™


Combien nous aura coûté la rédaction du message de Oussama Ben Laden™ adressé à la France ? Propriété exclusive de la CIA, le rôle du méchant se sera-t-il négocié un prix raisonnable pour permettre à notre gouvernement ce ridicule effet de masque ? Arrivera-t-il à occulter la loi sur les retraites votée au mépris de l'opinion publique, ou les rebondissements de plus en plus embourbés de l'affaire Bettancourt ? On aimerait connaître le nom du studio responsable de la photo haute définition de la une de Libération hier matin, son vieillissement informatique étant courageusement signé par la CIA en page 3 du quotidien. Libé publie-t-il ces informations après avoir vérifié ses sources ou se limite-t-il aux officielles délivrées par le quai d'Orsay et son organe de communication, l'AFP ? Je pose insidieusement la question pour avoir trop souvent lu les professionnels de la profession fustiger les blogueurs et leur manque de sérieux.


Le 23 septembre 2006, sous le titre "Ben Laden, mort né" j'écrivais sur mon blog :
"Les agences de presse racontent que Ben Laden serait mort depuis quelque temps. Comment en douter ? Peu importe qu'il soit mort l'année dernière ou la semaine prochaine, Ben Laden ne pouvait (ré)apparaître sans mettre à mal l'intoxication de masse fomentée par le gouvernement américain. Dix ans agent de la CIA lorsque les USA soutenaient les Talibans contre les Soviétiques, il aurait retourné sa veste pour diriger la Jihad contre les mécréants de l'occident chrétien. On ne connaît de lui que des cassettes dont la mise en scène rappelle les plus mauvaises séries américaines, décor de carton pâte, texte récité, caricature pleine de contradictions s'il était censé suivre les préceptes que son interprétation de l'Islam lui ordonne. Quelle que soit l'efficacité de la plus puissante armée du monde (cough ! cough !), il ne pouvait apparaître au grand jour sans risquer de faire chuter le bel édifice de mensonges que l'on tente de nous faire avaler depuis cinq ans. Sa mort arrange tout le monde, les Américains comme les Arabes. Le diable ne parlera pas et le héros devient un mythe. Dans ce scénario catastrophe du plus mauvais goût, le terroriste Ben Laden était condamné à mort, depuis le premier épisode, par ses concepteurs-mêmes.
P.S.: Ben Laden ne sera officiellement mort que lorsque ceux qui l'ont nommé se seront trouvé un nouveau méchant."

Il aurait fallu que je change le turban pour un bleu-blanc-rouge cette fois (j'ai failli titrer "L'ami américain"). Les services secrets occidentaux voudraient nous faire avaler ce serpent de mer, soit. Mais est-ce seulement une manœuvre de diversion ou avons-nous quelque chose à nous reprocher ? Quelque dette impayée comme à l'époque de l'attentat chez Tati rue de Rennes en 1986 ou celui de Karachi en 2002 ? Ces deux hypothèses sont certainement plus probables que l'interdiction du voile générant la décapitation des otages, tel que le figurant Ben Laden™ l'annonce dans son dernier message. J'avais tort il y a quatre ans. Ben Laden™ est plus utile vivant que mort. S'il pouvait être éternel, il éviterait même un nouveau casting. Les politiques nous prennent pour des idiots et la presse s'en fait complice en diffusant l'information sans aucune des précautions qu'exige son énormité.

jeudi 28 octobre 2010

Le format CD est-il périmé ?


Cinq nouveautés parmi tant d'autres. Un disque de chansons : Areski Belkacem, compagnon de toujours de Brigitte Fontaine, compositeur de presque toutes ses chansons, son soutien moral, sort de l'ombre avec Le triomphe de l'amour, sympa, oriental, mais nostalgique (Universal). Un truc trip hop rockisant : le dernier Tricky, Mixed Race, est très critiqué pour non renouvellement de son inspiration et parce qu'il est un peu court, pourtant il s'écoute agréablement même s'il n'est pas à la hauteur de ses premières fusées (Domino). Un double trad : le virtuose arménien du doudouk, Djivan Gasparyan, a l'honneur d'une compilation Network, avec des formations très variées, on entend même Nusrath Fateh Ali Khan, Sainkho Namtchylak, Michael Brook, dialoguer avec son hautbois, c'est triste à souhait, très utile en certaines occasions. Un triple minimal : trois versions de durées variables de Strumming Music de Charlemagne Palestine, la première, indispensable, par le compositeur au piano Imperial Bösendorfer (52'14), la seconde par la claveciniste Betsy Freeman (35'24), la troisième pour cordes avec des étudiants du Conservatoire de San Francisco réunis par John Adams (24'26), totalement hypnotique avec effet paroxystique sur la durée (Subrosa). Un hybride jazz-rock-hip-hop-soul : le troisième Ursus Minor lorgne vers la pop, entendre musique populaire, avec la voix du batteur Stockley Williams, très proche de celle de Stevie Wonder, les rappeurs Boots Riley et Desdamona, et, joie, celle caverneuse du claviériste plus ou moins leader, Tony Hymas, c'est donc rythmé, entraînant, américain et toujours aussi personnel avec la remarquable basse du saxophone baryton François Corneloup et le nouveau guitariste Mike Scott, ex-Prince !
Cinq albums, aussi divers que variés, mes goûts sont éminemment éclectiques, sur un support matériel qu'on dit passé de mode. Bon d'accord, ça prend de la place sur des étagères bourrées jusqu'à la gueule, et j'ai décidé de me débarrasser de ce que je ne réécouterai jamais plutôt qu'en construire de nouvelles. Je ne vends pas, je donne quand ça me chante à qui ça comble. Mais, surtout, les clusters harmoniques de Charlemagne Palestine ne sauraient se contenter de la compression mp3 comme les transitoires des attaques de Tricky ou Ursus Minor. On se fiche évidemment de la galette en plastoc argenté, mais les petits livrets sont agréables à tenir en main surtout lorsqu'ils bénéficient d'un livret de 36 pages illustrées, ici une bande dessinée originale d'Ivan Brun (l'histoire d'un petit Africain qui traverse la Méditerranée au péril de sa vie pour être reconduit dans son pays manu militari), comme tous les derniers albums produits par nato (1 et 2). I will not take ''but"" for an answer fait donc partie de ce que l'on avait coutume d'appeler livre-objet ou disque-objet. Par contre, l'album de Tricky, plein de photos, n'indique pas le nom des musiciens, honteux, voire dangereux si l'achat du boîtier cristal ne produit pas de valeur ajoutée. The Soul of Armeniaest plein d'informations et j'ai trouvé agréable les pauses que les 3 CD de Palestine imposent lorsqu'il est nécessaire de se lever de son siège pour aller mettre le suivant. Rien de pire en effet que le flux incessant des lecteurs mp3 qui vont jusqu'à fabriquer des fondus enchaînés entre les morceaux des fois qu'un silence arrive à se glisser entre deux plages. Tout devient vague. Il n'y a plus de place pour le soleil. Car si écouter de la musique du matin au soir peut se concevoir, il est idiot de croire que l'enchaînement est une libération. Il n'y a rien de meilleur au monde qu'un début et une fin. Il n'y a pas de rencontre sans rupture.

mercredi 27 octobre 2010

Un palais à l'autre bout du monde


Qu'as-tu fait, Sacha, en me donnant l'adresse du workshop d'Issé et Cie ? La vendeuse m'ayant fait goûter tout le magasin avec des petites cuillères transparentes et des coupelles de verre, j'ai succombé à la tentation. Leurs produits sortent de l'ordinaire, parfumés à s'en damner. Sur l'étagère du haut j'ai aligné de gauche à droite du sasho en poudre (piment), un pot de piment frais au yuzu à tomber par terre, de l'huile de périlla (la plus riche en oméga-3, extraite du shizo dont j'ai trouvé des feuilles fraîches chez Ace Mart, le Coréen de la rue Ste Anne), de la sauce Chanponzu composée entre autres de jus d'agrumes japonais (yuzu, daidai, yukou, kabosu, sudachi), du jus de yuzu tout simple, un mirin de trois ans d'âge, des feuilles de nori assaisonnées au piment et bouillon d'huître, du kombu pimenté à saupoudrer sur le riz. Il y en a pour presque aussi cher que tout le reste qui vient de chez Ace Mart, pour changer de Kioko où je me fournis habituellement, car on ne trouve pas la même chose dans toutes ces épiceries. C'est comme à Belleville, chaque magasin a ses spécialités. Avec toutes ces épices, sauces et conserves, j'en ai heureusement pour des mois !
En bas, on voit donc des bouillons pour les rāmen, un mélange de graines, du riz rond, des udon, des assaisonnements divers en poudre pour le riz (besoin de rien d'autre), des filaments de piment (je suis démasqué quant aux émotions fortes), des algues au wasabi pour l'apéritif, différentes bases de sauce de soja pour les potages dont certaines au kombu, du bouillon tokusen shirodashi, des feuilles de sésame marinées, des graines de sésame au wasabi, du kimchi frais dont un de calamar (avoir oublié mes kaennips dans le frigidaire de ma chambre d'hôtel à Séoul me rend malade !), la sauce prune et nori, des bulots... De plus en plus souvent, ces épiceries affichent des explications sur leurs rayons, mais la traduction est souvent approximative. Il me semble que sur les étiquettes sésame, périlla et shizo sont la même chose tandis que yuzu est souvent traduit cédrat, alors que ce sont deux agrumes différents. Le petit citron jaune vient en fait du jardin de La Ciotat d'où Françoise, qu'on aperçoit interloquée par mon étalage en haut à gauche, a également rapporté un kaki sublime et quelques herbes magiques.
Même en période de disette je n'ai jamais lésiné sur les épices, évidemment pas dans ces proportions. Avec un petit assortiment on peut renouveler sans cesse sa cuisine, ne serait-ce qu'un filet de ci ou ça sur un bol de riz blanc. Faute de partir en vacances dans cet extrême-orient qui me fait toujours rêver, je voyage tous les jours en me laissant porter sur le tapis volant de ses cuisines miraculeuses. Mon palais porte bien son nom.

