Nous ne sommes pas venus en touristes, encore qu'habituellement je n'accepte de jouer à l'étranger que si j'ai autant de jours off que de travail. Comme les dernières représentations ont été des voyages éclairs, il ne nous reste que le shopping alimentaire pour prolonger le rêve. Nous faisons donc une razzia sur les tubes de poisson, les charcuteries d'élan et de cerf, le fromage de chèvre marron et le réglisse à toutes les sauces. Les restaurants de Trondheim servent très peu de cuisine locale. Il faut attendre le plantureux petit déjeuner pour goûter aux harengs marinés, saucisses fumées et pains aux graines. Sinon nous nous en sortons très bien entre Setchouan et Penjab en évitant le lapin pour ne vexer personne.


En arrivant au Dokkhuset qui longe le canal, nous sommes surpris de découvrir Frank Zappa, seule image dans la salle où nous allons faire jouer notre opéra. Son œil donnant l'impression de me suivre où que je me promène, je décide de poser devant lui avec le plus dissipé de notre clapier. Il ne suffisait pas du regard moral de mon géniteur, voilà que l'initiateur de mon récit s'y met aussi. C'est tout de même étrange pour un club de jazz d'accrocher le portrait de celui qui faisait malicieusement remarquer : "Jazz is not dead, it just smells funny! (le jazz n'est pas mort, mais il distille une drôle d'odeur)". Ce n'est pas grave ; si encore c'était des singes ou des éléphants, mais nos lapins ne swinguent pas une cacahuète. Cela n'empêche pas cette bande de blasés de récolter tous les suffrages.


La soirée avait bien commencé, le duo Cellulose ayant inauguré le premier tiers de l'exposition avec un didgeridoo et un dispositif digeridesque imaginé par Arnfinn à partir de Pure Data et d'une sorte de monstre à réinjection. La biennale pour l'art et la technologie Méta.morf semble avoir choisi des artistes plasticiens dont les œuvres sont sous-tendues par une véritable réflexion. Cela change de ce à quoi nous sommes habitués et qui en général me fait pester. Fish, Plant, Rack d'Andy Gracie met en scène un éco-système transparent, Henryk Menné postillonne une barbe à papa géante et jaune pour fabriquer 114L entre hasard et contrôle, les lignes de crête des montagnes de Michael Najjar suivent les cours de la Bourse, Erik Olofsen filme depuis son wagon avec une caméra à grande vitesse pour saisir l'instantané de chaque usager sur un quai du métro qui semble infini... Mais nous devons repartir en nous contentant du catalogue pour découvrir le reste de ce qui est présenté. Heureusement, juste avant nous, nous nous laissons bercer par les Waterbowls de Tomoko Sauvage, une Japonaise de Paris qui joue avec des gouttes d'eau dans de grands bols amplifiés grâce à des micros sous-marins. Ses hydrophones composent un très joli programme avec nos bestioles que nous découvrirons en seconde partie derrière le rideau de scène. Leur prochaine étape sera Augsburg en Allemagne, mais Antoine et moi sommes contents de rentrer à Paris après une succession d'aller et retours éreintants, mais ô combien délicieux.