Pensée émue pour les camarades avec qui j'ai l'habitude de partir en tournée, grands amateurs de bière. Inventeurs de la blonde au XIXe siècle (Pilsner Urquell ?), les Tchèques en sont les plus gros consommateurs au monde, loin devant les Irlandais. Comme en Belgique et en Allemagne, elle est délicieuse, rafraîchissante, mais il me faudrait rester un an avant d'en avoir goûté toutes les variétés, car après un ou deux verres je sens la rue vaciller. La femme au bock, qui me rappelle Kienholz, est perchée sur le toit d'un immeuble, à côté d'une cousine qui porte une planche de surf sous le bras et d'une troisième allongée près d'un fusil. Toute la ville est érigée de sculptures en bronze, souvent contemporaines, plutôt figuratives, décalées comme celles de David Černý ou dramatiques comme celles d'Olbram Zoubek pour le Mémorial aux victimes du communisme en bas de la colline de Petřín que nous longeons avant d'y grimper par le funiculaire.


Toutes les villes se ressemblent plus ou moins depuis les hauteurs. Le fleuve qui les coupe en deux est enjambé de ponts. Quelle que soit leur couleur les toits unifient le paysage et la quantité de verdure marque la qualité de l'air. Prague est bien lotie. L'ascension de sa Tour de Petřín, un modèle réduit de notre tour Eiffel de 1891, nous dissuade de visiter le château qui n'a jamais été le genre d'excursion que nous affectons. La foule des touristes et le style des bâtiments nous font plutôt pencher vers un bon restaurant au-dessus du Jardin Wallenstein.


Le mur de stalactites artificiels où sont cachées des formes animales et grotesques donne à ce jardin baroque italien un air de conte carrollien. Les bosquets taillés dissimulent des enclos de verdure où les ébats licencieux pouvaient probablement se commettre sans être dérangés ! Après la vieille ville hier (quartier Staré Mĕsto) notre seconde journée fut tournée vers la verdure, des vergers de Petřín à l'île de Kampa (quartier Malá Strana, de l'autre côté du fleuve). Protégés par des retenues obligeant les bateaux à emprunter le canal, les pédalos mouchètent la Vitava.


Et partout explose un festival d'architecture, à tel point que ce musée vivant marque la ville plus que toute autre chose. Jamais nulle part nous n'avons marché autant la tête levée vers le ciel. Les tons pastels donnent leurs parfums sucrés aux façades ornées de cariatides et de sculptures. Les toits ondulent ou se redressent pour se grandir. Les styles se fondent et s'opposent harmonieusement. En plus des références déjà citées lors de mes précédents billets, on reconnaît l'influence italienne et pharaonique, et au delà, à quel pont les architectes tchèques ont influencé la construction de New York. On s'y croirait parfois. J'allais écrire "les yeux fermés", mais c'est aller un peu loin !


Je les rouvre pour redescendre. Après une pause en fin d'après-midi où nous regagnons notre hôtel, nous ressortons le soir pour profiter du décor déserté des cohortes de touristes. Dans la journée il semble qu'il y en ait plus que d'autochtones. J'imagine que les Pragois n'ont pas les moyens de se loger au centre ville et que la banlieue limitrophe n'a pas le charme de l'ancien, ou bien il faut s'éloigner vers la campagne...


En sortant de la brasserie où nous avions jonglé avec la bière maison et la Becherovka, une liqueur forte et onctueuse qui sentait "aussi" le clou de girofle, nous sommes allés admirer l'immeuble dansant de Frank Gehry et Vlado Milunić. Il n'y avait pas que l'immeuble surnommé à l'origine Fred et Ginger qui valsait !