mardi 26 octobre 2010

Inventer de nouvelles formes de résistance


Il y a tant de professionnels zélés et compétents et suffisamment de commentateurs pour que j'évite de gloser sur les sujets qui font la une. Ce n'est pas que je vive dans un autre monde ou que l'actualité ne m'intéresse pas, encore que je préfère le recul de l'histoire et de la philosophie, mais ma voix n'ajouterait rien à ce qui se clame déjà. Je préfère donc chroniquer films, musiques, livres, expositions, spectacles dont la presse parle peu, privilégiant les compte-rendus bienveillants aux règlements de comptes. Mes billets d'humeur prennent parfois le contrepied lorsque l'unanimité s'exprime sur un point qui me hérisse. Par exemple les manifestations anti-Guerlain me semblent disproportionnées quand le racisme suinte de partout. Le vieux gâteux s'est excusé de son dérapage verbal alors qu'en France les descendants de ses anciennes colonies, noirs et nord-africains, souffrent toujours d'une ségrégation qui les pénalise à chaque pas. De même il est difficile d'attaquer telle ou telle enseigne délocalisatrice quand toutes ont recours à une main d'œuvre bon marché, mieux exploitable ailleurs qu'ici. Plus-value quand tu nous tiens ! Comment remplir son caddy ou son panier sans en être complice ? Les seuls qui y échappent crèvent la dalle.
Dimanche je discutais avec une enseignante non-gréviste, une jaune comme il est coutume de les nommer. Cette jeune amie, dévouée à ses élèves dans une banlieue tendue, aurait l'impression de les abandonner si elle se joignait au mouvement de protestation. Elle a beau être contre le gouvernement et en colère contre les conditions de travail qui lui sont imposées, les grèves ne la convainquent pas quant à leur efficacité. Elle se sent elle-même fétu de paille et ne saisit pas que l'union fait la force, la somme des unités faisant nombre. Je lui rappelle évidemment que sans les grèves de 1936 elle ne pourrait partir en vacances ce matin et que sans 1968 son mode de vie serait moins coloré. Son origine de classe ne favorise pas sa prise de conscience, mais tant d'individus agissent contre leurs intérêts, votant même pour leurs bourreaux quand l'illusion démocratique les pousse à mettre un bulletin dans l'urne funéraire.
Au fur et à mesure de la discussion, nous abordons les modes de résistance qui s'offrent à nous pour constater que les grèves ne sont peut-être pas le meilleur moyen de faire aboutir nos revendications, surtout lorsqu'elles sont impopulaires. Si l'imagination doit reprendre le pouvoir, n'est-il pas nécessaire de faire preuve d'invention aussi dans ce domaine ? Puisqu'on ne convainc personne qui ne veuille être convaincu, ne faut-il pas trouver des astuces pour rallier à nos côtés les sceptiques, les démobilisés, les frileux, les amers, enfin celles et ceux qui vibrent en sympathie avec le mouvement sans y participer, et même celles et ceux qui ne peuvent y adhérer parce que le vacarme et le chaos dérangent leurs habitudes et leur petit confort pourtant souvent modeste ? Il ne suffit pas de communier en allant se promener sur les grandes artères balisées avec quelques banderoles. L'enjeu est vital, la manifestation doit devenir virale.
Lorsque l'on envisage de faire fonctionner les transports publics gratuitement plutôt que de les bloquer on nous répond que la loi s'y oppose. Depuis quand devons-nous obéir à la loi si elle est inique et absurde ? Au lieu de tarir les pompes à essence, prenons-les d'assaut et servons-nous librement au self ! Si l'on veut attaquer le Capital au porte-feuilles puisque c'est sa seule "morale", refusons de nous faire plumer comme des poulets. Si je ne vois pas débarquer des cagoulés un de ces quatre à l'aube j'aurais de la chance ! Que les enseignants ouvrent les portes des collèges et accueillent les professionnels de leur discipline pour raconter l'Histoire de France au quotidien. La grève du zèle peut être joyeuse si ces nouveaux grévistes prennent le temps de faire correctement leur travail au lieu d'obéir aux cadences infernales. Qu'ils fabriquent du lien humain, de la convivialité, de la cordialité, de la solidarité, des notions que le Capital tente de broyer pour produire un rendement toujours plus juteux. Que les employés de banque et les comptables dévoilent les chiffres, que les guichetiers de la Préfecture de Bobigny accélèrent les cadences pour délivrer les autorisations de séjour et régulariser les sans-papiers, que les consignes iniques et destructives ne soient plus honorées ! Alors la grève deviendra un processus insurrectionnel permanent. On ne saura plus vivre autrement ni jouir de son travail qu'avec le sourire. Que voulez-vous ? On peut toujours rêver. Fut une époque où prendre ses rêves pour des réalités étaient les seuls mots d'ordre que tous et toutes pouvaient entendre.

English translation, thanks to Jonathan Buchsbaum.

lundi 25 octobre 2010

Jeannot l'intrépide, premier long métrage français d'animation


En 1950 Jean Image réalise Jeannot l’intrépide, premier long métrage d’animation français, trois avant Paul Grimault. On a parlé de l'influence de Walt Disney, mais ses difficultés financières l'obligent à inventer. Son style, imprégné de son enfance en Hongrie, est un kaléidoscope merveilleux, essentiellement chorégraphique. Les dialogues sont concentrés dans quelques séquences où je reconnais la voix de Pasquali qui enchanta mes jeunes années puisqu'il jouait dans l'opérette Nouvelle Orléans produite par mon père, et la musique de René Cloërec qui accompagne les délires visuels favorise les rêves éveillés. S'inspirant du Petit Poucet de Charles Perrault, Jean Image nous entraîne dans une féérie peuplée d'animaux et en particulier d'insectes que nous retrouverons dix ans plus tard dans la série télévisée Joe et les abeilles dont cinq épisodes, plus rudimentaires, sont également présents sur le DVD édité par Carlotta (sortie le 17 novembre). Comme tous les beaux dessins animés, Jeannot l'intrépide, restauré numériquement par les Archives du Film, n'a pas d'âge et ses spectateurs ne vieillissent pas. Chaque fois qu'un éditeur exhume l'un de ces trésors, notre monde retrouve son Technicolor tandis que les héros peints à la main nous donnent le courage d'affronter les ogres qui dévorent nos illusions.

dimanche 24 octobre 2010

Les recherches d'un chien à la Maison Rouge


Avec l'exposition Les recherches d'un chien, la Maison Rouge me donne enfin un os à ronger. Pas seule, puisqu'elle est alimentée par FACE, la Foundation of Arts for a Contemporary Europe qui réunit cinq fondations privées avec DESTE (Athènes), Ellipse (Cascais au Portugal), Sandretto Re Rebaudengo (Turin) et Magasin 3 (Stockholm), permettant de proposer un menu des plus roboratifs, d'autant que le thème ne me laissera pour une fois pas sur ma faim. S'inspirant d'une nouvelle de Franz Kafka, l'exposition présente des artistes qui interrogent la société et leur place responsable dans ce monde. La crise d'identité du chiot le marginalise alors qu'il voudrait seulement comprendre ses congénères. Si la poésie transpose le réel, sa gamelle est forcément politique et sa révolte de hors-la loi légitime. Certains mordent, d'autres se frottent, mais tous ne répondent qu'à leur nom, même si le maître reste indubitablement le galeriste. Jusqu'au 16 janvier 2011, on découvrira donc des œuvres d'artistes qui ne s'amusent ni ne se rebellent sans arrières-pensées.


Peu d'entre eux partent de nulle part. Les matériaux qu'ils emploient sont souvent de récupération, détournés par l'alchimie du verbe et du collage. Les artistes des pays pauvres transposent d'ailleurs avec plus d'évidence les images qui les ont impressionnés. La rencontre de l'art naïf avec les expressions savantes accouche de petites merveilles au sens qu'elle entraîne ma rêverie vers des contrées insoupçonnées.
Une exposition collective est une autre forme de montage. Les pièces se répondent et se complètent. La part de l'accrocheur devient celle du lion face aux chiens qui s'ébrouent devant les murs immaculés. En regardant les photographies de l'exposition dans d'autres lieux, nous constatons que les juxtapositions sont différentes de celles de La Maison Rouge. La proximité des œuvres entre elles ne produit pas le même sens selon les associations choisies. L'itinérance suggère l'adaptation aux pays qui les accueillent. Le texte de présentation d'Irene Calderoni désosse parfaitement le processus de la création et son rôle social. Il y en a pour tous les goûts et l'on peut y revenir.


