Tels des fantômes flous flânant sur la tombe du rock, Tels de vagues rêves dans son chant insomniaque, les amis d'Alain ne savent pas retrouver l'articulation de Bashung. L'hommage rendu est enveloppé des voix des survivants, mais le timbre reconnaissable de chacun ne suffit pas à faire foi pour qu'on y lise les dates effacées par les anniversaires, enquillés jusqu'à plus soif. L'à-peu-près se note aux paroles inentendues quand tout est là pourtant, des airs secs au sable des portugaises, des mots liquides qui devraient la gorge enflammer, mais ne laissent que le parfum suranné des "jeunots" affamés. La petite entreprise, certes sympathique, vibre sans que leurs cordes s'y frottent ni s'y piquent ; il ne reste hélas que des ombres, la lumière s'est éteinte, les allumettes humides.
Bashung ne commençait ni par les paroles, ni par la musique, il les menait de front et soignait l'articulation dont il avait le secret. Sans vagues pas de risque de noyade. Les choix des copains sont explicites : Aucun express pour Noir Désir, Gaëtan Roussel 'passe pour une caravane, M rêve de Madame, Biolay n'a pas l'envergure de l'entreprise, Kerenn Ann fume pour oublier que tu buvais, Johnny Depp tient tous les instruments de son angora Vanessa, Stephan Eicher part en volutes, Dionysos saute en 2043, BB Brunes court après Gaby, Miossec rate Joséphine, Raphaël se pique d'apiculture et Christophe alcaline pour qu'il revienne. On a les disques. Le DVD Faisons envie (55mn) de Thierry Villeneuve qui accompagne le CD Tels Alain Bashung, est un double making of, de la compilation et du disparu. L'alternance des archives, des témoignages et des extraits n'évite pas le formatage attendu. On rêverait que ce genre de bonus nous accompagne aussi longtemps que l'audio. Pourquoi les maisons de disques soignent-elles au mieux le packaging, mais banalisent les reportages glissés dans le quatrième volet ? Une chanson est un court métrage, une petite fiction qui nous emporte, comme un clip que l'on se repasserait en boucle. Lorsque les paroles sont lues à plat, elles réveillent soudain la poésie de Bergman, Grillet, Fauque, Bashung et la musique se rappelle à notre bon souvenir, un instant diluée dans les limbes.