Au retour du Cambodge, nous regardons quelques films emblématiques du pays à commencer par ceux de Rithy Panh. Sur le thème de la prostitution, Le papier ne peut pas envelopper la braise (2006) abrite quelques belles scènes, mais l'ensemble est paresseux, fouillis et complaisant. Le montage tourne en rond et le parti pris de ne jamais laisser les filles regarder la caméra finit pas produire une ennuyeuse distance de voyeur. Avoir presque tout tourné dans l'hôtel où logeait l'équipe de son film précédent donne une image tronquée qui gomme l'énergie stupéfiante, entendre que les filles sont camées à mort, qu'elles déploient avec leurs clients. Le misérabilisme flatte les spectateurs occidentaux, mais on n'apprend pas grand chose. L'exotisme des films du réalisateur cambodgien les enthousiasme alors qu'ils s'ennuieraient ferme si le cadre ressemblait au leur. Heureusement les scènes où le rabatteur compte son cheptel avec des imitations de poupées Barbie et l'histoire racontée en dessins livrent enfin un peu de cinéma. S21, la machine de mort Khmère rouge (2003) souffre des mêmes travers. La caméra suit laborieusement les propos des témoins du massacre. Les reconstitutions où les bourreaux miment leurs crimes sur des fantômes invisibles sauvent le film du manque de vision cinématographique. Je m'interroge si le succès des films de Rithy Panh est le fruit de la mauvaise conscience du public occidental ou d'une condescendance aux relents coloniaux ? Trop de documentaires souffrent de la même absence de style, les reléguant à mes yeux à des reportages qui ne manquent pourtant pas d'intérêt.
Le blockbuster de Roland Joffé, La déchirure (The Killing Filels) (1984), évoque l'arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh et la libération du pays par les troupes vietnamiennes. On comprend un peu le mécanisme délirant de l'auto-génocide avec les différentes factions qui s'entretuent, mais l'aspect analytique reste très superficiel. J'ignore si l'histoire d'amour entre le journaliste américain et son interprète est volontaire ou si cette bluette étayerait les thèses de Mark Rappaport sur l'homosexualité latente dans le cinéma hollywoodien, mais elle truste tout le pathos du film.
Un seul réussit à rendre la réalité de la misère, les conséquences tragiques de la guerre, la corruption qui étouffe le pays et la difficulté des interventions pour y remédier. Holly (2006) est un film de Guy Moshe passé complètement inaperçu. Le réalisateur dont ce fut le premier long métrage raconte l'histoire d'un trafiquant d'objets d'art qui tente de sauver une gamine de douze ans de la prostitution. Le film a été produit dans le cadre du programme K11 en relation avec l'ONG RedLight Children. Au delà de la justesse du regard sur le moindre détail, le film dresse un extraordinaire portrait du Cambodge d'aujourd'hui sans se laisser formater par les mauvaises manières d'Hollywood. La double course effrénée de la fin où l'on entend seulement les deux respirations est emblématique de toutes les trouvailles du film. Comment une telle œuvre avec son potentiel grand public peut-elle passée inaperçue lorsque les distributeurs nous servent tant de navets insipides ? Le choix de la partition musicale du compositeur contemporain Tiêt Tôn-Thât rappelle l'approche de Hans Werner Henze pour Muriel de Resnais, évitant tous les poncifs larmoyants pour créer une tension vertigineuse déstabilisante.
On est à l'opposé de la partition kitschissime d'Étienne Perruchon dont Patrice Leconte s'est inspiré pour son montage Dogora, ouvrons les yeux (2004) où les images, sensibles et somptueuses, sont écrasées par la partition grandiloquente qui oscille entre Carmina Burana et la musique de cirque.
L'empire du milieu du sud (2008) de Jacques Perrin et Éric Deroo (Ed. Montparnasse) a le mérite de prendre le contrepied du reportage historique. Montage de documents exceptionnels sur le Vietnam commentés par des textes littéraires ne cherchant jamais à être explicatifs, le film prend une tonalité poétique laissant filtrer l'émotion sous l'évocation. Mais comme avec la projection d'Uncle Boonmee du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul nous nous éloignons du Cambodge, sujet de notre petite étude.