J'ai photographié Les Nécrophores - L'enterrement (Hommage à Henri Fabre) de Mark Dion (1997, photo 1) en pensant d'abord à Kafka perché sur son tabouret, hilare, s'étouffant de rire à la lecture de son texte. Les insectes se nourrissent du pendu aveugle. Exploitation ou suicide ? Caché au fond, Strike V.II au néon éteint de Claire Fontaine (2005-2007) résonne aux accents de nos grèves face au pouvoir sourd, imbu d'arrogance et de vénalité. La salle où sont rassemblés Fly Me to Another World (dedicated) de Navin Rawanchaikul (1999), Rio Fundo de Marepe (1975), Bottari Truck de Kimsooja (2005), ces trois derniers en photo 2, le film Barbed Ula de Sigalit Landau (2000), African-American flag de David Hammons (1990), l'installation vidéo History of the Main Complaint de William Kentridge (1996), les ombres découpées de Kara Walker (2002-2005), me touche plus que les autres, probablement parce que ces artistes expriment une urgence dont des Jeff Koons (Wrecking Ball de 2002) ou Martin Parr (Common Sense, 1999) sont incapables, trop préoccupés par leur propre image. Il y a toujours une corrélation entre l'homme (ou la femme) et son œuvre. Sans titre (le terril) de Stéphane Thidet (2008) composé de millions de confettis noirs répond brutalement au Body Mask en or de Sherrie Levine (2007), photo 3.
Chacun, chacune, trouvera donc matière à réflexion en se promenant au milieu des pièces de Thomas Hirschhorn (Spin Off, 1998), Bruce Nauman (Untitled (Suspended Chair, Vertical III), 1987), Maurizio Cattelan (Untitled (Natale 95) Stella con BR, 1995), Virginie Barré (Les hommes venus d'ailleurs, 2005), Fischli & Weiss (Animal, 1986), Paul McCarthy (Pig, 2003), etc. Le catalogue à paraître devrait intégrer des nouvelles commandées à cinq auteurs de nationalités différentes d'après la nouvelle de Kafka... Plus que jamais, dans notre monde contemporain qui part à vau-l'eau, la responsabilité de l'artiste, dont la liberté d'expression est un des rares remparts contre les démences de l'espèce humaine, est déterminante. Qu'il la doive ici à un chien est plutôt encourageant !

samedi 23 octobre 2010

Lunatique


Allez savoir où vont se nicher les superstitions et les savoirs oubliées, les contrées inexplorées de la science et les fruits de l'inconscient collectif ! Il ne naît pas plus d'enfants les jours de pleine lune, mais ma fille nous a piégés en se pointant tout de même cette nuit-là ! Nous n'avons pour autant rencontré aucun loup-garou sur le chemin de Saint Vincent de Paul. Chaque fois que je constate un nombre élevé de déments sur la voie publique, à pieds, à bicyclette ou en voiture, je ne peux m'empêcher de regarder en l'air. Et paf ! La lune est là, énorme, lumineuse. Par un habile coup de volant j'évite heureusement l'obstacle. On ne fait évidemment jamais attention à l'absence de coïncidences. C'est le succès de l'astrologie. Seules les vérifications positives valident l'oracle. Kepler aurait tout de même écrit « on ne devrait pas rejeter comme incroyable la possibilité qu’une recherche suffisamment longue puisse révéler un grain de vérité dans la superstition astrologique.» Sur combien de siècles le protocole doit-il s'étendre pour que l'on y accorde un peu de crédit ? L'attraction de la lune fait bien bouger des quantités gigantesques d'eau salée ! Nous ne sommes quant à nous que de minuscules masses, négligeables comparées aux marées. Si, avant que l'entropie ne nous emporte, nous obéissons à des lois cycliques, tant en termes intimes qu'historiques ou scientifiques, ne pourrait-il y avoir une corrélation entre les révolutions elliptiques de la lune et nos humeurs ? Nous y conformons-nous hystériquement ou sommes-nous réellement influencés comme de nombreuses autres espèces animales par les phases de la lune ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais je sais qu'il m'aura fallu slalomer parmi les fous pour rentrer ce soir au bercail en une seule pièce. Arrivé, j'ai regardé le jardin éclairé naturellement. Il y régnait une lumière inhumaine. Je ne risquais pas de moins bien dormir que les nuits précédentes. Depuis quinze jours, je ferme à peine l'œil, me réveillant avec des idées bizarres, ni plausibles, ni totalement absurdes. Alors, si j'ai pris un coup de lune, ce ne pouvait être que le mois dernier.

vendredi 22 octobre 2010

Le plus simple appareil


Nous vivions nus. C'était le costume naturel de notre jeunesse. Sans fard. Nous avions l'impression de respirer par tous les pores de la peau. L'idée de se parquer dans un camp était d'une ringardise achevée. Nous choisissions des criques désertes ou des heures creuses. La question du pyjama ne se posait plus. Mon père avait l'habitude de se baigner sans rien. Sur la terrasse toute la famille était à poil. On peut le voir sur les films de la famille. L'effet peut paraître étrange aujourd'hui. Plus tard, ma fille s'inquiètera lorsque passeront les heures. Papa, j'ai des copains qui vont arriver, tu ne vas pas rester comme ça ? L'idée de choquer qui que ce soit n'était évidemment surtout pas notre propos. Je ressentais le vêtement comme une tricherie, un peu comme le maquillage. On n'avait pas envie de se réveiller le lendemain matin avec une autre personne que celle rencontrée la veille ! Je me suis habillé. À la maison, dans le studio de musique, quand je suis seul je travaille souvent nu, surtout l'été. J'enfile un vêtement si quelqu'un sonne. Et puis je le garde jusqu'à la nuit. Alors les draps reprennent le dessus. J'aimerais les écarter. La mode de se raser les poils m'apparaît comme une nouvelle manière de cacher sa nudité. Je comprends bien les barbus, les chevelus, les tout nus.
La jeune photographe Lili Lekmouli fait poser ses modèles dans le plus simple appareil en pleine ville sans que les passants s'en aperçoivent, parce que leurs gestes sont ceux du quotidien. Le costume est invisible. Le naturel de leurs attitudes rejoint l'acceptation de leur corps. Contrairement aux mises en scène somptueuses de Spencer Tunick où des milliers de volontaires nus se retrouvent aux quatre coins de la planète, ces hommes et ces femmes montrent leur visage. Souvent, du moins ! On peut se demander si les clichés de Lili exposés jusqu'au 8 novembre au restaurant El Triton aux Lilas exciteront ou couperont l'appétit de la clientèle. Chacun réagira au tabou de la nudité selon sa sensibilité et son éducation. Anna Sanchez Genard programme chaque mois un artiste différent pour habiller les murs du restaurant. Le suivant sera Louis Sclavis dont on connaît la musique, mais qui cette fois y accrochera ses photos.
Avant de partir je jette une oreille au quartet du trombone Yves Robert qui joue ce soir vendredi le troisième volet de son projet sur l'argent avec la chanteuse Élise Caron dans la salle du Triton. À l'écoute de ce bout de répétition qui me fait rêver je regrette de ne pouvoir en être, mais j'ai promis d'aller à l'Atelier du Plateau "qui fait son cirque", avec, entre autres, les Chiche Capon, pour l'anniversaire de ma nièce Chloé qui y travaille. Là aussi cela devrait dépoter !

jeudi 21 octobre 2010

Hommage à Jean-André Fieschi


L'hommage de la Cinémathèque Française à Jean-André Fieschi devrait me remplir de joie, mais son retard m'envahit de tristesse. Il aura fallu qu'il rejoigne les fantômes que l'écran ressuscite pour que son travail soit célébré. Pourquoi attendre qu'ils aient traversé pour célébrer certains passeurs ? J'aurais aimé lire cette annonce de son vivant. Une carte blanche imaginaire lui est consacrée, avec ses films, mais aussi quelques uns de ceux qui jouèrent le rôle de L'accompagnement. Une jolie préface de Bernard Eisenschitz livre le programme de ce Jeu des voyages : Alphaville où il était le Professeur Heckell et Rogopag du grand frère Jean-Luc où il figure aussi, Le crime de Monsieur Lange dont la figure de l'escroc Pachala joué par Jules Berry le fascinait tout comme le justicier Judex ou le réalisateur illusionniste de F for Fake (Vérités et mensonges), Le journal d'une femme de chambre qui me rappelle quand il nous racontait sa rencontre avec Don Luis, et puis surtout Gertrud, Lilith, Madame de, Sandra, sublimes portraits de femmes qui resteraient pour lui à jamais la grande énigme.
Si toutes les salles de cinéma devraient ouvrir leurs portes battantes sur La région centrale, la projection d'hier soir débuta avec un épisode de Cinéastes de notre temps consacré à La première vague qu'il cosigna avec Noël Burch. Ce film sur L'Herbier, Delluc, Epstein et Germaine Dulac révolutionna mon approche du cinématographe. L'invention de cette période du muet m'éclata à la figure comme une symphonie d'images et des sons qu'elles suscitèrent. L'illustration musicale synchronisée pour l'occasion y est d'ailleurs remarquable. La partition de Darius Milhaud sur L'inhumaine est à tomber par terre, mais je me retiens à mon siège quand la caméra chavire dans les décors de Fernand Léger, Alberto Calvacanti, Autant-Lara et Mallet-Stevens. À cette époque, le cinéma avait la musique pour modèle. Je retournai le concept, comme les gants que portait Marcel L'Herbier sur le plateau de la Gaumont, et m'inspirai désormais du cinéma pour composer.
La soirée se termine sur le premier épisode du Jeu des voyages filmé avec les moyens du bord. Inspiré par le modèle du musicien qui le suivait partout en fidèle disciple, Jean-André décida dès 1975 d'acquérir sa propre indépendance, même s'il fallait trimbaler la lourde vidéo portable dans le sac à dos. Les minuscules caméras japonaises succédèrent à la paluche Aäton qu'il avait achetée à Beauviala en louis d'or. C'est ainsi qu'il surprend les fantômes du Père Lachaise, somnambules qui ne sortiront qu'à la nuit tombée, il fallait bien commencer par ceux qui avaient initié le récit. Puis une salle de projection avec l'ami Labarthe, comme celle d'une autre Cinémathèque dans le film précédent, identique à celle où nous sommes assis, autour de Franju on y reconnaissait de dos Fieschi, Claude Ollier, Jacques Siclier, Ado Kyrou, le dispositif nous projetant sur l'écran par cette magie qui le faisait décoller du sol les bons jours. La salle de montage où la pellicule s'attrape avec un gant blanc sur la triple bandes, encore l'attente. Enfin la direction des acteurs, ici Anouk Grinberg lisant, je crois, Paul Claudel, toujours la répétition.
Jusqu'au 7 novembre, beau programme !

