En regardant les projets imaginatifs accrochés dans les halls de l'école Créapôle je me disais que c'était dommage que ces étincelles s'éteignent si vite, aussitôt les étudiants happés par la vie active. Le temps de l'apprentissage est un moment génial où tout est possible, où les rêves s'étalent sur les murs et s'épanouissent dans la promiscuité. Les écoles sont des outils fantastiques si l'on sait s'en servir, des espaces de liberté qu'il sera difficile de préserver dans la réalité quotidienne. Pourtant, celles et ceux qui y arriveront, avec force arguments et persévérance, verront leurs désirs se transformer en or, entendre le soleil qui vous habite en vous épargnant l'amertume des illusions perdues. S'il constate hélas plus souvent qu'il ne propose, Bernard Stiegler a raison de parler de la perte de la libido comme d'une catastrophe planétaire. En m'emballant devant l'amphithéâtre rempli de jeunes gens dont les yeux pétillaient, je pensais que tant qu'il resterait de la braise rien n'était perdu...
J'étais venu prêcher la bonne parole du son à ces futurs designers, qu'ils soient branchés par la mode, les bagnoles, les objets, l'architecture d'intérieur, le jeu vidéo, l'animation, le multimédia, l'art ou je ne sais quoi. Partout le rôle du son se révèle déterminant, du frottement d'une étoffe à la musique du tableau de bord, de la réverbération d'une pièce à la charte sonore de n'importe quel produit audiovisuel, de la rue à son intimité partagée, toujours pensé dès les premiers pas de n'importe quel projet, quelle que soit sa nature, fut-ce d'aboutir au silence, pour changer. Je vantai le hors-champ, la complémentarité contre l'illustration, la nécessité de l'écoute, l'adaptation aux situations les plus complexes par le bon sens, l'importance de la culture générale dans le processus de création, le plaisir de partager et transmettre ce qui nous avait été donné...
Je suis rentré à la maison revigoré. Mes pas faisaient crisser le verglas. Les clochettes japonaises couvraient le murmure de la ville. Le feu crépitait dans l'âtre. Je tapotais sur mon clavier. Chaque téléphone retentissait de sa propre sonnerie. L'ensemble aurait pu générer le stress de la cohue. Mais tout s'agençait dans l'espace comme une composition préméditée.