A marché, à beaucoup marchés, entre le vieux psaar Chah et le psaar Tuol Tom Pong dit marché russe, arpentons allées étroites, où échoppes sont entassées... Les étalages de viande, poisson, fruits et légumes, sont souvent à même le sol boueux d'un rouge brunâtre ou pendus à des crochets dans des halles obscures, parfois éclairées de rares ampoules nues à économie d'énergie, blafardes... Les femmes y travaillent, couturières, bijoutières, vendeuses de tout et de rien, on leur apporte à manger et à boire, des enfants et des vieilles portent des plateaux en équilibre sur leur tête... Les vêtements sont le plus souvent hyper kitschs, tout au Cambodge est ampoulé, tarabiscoté, d'un tape à l'œil à deux balles, y compris les merveilles d'Angkor ! Le plus frustrant vient du fait que les commerçants vendent presque tous la même chose. Très peu d'originalité, beaucoup de copies et de copies de copies. La qualité varie parfois, jamais l'inspiration. Nous trouvons pourtant notre bonheur de touristes en marchandant quelques soieries et souvenirs sympas qui respireront l'exotisme de l'Asie lorsque nous serons rentrés au bercail.


Phnom Penh, malgré sa circulation hirsute et sa pauvreté omniprésente, est une ville agréable où tout paraît possible en regard de notre vieux pays sclérosé et plan-plan. Ce n'est évidemment qu'une illusion, car les Cambodgiens sont dans une mouise catastrophique. Les nantis locaux ont vendu leur pays à la Chine, dilapidé les ressources naturelles, mal assimilé ce que l'avenir réserve pour avoir laissé reconduire la corruption qui leur avait pourtant coûté si cher dans le passé. Le tourisme risque de devenir l'unique ressource du pays, détruisant la nature et les possibilités d'autres développements, en particulier avec l'afflux croissant de touristes asiatiques qui commencent à voyager. Le Cambodge est la première destination des Sud-Coréens qui n'ont pas encore les moyens d'aller trop loin. Si le Laos a conservé son atmosphère d'antan, farniente poussé au rang des beaux-arts et douceur de vivre, les Vietnamiens sont autrement plus entreprenants. Le peuple cambodgien véhicule une névrose collective d'une incroyable violence, retenue jusqu'à l'explosion, autodestruction que l'absence de système éducatif cohérent ne peut combattre.


Mais qui sait de l'avenir, lorsqu'on regarde les pays arabes faire tomber leurs dictatures comme des dominos, lorsqu'on a vu les pays de l'Est s'ouvrir vitesse V après la chute du Mur, lorsque l'on se demande si la misère grandissante aux États Unis ou l'arrogance de nos propres dirigeants ne pourraient générer quelque révolution, lorsque tout est possible, imprévisible, parce que les inégalités sont telles qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que cela explose partout sur la planète ?