mercredi 20 octobre 2010

Bruit blanc


Associant deux termes extrêmes et de natures apparemment incompatibles, le bruit blanc excite l'imagination. Les bruits nous en feraient voir de toutes les couleurs et le blanc pur n'existant pas plus que le noir, plongeons dans la collection de nos souvenirs pour faire vibrer quelque arc-en-ciel sonore. En musique on appelle bruit blanc le mélange de toutes les fréquences en référence à la lumière blanche produite par l'addition de toutes les couleurs. Rappelez-vous la palette que l'on faisait tourner comme un disque en cours de physique. Mon premier synthétiseur, un ARP 2600, m'apprit ce que l'on pouvait générer avec le module de bruit blanc, en réalité tous les bruits non accordables, depuis le vent qui souffle jusqu'aux applaudissements en passant par la percussion des tambours (sauf à en accorder les peaux). En le filtrant j'obtenais un bruit rose, ce qui flattait mon goût pour les expériences psychédéliques. Le groupe White Noise dont j'avais acquis l'album An Electric Storm en 1968 fut l'une de mes premières émotions électroniques en termes de pop music, modèle anticipatoire de toutes les vagues electro qui déferleront plus tard sur les platines.
Au début du XXe siècle le compositeur Edgard Varèse valida le concept musical du bruit et John Cage valorisa sa forme minimale, le silence, avec à l'autre bout du spectre la musique industrielle des années 70 dont les diverses noise musics actuelles ne sont que des revivals. Je m'infiltrai rapidement dans le créneau bruitiste en produisant en 1965 ma première œuvre électroacoustique pour ondes courtes et pompe à vélo, deux ans après que Frank Zappa, mon maître, se soit produit au Steve Allen Show avec deux bicyclettes complètes. Ne plus faire de distinction entre bruit et musique fut dès lors une source de préoccupation constante que le concept de partition sonore entérina pendant mes études à l'Idhec quand y intervint Michel Fano. Puisque le blanc n'existe pas véritablement, j'ai passé ma vie à peindre des bruits de toutes les couleurs, des plus mélodieux aux plus dérangeants, pour raconter des histoires et interroger le monde qui reste toujours à faire, aujourd'hui plus que jamais.
David Carter publie un nouveau pop-up où ses sculptures de papier ne créent plus la surprise des premières fois, mais lorsqu'elles se déplient chacune produit un petit bruit blanc délicat, plus doux que celui de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain, un bruit qui court de page en page, comme on les tourne de manière répétitive, transformant le livre en instrument bruitiste pour le plaisir des yeux et des oreilles (Gallimard Jeunesse).

mardi 19 octobre 2010

Naufragés des Andes


En 1972, j'avais été très impressionné par le crash de l'avion sur la Cordillère des Andes dont les rescapés avaient dû leur salut en mangeant leurs camarades décédés. En gastronome curieux j'ai toujours prétendu que le cannibalisme ne me faisait pas peur et que cela n'était qu'une question de circonstances. Mais il s'agit plutôt ici de nécrophagie et la parabole christique "ceci est mon corps, etc." fait passer la pilule lorsque ces jeunes Uruguayens confrontés à la mort choisissent la communion pour ne pas mourir de froid et de faim. Leur condition sociale et physique permettront à 16 des 45 passagers de survivre 72 jours à plus de 4000 mètres d'altitude dans des conditions extrêmes. Jeunes bourgeois éduqués de la banlieue huppée de Montevideo allant disputer un match de rugby au Chili, ils devront affronter un des plus terribles tabous lorsqu'ils apprendront par la radio que les recherches ont été abandonnées au bout de dix jours.


Gonzalo Arijón, qui tenait l'une des caméras du film de 1983 sur Un Drame Musical Instantané et faisait partie de l'équipe des réalisateurs de Chaque jour pour Sarajevo en 1994, avait fréquenté le même lycée que certaines des victimes. En 1h52, il filme le récit extraordinaire de la catastrophe en un documentaire poignant et passionnant, film à suspens où les protagonistes témoignent avec une telle sincérité, où l'enchevêtrement d'images d'archives et de reconstitutions est réalisé avec une telle maîtrise qu'il nous semble assister à un film d'action. En intitulant en français son film Naufragés des Andes, il me rappelle indubitablement Les naufragés de la rue de la Providence, titre initial de L'ange exterminateur de Luis Buñuel, histoire d'un enfermement absurde où la solidarité reste la seule échappatoire. L'humanité qui s'en dégage est un miroir qui suggère quantité de questions anthropologiques (entretien de Gonzalo Arijón de 2022). La qualité technique du film et la subtilité du traitement valent à Arijón de prestigieux prix internationaux. [...] Arte l'avait édité en DVD, [et j'ai eu un peu de mal à en trouver les traces...]

lundi 18 octobre 2010

Hypoglycémie


Pas le temps de bloguer. Trop faim. J'ai la tête qui tourne. Quand cela me prend il faut que je mange tout de suite. L'impatience. Je grignote en faisant la cuisine, ne serait-ce que des olives portugaises achetées samedi chez Prim'land à Romainville pendant que je fais bouillir l'eau pour les haricots verts géants chinois et les nouilles fraîches qui accompagneront le filet mignon au miel sur lequel je saupoudrerai sésame, peau de mandarine séchée et piment rouge. En même temps je range les ustensiles qui traînent et je fais un peu de vaisselle. Pas moyen d'opérer sur un plan de travail encombré. Comme j'évoque ironiquement une hypoglycémie, je sors quelques sucres du placard pour illustrer ces lignes. Karine et Sacha nous ont rapporté du sucre noir liquide d'Okinawa, un délice ! Autour, j'ai rapidement disposé pour la photo du sucre de palme offert une autre fois par Sacha, de la vergeoise qui vient d'Adelaide, du sucre de cocotier trouvé aux Nouveaux Robinson, du sucre de canne et du blanc basique. J'aurais pu ajouter du muscovado, du sirop d'érable, du sucre candi... Mais le temps presse. Chacun a son propre parfum et une destination particulière. J'ai aussi une collection de sels, de moutardes et une vingtaine de piments différents, mais ça c'est une autre histoire.

dimanche 17 octobre 2010

Thème Je sans l'Internationale


Françoise Romand termine le montage de son dernier long métrage commencé en 1999. Thème Je sortira enfin en DVD début 2011. Le multi-écrans du début me rappelle l'époque où les cinémas projetaient systématiquement un court métrage avant le grand film. Cette impression vient de la légèreté délicate de ces cartes postales animées où toute la famille Romand s'active à l'image des ruches du jardin. On reconnaît plus loin ce grouillement dans la pluie qui tombe ou les grains de poussière qui volent autour d'un index traversé par le soleil. Mais la comédie annonce les petits drames qui se préparent, et l'alternance des deux fabrique ce qu'il est convenu d'appeler une comédie dramatique. Le montage est la mise en scène de cette dialectique subtile entre des scènes provocantes, souvent par leur caractère sexuel, et la générosité qui se dégage de la nouvelle version tellement plus tendre que celles qui furent projetées dans divers festivals il y a quelques années, de Rotterdam à Jeonju en passant par New York, Créteil et Toronto. Les trente minutes supplémentaires, les effets spéciaux et les chansons donnent la sensation d'un film plus court alors qu'il dure maintenant 1h47.
Comme Françoise souhaitait ajouter quelques notes sifflées de L'Internationale sur son père évoquant les évasions de capitaux plus graves à ses yeux que celles des chiens et des canards, je suis obligé de la dissuader après avoir vérifié auprès de Jean Rochard, producteur des disques nato, que nous courions au devant d'ennuis. En effet, il me confirme que "les droits sont chez Harmonia Mundi jusqu'en 2017 à la suite d'un abracadabrant accord puis rachat de Melodya, la maison de disques unique de l'URSS au moment de la chute de cette dernière. Il est des pays où l'Inter est dans le domaine public mais pas en France (ce qui est un comble). De plus, si on le fragmente il faut l'accord de l'éditeur." Je me souvenais qu'il s'était lui-même heurté à ce problème. C'est complètement dément si l'on sait qu'Eugène Pottier l'écrivit en 1871 et que Pierre Degeyter, mort en 1932, en composa la musique en 1888. C'est encore plus absurde si les quatre premières mesures (thème et harmonies) ont bien été empruntées au final de l'opérette Les Bavards d'Offenbach, créée avec succès au théâtre des Bouffes Parisiens en 1863. La confiscation par les éditions du Chant du Monde serait d'autant plus scandaleuse. Sur quelles bases un tel accord a-t-il pu s'établir avec la Sacem qui fit un procès au cinéaste Pierre Merejkowsky parce qu’un personnage de son film Insurrection résurrection siffle pendant sept secondes l'hymne révolutionnaire adoptée par l'Union Soviétique, lui réclamant 1000 euros. Nous avons franchement mieux à faire qu'à nous battre contre des loups vains amants.

