J'écoute D503, l'évocation radiophonique (actuellement accessible sur le Net à cette adresse) que Franck Vigroux a composée pour l'Atelier de Création Radiophonique de France Culture et qui concourt pour le Prix Italia. Travail ciselé. L'ACR est devenu un exercice de style ! Franck aime les extrêmes, dans le grave comme dans l'aigu. Les graves donnent du corps à l'esprit, les aigus vous vrillent le cerveau tels des électrodes plantées dans le nerf du sujet. Son texte est emprunté à Nous autres de l'écrivain russe Eugène Zamiatine qui inspira Le Meilleur des mondes à Aldous Huxley et 1984 à George Orwell.
1984, c'est l'année où Un Drame Musical Instantané sonorise l'intégrale des épisodes muets de Fantômas de Louis Feuillade, mais je m'égare. "Le plus grand criminel de tous les temps, qui n'hésite pas à torturer et à tuer pour arriver à ses fins" est un amateur face à "L'État Unique, qui prétend régir toutes les activités humaines et faire le bonheur des hommes au détriment de leurs libertés individuelles." Dans tous les cas la question du pouvoir vient titiller nos mâles utopies. La réalité est brutale. Elle se cache derrière ce qu'il est coutume de nommer démocratie autant qu'elle se révèle, passé les premiers soubresauts de chaque révolution. Comment croire que le pouvoir puisse œuvrer pour le bien de tous ! Nos orchestres hérétiques entendent-ils se soumettre ? Le phénomène politique occulte la mégalanthropie. Ne suis-je femme, animal, arbre et la mer, avant de me demander pour qui je voterai aux prochaines élections ? Les urnes sont funéraires et le système enfante des monstres mécaniques. Cher D503, regardez la Terre depuis L'Intégral, ce vaisseau spatial destiné à convertir les civilisations extraterrestres au bonheur, que voyez-vous qui nous profite ou à qui ? Franck Vigroux emploie le vocabulaire électroacoustique pour titiller la machine tandis que le Drame renvoyait le passé à demain en convoquant ses invités à traverser le miroir.
Chez Vigroux le piano de Maurer ou le clavecin cinglant sont des objets électriques. Même sans Vitet accaparé alors par un drame familial, nous n'avions, Gorgé et moi, pas d'autre objet qu'interroger le lieu, Paris, et l'époque, ses us et coutumes, renverser la vapeur pour créer d'autres modèles, pas contre, mais à côté. Raymond Sarti me faisait récemment remarquer que, étymologiquement, concourir n'est pas courir contre, mais courir avec. La semaine dernière, j'ai ajouté dix heures de musique inédites à celles déjà en ligne, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org. En 1984, Fantômas au Théâtre Déjazet rassemblait ainsi Jean Querlier, Magali Viallefond, Hélène Sage, Michèle Buirette, Bruno Girard, Marie-Noëlle Sabatelli, Patrice Petitdidier, Gérard Siracusa, Youval Micenmacher, Francis Gorgé et moi-même pour deux fois cinq épisodes. Le ciné-concert est devenu un exercice de style. Cet enregistrement aura mis 27 ans à nous parvenir. Combien de temps faudra-t-il à D503 pour apprécier l'imprévisible et la précarité du bonheur ? Quelle catastrophe faut-il espérer pour que les hommes se ressaisissent ? L'utopie de Thomas More pose mille questions. Nos analyses se posent à peine sur le premier barreau d'une échelle qui grimpe vers les étoiles. Retour à l'envoyeur. Franck, où seras-tu à l'avenir ?