Tout Paris était balisé d'affiches multicolores annonçant l'ouverture du nouvel espace. Le système de réservation semblait très classe, les visites ne s'effectuant que sur rendez-vous. La campagne de pub était signée Simone Weil, Steve Wozniak et même Einstein. Le dos du programme laissait penser qu'il serait remis à chaque client un Kinder surprise en guise de bienvenue. Je n'avais besoin que d'un pantalon. C'était l'occasion ou jamais. Hélas je suis revenu bredouille.
La boutique est sympa, la déco superbe, mais les rayons sont vides. Peut-être est-ce dû à l'affluence ? Un vendeur accort nous invite à rentrer d'abord dans une cabine d'essayage où un gamin a enregistré des délais de livraison, mais nous ressortons aussi démunis qu'en entrant. Des caméras de surveillance ont été installées un peu partout pour rassurer le client, voire l'amuser. À l'étage du dessous je fuis une salle enfumée, ne pouvant choisir quoi que ce soit dans le noir. Le salon d'essayage, recouvert de miroirs, eut été très pratique si l'on avait quoi que ce soit à y faire. Les tubes lumineux flashant sur la techno font certainement des jaloux dans le quartier. Aucune vitrine n'est aussi belle que cette installation tape-à-l'œil. Au quatrième étage, rayon du blanc, les mannequins proposent tous le même ensemble, mais leurs mines lugubres sont d'aussi mauvais goût que le ballet qui les range au rang d'accessoires. Redescendus au premier, nous apprécions le système de commandes, des écrans disposés un peu partout nous faisant passer le temps. Mais nous n'étions pas venus pour ça.
J'avais moi-même œuvré dans ce lieu mythique il y a plus de trente ans, à une époque où il était consacré à l'art contemporain. Depuis, je me suis souvent posé la question de l'écart entre décoration pour magasin de vêtements branché et œuvre artistique. Où est l'urgence ? Avais-je vraiment besoin d'un nouveau pantalon ? En ce qui concerne les nouvelles matières, la réduction de sens à l'univers orwellien est un poncif si éculé qu'il ne ravira que les jeunes amateurs de prêt-à-porter et les vieux dépassés par les nouvelles technologies. Alors comment s'approprier ces formes si l'on recherche quelque chose qui nous émeuve, nous transporte ou nous interroge ? Quelle place est-il laissé à l'appropriation, ce phénomène d'interprétation qui détermine l'intérêt d'une œuvre par le nombre qu'il peut en être fait ? Étais-je mal luné d'avoir poireauté dans le froid pendant une demie heure ou bien déçu de ne pas avoir trouvé la boutique après avoir arpenté les rayons vides ? Annick Rivoire, dans Poptronics, revient sur l'historique du lieu et s'interroge sur la politique culturelle. Dans l'avenir ce magnifique espace de La Gaîté Lyrique saura-t-il défricher les nouvelles tendances ou nous servira-t-il les sempiternelles tartes à la crème qui tentent de nous faire avaler que des décos de magasin branché peuvent être assimilées à des œuvres d'art ? La techno housse, visuelle et sonore, est-elle le seul symbole de la révolution numérique ? Ces réductions dessinent un cliché qui ne peut réconforter qu'un public inquiet de son futur. Quels mondes s'offrent en alternative à la conformité que le pouvoir essaie de nous vendre coûte que coûte ? La résistance est-elle capable de s'organiser face à tant de vacuité ? Quelles utopies se développent en dehors des allées balisées du discours officiel ? La visite spatiale à La Gaîté Lyrique vaut le déplacement, mais n'attendez pas d'y trouver quoi que ce soit qui vous alimente. Sans gaîté ni lyrisme, c'est encore une coquille vide. Malgré une imposante programmation fourre-tout et de louables initiatives, tout le travail reste à faire.