samedi 16 octobre 2010

Une dent contre


C'est rageant, mais le criminel peut continuer à sévir tranquille. J'ai oublié son nom et il y a prescription car l'affaire remonte à une trentaine d'années. En plein mois d'août, je tombe sur un os en mâchant un steak dans un restaurant de la rue de l'Espérance. L'éclat pointu explose une de mes prémolaires supérieures. Mon dentiste étant évidemment en vacances je cherche un praticien dans l'annuaire qui ne soit pas trop loin de chez moi. Le dandy antipathique au possible qui m'opère me répare cela en deux coups de cuillère à pot, soit deux rendez-vous vite fait mal fait, puisque je me retrouverai quelque temps plus tard avec un sérieux abcès. Mon dentiste, dont le bronzage aura disparu entre temps, m'explique que son confrère a mal obstrué le canal et s'occupe donc de régler la crise de Panama. Les années passent en caries et implants sans lien avec le délit jusqu'à ce que Sonia me rapporte de chez le boulanger d'à côté un de ses moelleux palmiers dont il a le secret. Saperlipopette, m'écriai-je, un caillou sous mon palmier, la boulangère, elle exagère, "et cependant la boulangère tous les sept ans change de peau, tous les sept ans, elle exagère" (nouvelle citation extraite du drame surréaliste de Guillaume Apollinaire, Les mamelles de Tirésias, mis en musique par Francis Poulenc) ! Mais non, c'est une dent. Je mets du temps à comprendre. Et une des miennes, par dessus le marché ! Me revoilà parti chez le père Noël, mon dentiste depuis dix ans, pour reboucher le trou incommodant. Tandis que je suis allongé sur son fauteuil, il m'annonce un peu gêné qu'il ne faut pas que je m'affole puisque cela a tenu depuis si longtemps, mais un dentiste a laissé un outil dans ma mâchoire. Regardez, me dit-il, en me montrant la radio instantanée sur son écran d'ordinateur, on voit très bien la lime cassée. Encore heureux que les portiques anti-métaux ne sonnent pas aux frontières ! Rien à faire, qu'elle y reste ! Il faut maintenant construire un inlay sur les décombres. Qui des deux précédents chirurgiens n'a pas eu le courage de me raconter son geste maladroit ? Était-ce le boucher du mois d'août ou le fils du peintre qui avait obstrué le canal infecté ? On ne le saura jamais. Je fabrique tellement d'os, mes exostoses mandibulaires mériteraient à elles seules une thèse scientifique voire un stand forain, que j'ai intégré le métal à ma mâchoire de carnassier. Ce n'est pas pour rien que mon label s'appelle GRRR !

vendredi 15 octobre 2010

L'arnaque


L'alerte Google m'avertit qu'un livre porte mon nom sur sa couverture alors que je ne le connais ni des lèvres ni des dents. Il s'agit en fait d'une compilation d'articles Wikipédia publiée par Livres Groupe au prix de 28,92$, achat redirigé par le site Web Nuts vers Amazon.com pour la version française. Paradoxalement ma recherche sur Amazon.fr m'amène à la version anglaise publiée par Books LLC à 14,77€ qui arbore d'autres noms en couverture... Une classification thématique des articles de l'encyclopédie contributive, bénévole et gratuite permet de produire de la feuille en veux-tu en voilà pour tous les goûts. Comment est-il possible de vendre une version papier de ce qui est gratuit sur Internet et surtout comment les contributeurs bénévoles sont-ils rétribués si l'objet est payant ? J'ai aussitôt demandé à Laure Nbataï, rédactrice de mon profil sur Wikipédia, si elle était au courant, mais elle se montre extrêmement surprise. L'arnaque ne s'arrête pas là. Le premier ouvrage est gratuit, et si vous ne résiliez pas votre "abonnement" vous serez débité d'autant chaque mois, car "les achats comprennent une adhésion à l'essai gratuite au club de livres de l'éditeur, dans lequel vous pouvez choisir parmi plus d'un million d'ouvrages, sans frais."
Pour les curieux attirés par le sujet et les gogos désirant soupeser les 296 pages je recopie l'argumentaire :
le livre consiste d'articles Wikipedia sur : Marcel Duchamp, Andy Warhol, Guy Debord, Jean-Jacques Birgé, Lettrisme, Henri Storck, Vidéo-Jockey, Isidore Isou, Générique, Avant-Garde, Super 8, Luc de Heusch, Roland Lethem, Joseph Cornell, Dziga Vertov, Norman Mclaren, Jacques Perconte, Charles Dekeukeleire, Raphaël Bassan, Powaqqatsi, Patrice Bauduinet, Jonas Mekas, Maurice Lemaître, Jean-Marie Buchet, Michael Snow, Vivienne Dick, Virgil Widrich, Anthony Mccall, Yann Beauvais, Maya Deren, Boris Lehman, Lausanne Underground Film and Music Festival, Alle Macht Der Super 8, Ciao! Manhattan, Leighton Pierce, Peter Kubelka, Edmond Bernhard, Eric de Kuyper, Eugène Deslaw, Kenneth Anger, Walter Ruttmann, Len Lye, L'etna, Hurlements En Faveur de Sade, Oucipo, Ernie Gehr, Ken Jacobs, Cinéma Underground, Henri D'ursel, Carole Arcega, Alexander Hammid, Martin Arnold, Dickson Experimental Sound Film, Found Footage, Bill Morrison, Boxing Cats, Cinéma Brut, Cinéma Militant, Tony Conrad, Kurt Kren, Mary Ellen Bute, Catherine Bareau, Art Audiovisuel. Non illustré. Mises à jour gratuites en ligne. Extrait : Guy Debord (1931-1994) est un écrivain, essayiste, cinéaste et révolutionnaire français, qui a conceptualisé ce qu'il a appelé le « spectacle » dans son œuvre majeure La Société du spectacle (1967). Il a été l'un des fondateurs de l'Internationale lettriste (1952-1957) puis de l'Internationale situationniste (I.S.) (1957-1972), dont il a dirigé la revue française. Très tôt, Guy Debord perd son père. Le mouvement populaire est amené dans l'impasse de la Seconde Guerre mondiale, et à ses 17 ans, tous les événements fondateurs de ce qu'il appellera La société du spectacle sont en place : la généralisation de la technique, l'espionnage généralisé, les camps, Hiroshima/Nagasaki, la...
Après le dépôt de noms de domaine revendus ensuite très chers, les phishings divers et variés, la publicité spameuse, les escrocs du Net ont encore de la ressource. Bien qu'épaté de partager la couve avec Duchamp, Warhol et Debord, je m'abstiendrai, d'autant qu'à pirater les petits malins ont oublié mon accent aigu, GRRR !

jeudi 14 octobre 2010

Titubation


La tubeuse est parfaite pour les futurs tubards qui ne veulent pas se faire trop entuber par la Régie des tabacs. Comment ai-je pu passer à côté de cette invention qui existerait depuis des décennies ? Quand j'ai vu Simon sortir sa machine à tuber des cigarettes à bout filtre j'ai cru qu'il agrafait un papier dans un pot en carton. De plus en plus de monde roule soi-même ses cigarettes, surtout les jeunes, par souci d'économie ou pour s'occuper les doigts, mais je ne connaissais pas ce machin qui existe même dans des versions électriques. En sortent de jolies cylindres effilés, droits comme des i, quand les roulées à la main ressemblent à des petits joints un peu tordus. Je n'ai jamais appris à rouler, probablement pour me prendre toujours pour un amateur, préférant avoir recours à la boîte à rouler que j'ai utilisée dès mes débuts de fumeur acrobatique ou laisser à mes camarades experts le soin de cette tâche minutieuse. J'en sortais des bazookas à fort tirage, parfaitement adaptés à ma cheminée. La fumée inhalée, retenue consciencieusement, ne ressortait jamais qu'en images pieuses, pas de gâchis ! Je parle à l'imparfait, d'une part parce que je n'ai jamais aimé le tabac, d'autre part parce que les autres substances ont fini par me fatiguer avec les années. Adolescent j'achetai un paquet tous les trimestres pour pouvoir aborder les filles, mais ce n'était pas très efficace à constater mon maigre budget clopes d'alors. Si je n'ai jamais interdit à ma propre fille de fumer, je lui ai tout de même fait remarquer que c'était dommage de risquer d'abréger sa vie pour calmer son impatience ou sa nervosité. En plus, comme pour moi sur mon divan, ce n'est pas indiqué lorsque l'on évolue sur un trapèze. Sans évoquer les immenses profits réalisés par ses marchands de mort sur nos poumons, avec la complicité de l'État... On n'arrête pas le progrès, surtout lorsqu'il date de Mathusalem, mais à découvrir des petits jouets comme la tubeuse, vertubleu, c'est vraiment dommage que je ne fume plus ni pas.

mercredi 13 octobre 2010

Robert Wyatt et Katerine, quand simplifier réfléchit la complexité du monde


Depuis Shleep Robert Wyatt n'avait pas réussi un aussi bel album. Le tendre '......... for the ghosts within' est une œuvre à trois voix, cosignée par le saxophoniste anti-sioniste Gilad Atzmon, israélien naturalisé anglais (je pointe le lien vers Wikipédia anglais, le français étant un tissu d'allégations honteuses) déjà présent sur Cuckooland et comicopera, et la violoniste Ros Stephen qui dirige le Sigamos String Quartet augmenté du contrebassiste Richard Pryce. Avant que Wyatt ne les rejoigne, tous travaillaient déjà ensemble sur les standards jazz, en particulier un hommage à Charlie Parker, qui occupent la majorité des plages du CD (Laura, Round Midnight, Lush Life, What's New?, In a Sentimental Mood, What a Wonderful World). Si la voix du chanteur ne possède plus sa vertigineuse vélocité passée, le son du quatuor participe à cette fébrilité éraillée qui donne l'impression de marcher sur le fil du rasoir sans ne jamais se couper. Je suis moins fan des chorus orthodoxes du saxophone alto, mais l'orientalisme donne un coup de soleil au teint pâle du chanteur qui n'a jamais baissé sa garde, surtout lorsque Stormtrap (Abboud Hashem) rappe le texte de Shadia Mansour (Where Are They Now?) ou que la voix de Tali Atzmon chante les fantômes qui flotteront toujours sur la Palestine (The Ghosts Within). Les autres textes sont de l'éternelle compagne Alfreda Benge qui signe comme toujours la pochette et la reprise d'At Last I'm Free donnant à ce nouveau disque un petit côté Nothing Can Stop Us. Enfin je ne me lasserai jamais de Maryan composé par le guitariste belge Philip Catherine, homonyme du chanteur corrosif...

