J'avais annoncé la couleur dès lundi matin. Mais étais-je déjà au bout du rouleau ou l'ai-je joué professionnel, attendant d'avoir terminé les sessions d'enregistrement avec mes deux camarades pour tomber malade ? Mes boyaux n'ont fait qu'un tour, mon nez s'est mis à couler en cascade, ma gorge a piqué droit vers le val d'enfer. Autant dire que ma nuit fut courte et agitée sans pouvoir m'en servir. J'avais pourtant enfilé ma combinaison anti-nucléaire pour les photos du trio dont nous n'avons toujours pas le nom (non, pas Maurice, surtout si c'est en peinture !). Sacha Gattino avait sorti sa parabole pour capter les signaux de l'espace, Birgitte Lyregaard fredonnait que ça sonnait fresh 'n chips et j'avais troqué mes claviers pour un cornet acoustique. On a mis dans la boîte un joli bouquet de fleurs séchées que l'on ressortira la semaine prochaine pour les tailler, histoire de les rafraîchir. Mon père aurait conseillé l'aspirine, comme pour les poissons rouges.
Le troisième jour, j'avais promis à Elsa de la conduire chercher des herbes aromatiques. Drôle d'idée alors que le panache nous passe au-dessus ! J'ai rapporté de la menthe marocaine, du thym, de la sarriette, de la sauge pour plaire à Françoise, deux sortes de basilic et de l'oseille. Il en faut toujours plus. D'autant que nous avons cafouillé en faisant les déclarations de l'assoc (pas de la sauce !) et qu'Audiens réclame des sommes indues sans qu'on n'y comprenne rien. On arrangera cela aux petits oignons. Comme si ce n'était pas suffisant, aux dernières tomates, des petites cerises qui montent, qui montent, qui montent, l'Urssaf nous gratifie d'un contrôle, rien de grave, mais du temps à perdre, et quand on a la tête dans le cirage la perspective de se plonger dans les comptes n'a rien de drôle.


Lundi, mardi, nous avions improvisé une quinzaine de pièces. Les plus courtes n'étaient pas les meilleures. On a fait un break en descendant sous terre parce que la musique de la ligne 11 qui mène au studio plaît à notre copine danoise. Comme Sacha incarne l'homme-orchestre au volant de ses machines virtuelles, je fais voler la poussière et exhume mon violon, les trompettes, l'entonnoir qui sonne comme une clarinette qui aurait attrapé ma crève et le melodica faisant chavirer Sonia qui nous tire le portrait par l'épier. Quitte à ne pas devenir millionnaires avec nos élucubrations de gamins farceurs et d'adulescents romantiques, autant se lancer dans du laboratoire, quelque chose de véritablement expérimental ! Cela ne signifie pas prise de tête, ce matin la mienne ressemble à une maracas et mon corps à un vibraslap, mais nous prenons le temps d'essayer des alliages inédits. J'ai enfin trouvé l'usage de mon filtre résonateur diabolique en y branchant le Kaossilator ; pour une fois la prudence s'impose ; à force de loucher vers les sub-basses qui dépotent, Vigroux avait fait sauté l'une de mes enceintes... Laisser de côté mes claviers me libère. Birgitte alterne rossignol milanais, flow downtown et l'indicible. J'aurais dû commencer par là.