Certains réalisateurs vivent sur la réputation de leurs premiers succès sans que la critique n'ose remettre en cause leur talent. Voilà bien quinze ans que Martin Scorsese réalise des films plan-plans totalement surévalués, tout comme les derniers Clint Eastwood, manichéismes pompiers aux allures politiquement correctes. Je vous ferai grâce de la soupe révisionniste Invictus, préférant chroniquer le tout récent feuilleton scorsesien, énième variation fantasmatique sur la mafia nord-américaine avec ses rivalités communautaires et ses réflexes machistes en diable. Cinéma de curé moderniste, la série Boardwalk Empire, en cours sur Orange Cinéma, a au moins le mérite de mettre en scène d'excellents acteurs servant de bons dialogues. Mais le thème du brave gangster n'est pas très nouveau. Quand je lis que tournage et montage furent un calvaire pour Scorsese obligé de couper une heure de film, je me demande comment il peut justifier ses incessants mouvements de caméra qui ne servent à rien et les poncifs du scénario dont les ficelles me laissent anticiper chaque plan jusqu'aux effets sonores. On a plutôt l'impression que tout est étiré au maximum pour arriver à tenir les 52 minutes hebdomadaires. De certains longs métrages on dit qu'ils auraient fait un bon court. Ici la série ferait peut-être un long acceptable, à condition de réfléchir, par exemple, à la place de la caméra, à la morale d'un travelling et à l'opportunité de la musique, cette prothèse encombrante qui formate presque tous les films américains, et à leur suite les français qui ont l'espoir de faire illusion.
Il aurait été dommage que je m'arrête au premier épisode, le pilote tourné par "le maître" étant de loin le plus mauvais des douze épisodes. Comme dans toute série on finit par s'attacher aux personnages, mais tous leurs gestes sont prévisibles. On en ressort vide. On n'a même pas rigolé un bon coup. Aucune de nos convictions n'aura été ébranlée. C'est le propre du cinéma à message. Car Boardwalk Empire ressemble surtout à une paraphrase balourde et paresseuse de l'actualité américaine. Toutes les crapules sont républicaines, elles élisent un imbécile à la présidence, la prohibition fait le jeu de la pègre, les politiciens sont mouillés jusqu'au cou, les escrocs s'appellent Ponzi. Les rôles d'Al Capone ou Lucky Luciano dans leurs jeunes années se résument à un boute-en-train farceur et un impuissant élégant. Une tête au-dessus de la mêlée, Steve Buscemi règne magnifiquement sur Atlantic City filmé à grands renforts de grue sur décor rabâché d'épisode en épisode. Les autres comédiens sont malheureusement sous-employés, excellents mais monotones, tels le nègre de faction joué par Michael Kenneth Williams (Omar dans The Wire), la bonne âme Kelly McDonald, le cassé de la grande guerre Michael Pitt, etc. Tout sonne démagogique, du vote des femmes à la pleutrerie du Ku Klux Klan, de l'affranchissement des Noirs aux compromissions des politiciens, car rien n'est exploité, mais toujours saupoudré.
Tout cela pourrait être recevable si la critique ne se gargarisait des films de ces réalisateurs qui furent jeunes il y a bien trop longtemps et ne perpétuent aujourd'hui que le pire du cinéma, sa récupération industrielle et propagandiste de la grandeur des USA, répétant inlassablement les mêmes recettes pour un public rassuré de pouvoir reconnaître quand connaître exige un effort. Toute cette poussière est agitée au détriment de films dont les entrées sont hélas à la hauteur du budget dépensé, tant pour leur production que pour leur publicité. Faute de savoir se renouveler, le cinéma est-il en train de devenir un art du passé ? Les réalisateurs et réalisatrices indépendants sauront-ils et elles braver le formatage et le conformisme qui s'est emparé de l'écran ? Le cinéma d'aujourd'hui n'est en définitive qu'à l'image de la société qui l'engendre et dont il répète éternellement le portrait, perdu, cynique, frileux, ou pour résumer, à court terme.