Justement, dans un registre radicalement différent, mais tout aussi minimaliste, l'autre disque qui tourne sur ma platine est le dernier album de Katerine intitulé Philippe Katerine, sorte de manifeste intime (présence vocale de ses parents, sa compagne Jeanne Balibar et sa fille) et universel où les textes se résument souvent à quelques mots, leur apparente simplicité dessinant en filigranes une puissante critique de notre société. Longtemps rebuté par les provocations potaches du chanteur, je n'ai saisi son travail qu'en regardant la vidéo d'un concert où il dégageait une énergie rock 'n roll étonnante. Je connaissais un peu ses chansons grâce à mes camarades des Recyclers, Benoît Delbecq et Steve Arguëlles, qui l'accompagnaient et signèrent les arrangements des Créatures et 8ème ciel. Lequel du destroy Robots après tout ou du dernier préfère-je ? Car plus Katerine prend de la bouteille, plus j'adore (et pas seulement Louxor) l'énergie du précédent, mais le minimalisme de Philippe Katerine recèle une causticité encore plus incisive, plus proche de Desproges que de Dutronc. En peu de mots et à peine plus de notes, Katerine capte l'essentiel, si l'on arrive à rire et réfléchir à la fois. Infos et extraits sur le site banane !

mardi 12 octobre 2010

De l'aube à minuit


Combien d'œuvres sont affublées du terme "expressionniste" pour avoir seulement flirté avec le concept ? Au cinéma, tandis que l'on rattache nombre de films allemands de F.W. Murnau (Nosferatu), Paul Wegener (Le Golem) ou Fritz Lang (Metropolis, tous les Dr Mabuse, M le maudit, etc.), l'exemple éternellement cité est Le Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene (1919). Jeu outré des comédiens, décors qui tordent le réel, les déformations angoissantes renforcent l'émotion des spectateurs. La psychanalyse est projetée sur l'écran par un jeu d'optique qui fait surgir du quotidien les intentions des personnages.
Il existe pourtant un film, injustement méconnu, peut-être à cause de la radicalité de son abstraction pour un film narratif, qui représente plus qu'aucun autre ce qu'est le cinéma expressionniste. Von morgens bis mitternachts (De l'aube à minuit) choqua tellement en 1920 qu'aucun distributeur ne s'engagea dans en Allemagne. En 1972, j'eus la chance de le voir dans une version tronquée de 42 minutes à la Cinémathèque Française dans le cadre de mes études à l'Idhec, programmé par Jean-André Fieschi, grâce à une copie retrouvée au Japon ! Mais c'est seulement avec l'édition DVD de Filmmuseum distribuée par Choses Vues que nous pouvons découvrir ce joyau de 73 minutes.
Le travail graphique est absolument exceptionnel. Les décors peints de guingois, les maquillages sur des figures transformées en toiles peintes, les gestes aux expressions exarcerbées, tout profite à la folie de la pièce de Georg Kaiser portée à l'écran par Karlheinz Martin. Les lignes brisées du chemin peint sur le sol qu'emprunte le pauvre diable, employé de banque volant dans la caisse pour échapper à son train train quotidien, renforcent sa souffrance. Son calvaire renvoie aux différences de classes et sa mise en croix rédemptrice dessine un autre trait d'humour dévastateur.
Le film muet est accompagné par deux orchestres différents selon le choix de la piste sonore. J'ai une préférence pour le trio de percussion SchlagEnsemble H/F/M dirigé par Christian Roderburg, partition semi-improvisée plus vive et variée que celle composée par Yati Durant pour un petit ensemble de chambre. Cet accompagnement obéit intelligemment aux meilleures lois du genre, interprétation moderne des connotations d'époque, respect des lignes dramatiques avec liberté d'improviser à l'intérieur des structures fixes, enregistrement "live" redonnant vie à ce chef d'œuvre du 7e art.

lundi 11 octobre 2010

Format raisin


Se promenant dans le jardin, Anny écarte les branches d'un pin très mal en point. Armé de sa tronçonneuse de la mort, Sun Sun m'avait aidé à couper celui d'à côté qui avait déjà rendu l'âme. Cette terre conviendrait mal aux conifères. Il a suffi à Anny de lever la tête pour découvrir de grosses grappes de raisin qui avaient échappé à ma perspicacité. J'étais persuadé que l'ombre des grands arbres avaient eu raison de mon raisin comme il avait ratiboisé les framboisiers. Mais les ceps ont grimpé vers le ciel pour que le soleil les fasse dorer avant qu'on les cueille. Se délecter de ses propres fruits est un plaisir sans mélange, surtout lorsque la scène se passe à Bagnolet, pour ne pas dire à Zanzibar, "autant que la Seine passe à Paris".

dimanche 10 octobre 2010

Pirate de l'air en tube


Passer une frontière dans un aéroport devient de plus en plus amusant, à moins que l'on ne soit Rom ou en reconduction équivalente. Le portique et le tapis roulant ont des réactions aussi variables que les préposés à la sécurité. Leur sensibilité s'exerce selon des critères de seuil qui m'échappent et, selon les trajets, me font traverser les rayons sain et sauf, me déshabiller dans une cabine ou repartir à la case départ pour enregistrer mes bagages en soute plutôt que de me faire confisquer le couteau suisse que j'ai oublié de laisser à la maison. Il m'est arrivé d'avaler à toute vitesse le fond d'une bouteille d'eau minérale quand d'autres fois la simple ingestion du dangereux liquide m'était strictement interdite de peur que je devienne moi-même le récipient du produit incriminé, me transformant en bombe vivante. En revenant de Tarbes, j'appris que le jambon de Bayonne et la tome des Pyrénées apparaissent en orange sur l'écran policier. C'est joli, mais je n'ai jamais osé faire la photo des entrailles de ma valise. En Norvège, le tube de pâte de poisson légendaire dit communément Kaviar, scellé par son opercule en métal, ne passe pas, tandis que ma voisine transporte des aiguilles à tricoter dont la pointe effilée traverseraient la gorge du moindre pilote en un tour de poignet de mamie. Je me vois pourtant bien détourner l'avion de la SAS en braquant un tube de fromage épicé au japalenos sur la tempe de l'équipage. Peut-être me trompe-je de méthode ? Ne devrais-je pas plutôt menacer de tout avaler au risque de donner au pays une image déplorable de criminel alimentaire ? S'en servir comme matraque serait certainement une meilleure utilisation pour un commando de pirates... Je ne devrais pas me plaindre : l'officière aurait pu tout confisquer comme cela se fait le plus souvent chez nous, or elle nous a suggéré de retourner aller enregistrer nos bagages pour nous permettre d'exporter ces symboles scandinaves dans nos pays à la gastronomie, somme toute, plutôt conservatrice. Lorsque j'étais plus jeune, je détestais passer la douane. En revenant de Catalogne, je craignais toujours pour mes sublimes fuets, la charcuterie des charcuteries ! Je pense que je me sens surtout coupable de passer mes idées au nez et à la barbe des douaniers. Aucun portique n'est heureusement encore capable de déceler mes envies subversives à moins qu'elles ne soient gastronomiques.

P.S. : j'ai dû mal viser, mon oreille droite est toujours bouchée depuis le dernier atterrissage...

samedi 9 octobre 2010

ECM, l'adieu aux armes


Je me demande pourquoi la plupart des disques produits par le célèbre label allemand ECM me font un effet si dépressif ou soporifique. Cela peut s'avérer une qualité si l'on souhaite s'abstraire de ce monde de brutes où la vitesse est le maître mot. Les musiciens semblent travailler pour un salon de massage ou un stage de relaxation. Le son rond, réverbéré et hygiénique qui a fait la renommée du producteur Manfred Eicher et qui ravit tant de consommateurs n'est évidemment ni ma tasse de thé ni mon verre de schnaps. Pourtant les artistes convoqués ont le mérite de sortir du lot commun, aujourd'hui souvent issus de l'Europe de l'Est, des pays baltes ou nordiques. Les jazzmen m'ennuyant de plus en plus, engoncés dans trop de clichés, embaumant la musique vivante dans un sarcophage plus propice à un musée des antiquités, je me tourne vers des compositeurs contemporains sans étiquette aussi marquée. Ainsi ai-je eu envie de réécouter Kremerata Baltica du violoniste letton Guidon Kremer ou la quatrième symphonie du néo-classique estonien Arvo Pärt dont l'écriture minimaliste, pour ne pas dire simpliste, peut convenir à certains moments d'abandon primal, peut-être grâce à la direction du Finlandais Esa-Pakka Salonen. Même le joli hommage aux musiques de commande du compositeur georgien Giya Kancheli finit par me donner envie de zapper pour ne pas sombrer dans la neurasthénie, malgré la présence du bandéoniste argentin Dino Saluzzi. De même, le disque du guitariste Steve Tibbetts, le duo Marylin Crispell et David Rothenberg ou le Quiet Inlet qui réunit Thomas Strønen, Ian Bellamy, Nils Peter Molvær et Christian Fennesz ne me laissent pas de marbre, mais le contact de la pierre reste froid. Les disques sont à l'image de leurs pochettes, formatés au goût du patron. Presque toujours planants, ils finissent par sonner trop souvent impersonnels.
Il me faudra donc attendre les prochains albums de Michael Mantler dont je suis un des rares fans ou Heiner Goebbels que j'admirais déjà lorsqu'il était improvisateur, compositeurs autrement plus vifs et vivifiants, pourtant fidèles à ECM dont la réputation continue à m'étonner, à moins qu'elle ne soit le reflet exact de notre époque, molle et désespérée. Comme un adieu aux armes.

vendredi 8 octobre 2010

Norvège bip bip


Nous ne sommes pas venus en touristes, encore qu'habituellement je n'accepte de jouer à l'étranger que si j'ai autant de jours off que de travail. Comme les dernières représentations ont été des voyages éclairs, il ne nous reste que le shopping alimentaire pour prolonger le rêve. Nous faisons donc une razzia sur les tubes de poisson, les charcuteries d'élan et de cerf, le fromage de chèvre marron et le réglisse à toutes les sauces. Les restaurants de Trondheim servent très peu de cuisine locale. Il faut attendre le plantureux petit déjeuner pour goûter aux harengs marinés, saucisses fumées et pains aux graines. Sinon nous nous en sortons très bien entre Setchouan et Penjab en évitant le lapin pour ne vexer personne.


En arrivant au Dokkhuset qui longe le canal, nous sommes surpris de découvrir Frank Zappa, seule image dans la salle où nous allons faire jouer notre opéra. Son œil donnant l'impression de me suivre où que je me promène, je décide de poser devant lui avec le plus dissipé de notre clapier. Il ne suffisait pas du regard moral de mon géniteur, voilà que l'initiateur de mon récit s'y met aussi. C'est tout de même étrange pour un club de jazz d'accrocher le portrait de celui qui faisait malicieusement remarquer : "Jazz is not dead, it just smells funny! (le jazz n'est pas mort, mais il distille une drôle d'odeur)". Ce n'est pas grave ; si encore c'était des singes ou des éléphants, mais nos lapins ne swinguent pas une cacahuète. Cela n'empêche pas cette bande de blasés de récolter tous les suffrages.


La soirée avait bien commencé, le duo Cellulose ayant inauguré le premier tiers de l'exposition avec un didgeridoo et un dispositif digeridesque imaginé par Arnfinn à partir de Pure Data et d'une sorte de monstre à réinjection. La biennale pour l'art et la technologie Méta.morf semble avoir choisi des artistes plasticiens dont les œuvres sont sous-tendues par une véritable réflexion. Cela change de ce à quoi nous sommes habitués et qui en général me fait pester. Fish, Plant, Rack d'Andy Gracie met en scène un éco-système transparent, Henryk Menné postillonne une barbe à papa géante et jaune pour fabriquer 114L entre hasard et contrôle, les lignes de crête des montagnes de Michael Najjar suivent les cours de la Bourse, Erik Olofsen filme depuis son wagon avec une caméra à grande vitesse pour saisir l'instantané de chaque usager sur un quai du métro qui semble infini... Mais nous devons repartir en nous contentant du catalogue pour découvrir le reste de ce qui est présenté. Heureusement, juste avant nous, nous nous laissons bercer par les Waterbowls de Tomoko Sauvage, une Japonaise de Paris qui joue avec des gouttes d'eau dans de grands bols amplifiés grâce à des micros sous-marins. Ses hydrophones composent un très joli programme avec nos bestioles que nous découvrirons en seconde partie derrière le rideau de scène. Leur prochaine étape sera Augsburg en Allemagne, mais Antoine et moi sommes contents de rentrer à Paris après une succession d'aller et retours éreintants, mais ô combien délicieux.

jeudi 7 octobre 2010

La nuit tombe sur Trondheim


Le ciel est toujours plus haut dans les pays du nord. Mais la nuit tombe vite sur Trondheim. Les rues se vident. Le vent siffle. Des jeunes boivent de la bière aux terrasses sans dire un mot. La nature a choisi les couleurs de l'automne. Les Norvégiens s'y tiennent. Il y a des feuilles et de l'eau. Beaucoup de feuilles et beaucoup d'eau. Mais la vie est chère, un des plus hauts niveaux européens. On paye en couronnes. L'architecture moderne s'intègre parfaitement aux bâtiments anciens. Du bois, du métal, du verre et des briques rouges. Le design est un concept scandinave, en tout cas ce ne serait pas étonnant. On croit se comporter "à la française", mais nous ne sommes pas les seuls, d'autres traversent en dehors des clous sans attendre le feu rouge. Ce n'est pas la Suède. Le festival Meta.morf présente New Brave World!, biennale d'art et de technologie, composé d'expositions, de concerts, de conférences, d'ateliers et de contributions écrites rassemblées sous le titre Making Reality Really Real. Mais dans l'avion qui était déjà plein lorsque nous sommes montés je me suis demandé si les autres passagers étaient réels ou si j'étais passé de l'autre côté, comme dans ces films nordiques où le fantastique envahit le quotidien sans que l'on sache si les âmes finissent par errer à force de chercher la lumière.

mercredi 6 octobre 2010

À vos souhaits


La pharmacienne m'aurait vendu le fond complet de sa boutique pour que je guérisse. Elle me posait plein de questions, affinait l'ordonnance, un médicament pouvant être miraculeusement associé à chacun de mes mots. Car de maux je n'en ai qu'un seul, mais très handicapant, la crève ! Voilà une semaine que j'éternue comme un beau diable, du genre qui jaillit de sa boîte sur un ressort, entre 150 et 200km/h expliquent les spécialistes. Ils disent aussi que les paupières se ferment alors automatiquement pour éviter que les yeux sortent de leurs orbites à cause de la pression. Comme j'ai le dos en marmelade, les muscles de ma cage thoracique semblent exploser sous la déflagration. J'ai l'impression que je vais finir chez l'équarrisseur. Le rhume s'accompagne d'un halo vasouillard qui m'empêche de travailler, tout au plus puis-je "bricoler". Le pire se produit quand tombe la nuit et que mes deux narines se bouchent m'empêchant de respirer. Je peste contre l'homéopathie qui cette fois ne tient pas ses promesses, mais Françoise me suggérant d'inhaler de la Balsofumine je peux me rendormir. Penché sur le récipient d'eau chaude, élégant modèle tchécoslovaque des années 50, j'ai du mal à me concentrer et j'en renverse régulièrement pour avoir voulu bouquiner en même temps. Si je n'arrive à stopper l'attaque suffisamment tôt, le mal de gorge se transforme en éternuements qui à son tour devient toux spasmodique et j'en prends pour trois semaines supplémentaires à m'arracher les côtes. Ne pas pouvoir respirer est un calvaire. La défenestration suicidaire de Gilles Deleuze m'est toujours apparue comme un dernier excès de vitesse (il l'adorait) avec l'espoir d'y attraper une bouffée d'air frais. J'espère que mon asthme ne reviendra jamais, du moins dans sa version critique, car j'aime l'air autant que les autres éléments.

mardi 5 octobre 2010

À fleur de peau


Se regarder dans la glace est un exercice de gymnastique qui peut s'avérer pénible si l'on possède plusieurs visages. On préférera alors un miroir à trois faces permettant de choisir son meilleur profil. Dans cette perspective jeter un coup d'œil aux deux autres rendra plus douloureux encore leurs regards critiques et réprobateurs. Faire front est la seule attitude offrant la certitude du confort sur le long terme, quels que soient les assauts rencontrés. S'il arrive que l'on se sente morveux, on se mouchera. Les entorses à la conduite que l'on se sera fixée dessinent des rides seyantes si l'on sait les soigner avec le temps, tandis que les cicatrices s'effaceront d'autant plus difficilement que l'on refusera d'admettre ses responsabilités. La culpabilité est toujours tournée vers le passé et ne présente aucun avantage. La responsabilité permet d'envisager l'avenir avec des yeux neufs. Le choix semble évident, mais il effraie. On sait ce qu'on a, rien de ce que l'on inventera. Je veux pouvoir me regarder dans une glace sans regret. L'armoire à pharmacie est située à hauteur d'homme, d'homme debout. Ne jamais plier l'échine devant l'adversité. Les déménagements sont propices au ménage de printemps. Le vide crée l'appel d'air. L'indépendance est seul garante des vraies rencontres. Parmi celles et ceux qui ont choisi de refuser l'exploitation de l'homme par l'homme, l'injustice des lois, le mensonge des pleutres, les pis aller, je ne connais que des gens heureux. Il m'est arrivé d'aller trop vite, de ruer dans les brancards, de ne pas savoir attendre, d'oublier de lâcher du mou avant de tirer d'un coup sec, de manquer d'humilité, mais je veux résister toujours face à l'absurdité du pouvoir et des systèmes formateurs, au gâchis qu'ils engendrent, fut-ce au prix d'abréger mon passage. La résistance est un devoir, sa récompense est un sourire que l'on apprendra à partager. Je n'ai jamais avancé seul, même quand il n'y avait personne ou que je l'ai cru dans un moment de faiblesse. Le travail consiste à accepter les travers de celles et ceux que nous aimons. On ne change personne d'autre que soi-même. Sur ce, je vais me donner un coup de rasoir.

lundi 4 octobre 2010

Fassbinder / science-fiction


Les mondes virtuels se répètent en abyme. J'ai mis quinze jours pour me décider à faire le grand saut. Aurais-je dû laisser un autre écrire à ma place ? Celui qui aurait su me dicter ce que je dois penser ? Mais comment être certain qu'il était lui-même l'homme qu'il prétend être ? Que sais-je des raisons qui me poussent à ne pas déflorer l'histoire ? On raconte que Le monde sur le fil est un thriller d'anticipation préfigurant Matrix, Existenz et Avatar. Ne serait-ce pas plutôt une première manifestation tournée en 1973 de ce qui nous attend demain ? Le cinéaste Rainer Werner Fassbinder avait adapté avec Fritz Müller-Scherz un roman de Daniel Francis Galouye intitulé Simulacron 3. Pourquoi leurs noms sont-ils tous composés de trois termes ? Le mien n'échappe pas à la règle et pourtant je n'ai rien fait. Seulement regardé un film tourné pour la télévision par un maître du mystère, le plus profond, celui des âmes. On connaît ses films de cinéma. Il en a pourtant tourné une quinzaine pour le petit écran, espérant faire entrer la psychanalyse dans les foyers allemands. J'avais adoré Berlin Alexanderplatz qui durait 15h30. Les deux parties du monde sur le fil ne totalisent que 204 minutes, une broutille. Ils ont choisi Paris comme décor parce qu'à l'époque rien n'existait d'aussi moderne en Allemagne. Je n'ai rien osé écrire avant d'avoir vu le making of de Juliane Lorenz, bonus indispensable comme souvent avec les DVD édités par Carlotta. Mais je suis toujours aussi coincé dans ce monde étroit et vertigineux. Malgré ma résistance je le partage. La paranoïa se construit derrière des jeux de miroir et des écrans de fumée. La métaphysique cherche à identifier vainement notre marge de manœuvre. Comment interagir avec notre univers ? Quelles en sont les causes ? Quelle expérience de laboratoire sommes-nous prêts à construire pour simuler les possibles ? N'est-il pas dangereux de jouer avec le temps ? La langue allemande participe à l'énigme, comme si les personnages parlaient une langue informatique. J'aurais aimé être assez matheux pour mettre le film en équations. L'élégance du code tient dans sa concision. Je suis trop bavard. Mieux vaut laisser chacun se faire sa petite idée. Le monde sur le fil ne présage rien de bon. C'est grave et, pire, incontournable.

dimanche 3 octobre 2010

Snarx-Fx met en ligne 23 films de Révélations


Snarx-Fx a mis en ligne les 23 films que Pierre Oscar Lévy a réalisés pour Samsung et qui sont actuellement exposés au Petit Palais à Paris jusqu'au 17 octobre dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture" (entrée gratuite). La reproduction sur Internet ne peut être à l'égal des originaux filmés pour les nouveaux écrans à Haute Définition, mais le travail du studio de post-production qui s'est chargé de toute la réalisation technique des films est suffisamment soigné pour que l'on jouisse du travail que nous avons effectué dans la joie et l'allégresse ! On ne pourra pas apprécier non plus ici la 3D du Böcklin et du Chardin, mais le site a le mérite de livrer les génériques exacts à la fin de chaque film, l'agence de presse responsable de la communication ayant eu une fâcheuse tendance à régler des comptes personnels en travestissant la réalité de cette magnifique aventure entre notre équipe et le constructeur coréen.
À l'initiative de Samsung, le producteur délégué Dominique Playoust me confia la direction artistique du projet. Je n'imaginai pas un tableau dans un écran sans que ce fusse un film. En proposant à Pierre Oscar Lévy de porter les couleurs d'autant de chefs d'œuvre, j'ignorais encore qu'il rêvait depuis l'enfance de s'y plonger corps et âme. J'en composai musiques et partitions sonores, avec pour certains tableaux la collaboration du violoncelliste Vincent Segal et de mon camarade Bernard Vitet qui construisit nombre des instruments uniques que j'utilisai pour ces courts métrages : trompette à anche pour Les Ambassadeurs de Holbein, flûtes du Rembrandt et du Gauguin, clavier de percussion du Vermeer, contrebasse à tension variable du Böcklin, etc.
Aucun commentaire n'oriente l'interprétation du spectateur. Seuls l'image et le son décryptent les intentions des peintres et emportent les voyageurs dans cette nouvelle aventure que les nouvelles technologies permettent aujourd'hui. Il m'est arrivé de m'effacer devant l'image en ne construisant qu'un simple décor sonore, mais le plus souvent la partition évite l'illustration pour jouir de son rôle complémentaire. Recommandons par exemple Composition métaphysique de Chirico où Vincent et moi avons enregistré quatre interprétations différentes, autant de questions pour le même mouvement, tous les films ayant été à l'origine conçus pour être joués en boucle. Avec La tempête de Giorgione je prends des libertés mêlant sons réels et effets de théâtre. De même, le son des Noces de Cana de Véronèse provient d'un reportage que j'ai réalisé dans la salle du Louvre où il est exposé, y ajoutant un quatuor à cordes comme enregistré in situ et le bruit de l'eau qui se transforme en vin, puisque nous avons souvent adjoint un clin d'œil numérique, les effets spéciaux ayant été ajoutés à la demande de Samsung. Le Monet plaît beaucoup, mais c'est une utilisation extrêmement classique de la musique au cinéma, elle renforce néanmoins l'impression d'inachevé du tableau et la profonde tristesse qui s'en dégage. De son côté Pierre Oscar suit les pistes creusées par Luis Belhaouari, notre conseiller historique nous révélant souvent des signes cachés qui donnent leur sens aux scènes peintes.
Notre démarche plut tant aux conservateurs du Petit Palais qu'ils décidèrent d'héberger l'exposition dans son aile sud, espace habituellement ensoleillé, peu propice à y montrer des toiles de maître. Les tableaux ont été choisis par Charles Villeneuve de Janti en fonction d'une thématique qui leur est propre, mais a-t-elle quoi que ce soit à voir avec les scénarios cinématographiques que nous avons réalisés ? Le catalogue, hors-série de Connaissance des Arts, s'est ainsi fourvoyé en évoquant les toiles originales, absentes de l'exposition, et en omettant les merveilles cinématographiques qu'elles ont engendrées. Dans une approche très différente de la nôtre, l'équipe de Laforme a réalisé 17 autres films parmi les 40 en suivant les préceptes que nous avions imaginés, et Jean-Luc Blais a produit une scénographie simple et élégante qui met en valeur les écrans.
La télé a vécu, vive la télé ? Les films seront probablement offerts par Samsung avec l'achat de ses téléviseurs C6000 et C9000. La nouveauté marketing réside dans cet apport de contenu qui double l'offre des chaînes traditionnelles par des programmes exclusifs. Comme Sony ou LG, Samsung fournit des programmes à la demande, archives de telle ou telle chaîne, mais son idée de financer des programmes de création, pour l'instant issus du patrimoine (mais qui sait de l'avenir ?), est une initiative ouvrant de nouvelles perspectives à la diffusion de contenus originaux.

P.S.: les films étant réalisés pour être joués en boucle, le son s'arrête brusquement sur la version mise en ligne.

samedi 2 octobre 2010

Poésie phonétique


Il y a peu je découvrais la fonction "contrôle vocal" de mon iPhone, me permettant d'appeler n'importe lequel des contacts de mon carnet d'adresses sans aucune manipulation préalable. Après avoir appuyé pendant deux secondes sur le gros bouton rond et épelé clairement le nom de mon interlocuteur, une voix synthétique le répète pour vérification et m'invite à indiquer vocalement "domicile", "travail", "portable", etc. si le choix se présente...
Suivant le même principe je découvre rapidement les applications gratuites Dictation et Search de Dragon qui fonctionnent également avec la version 4 du système. La première, après avoir sélectionné sa langue (français, anglais, américain ou allemand), tape automatiquement le texte que vous aurez dicté ; la seconde googlise les termes énoncés.
Au cours d'un dîner chez Antoine et Chloé où l'assemblée est épatée par la qualité du résultat, Valéry suggère d'enregistrer une suite d'onomatopées. Dictation a la possibilité de reconnaître les noms propres, mais l'application ne peut trouver que les mots existants de son vocabulaire. La Coumpapadé de Jacques Dutronc, les borborygmes d'Henri Salvador dans On n'est plus chez nous, son yaourt dans Mama Goteu Loteu Houi ou le scat de Cab Calloway donnent ainsi des résultats étonnants, une sorte de poésie phonétique bien plus drôle que la traduction automatique de Google.
Je livre tels quels les trois essais réalisés avant de nous séparer. Mon propre scat donne "Jim mon papa à la boum bon bin va là-bas bowling à 20:00 1000 est-ce que je voulais dire un ça va me dire qu'il serait un attentat à résoudre et..." et un second essai produit un "Lacombe avait accompagné il accompagna et qui donc bon on va là-bas dodo bah je vois vas te...". Comme j'éternue (j'ai un rhume carabiné dont les déflagrations m'ébranlent de la tête aux pieds), l'écran affiche : "Ah que je jette tout et on est au mon...".
Et mes camarades de se gratter la tête pour imaginer quantité d'expériences plus abracadabrantes les unes que les autres, faisant appel aux ponts phonétiques dressés entre les langues étrangères et les croisements inouïs que le système pourrait générer !

vendredi 1 octobre 2010

Escal'Atlantic 1


Journée de visite, journée de rêve sur ce que sera Escal'Atlantic 2. Nous réfléchissons sur l'avenir de ce "paquebot" de 3500 mètres carrés situé dans l'ancienne base sous-marine de Saint-Nazaire, elle-même construite à l'emplacement de l'ancien port historique. Le scénographe Raymond Sarti joue l'ombre et la lumière comme je conçois le son dans le silence, mais pour lui c'est de l'obscurité qu'émerge le sens. La dialectique est notre moteur. En accord avec Tiphaine Yvon, chargée du projet, je réintroduirais de l'humain dans un univers qui était devenu essentiellement mécanique. Comme pour tous mes travaux, j'évite toute illustration pour privilégier tout ce qui peut être complémentaire.
La différence entre un illustrateur sonore et un designer sonore tient justement dans l'évocation produite. Un exemple : lorsqu'on lui demande de sonoriser un moulin à vent avec une vache et un tracteur, l'illustrateur répond à la commande. Le designer trouve sa raison d'être si l'on souhaite que le moulin fasse rire, que la vache fasse peur et que le tracteur rappelle le passé des agriculteurs...
La visite d'Escal'Atlantic, conçue à l'origine par François Seigneur et François Confino, permet d'envisager un spectacle extraordinaire qui fasse sens. Dores et déjà je suis confondu par l'immensité de l'espace avec ses cabines, ses salons, sa salle des machines, son cinéma, ses découvertes comme si nous étions sur le pont, et les chaloupes où nous prenons place pour une simulation d'évacuation...
Je repense aux hors-champ possibles, à l'air nécessaire pour que toute la visite respire et j'écoute l'exposé de Raymond en admirant les maquettes qu'il sort de sa musette comme le lapin jaillit du chapeau du prestidigitateur. Nos interlocuteurs, Emmanuel Mary et Daniel Sicard, réagissent dynamiquement à nos propositions. Allergique aux réunions, j'apprends pourtant une foule de choses qui laissent entrevoir le début d'une belle aventure qui devrait durer deux ans.