Exprimer son sentiment sur le travail d'un ou une amie est un exercice toujours délicat lorsque l'on a choisi d'être sincère. Il est, par exemple, vain de dire quoi que ce soit à l'issue immédiate d'une représentation. L'artiste qui sort de scène n'a pas d'oreille, du moins pour entendre d'autre critique que les louanges de rigueur. La plupart des invités préféreront donc s'en tirer hypocritement par des applaudissements en esquivant le sujet, quitte à s'en ouvrir en l'absence de l'intéressé. Si ces fuites ne sont pas dignes de notre amitié, à moins d'avoir été totalement emballé on félicitera le travail, remerciera pour l'invitation et préférera en discuter à froid. Si l'on est catastrophé, on choisira alors de donner humblement son avis sur quelque détail. Au mieux, notre effort bienveillant produira une réflexion que l'on imagine salutaire. Ne pas s'attendre à ce que notre analyse soit rapidement assimilée. Il faudra à notre interlocuteur du temps et autant de confiance pour s'approprier à son tour la voix de l'autre.
Celle de Birgitte Lyregaard s'expose coup sur coup avec deux nouveaux CD, sensibles et brillants, exercices de style anticipant celui de ma sincérité. Blue Anemone est un album de standards de jazz où le minimalisme élégant de l'accompagnement du piano d'Alain Jean-Marie correspond parfaitement à l'approche nordique de la chanteuse danoise. Transmutées en fragiles berceuses les mélodies de Gershwin (Do it again), Handy (Forgetful), Monk (Monk's Mood), Barbara (Nantes) ou Arlen (Somewhere Over The Rainbow) dessinent d'harmonieux nuages dans lesquels on croira reconnaître des objets familiers. À l'heure où j'écris aucun ne se transformera pourtant en mouton, même si la justesse et la tendresse de la voix ont la douceur du coton ! La saxophoniste Alexandra Grimal volète de temps en temps autour du duo comme dans un conte de fées où poussent ces anémones bleues.
Le deuxième album est résolument pop. Fruit d'une collaboration de sept ans entre le claviériste Rune Kaagaard et Birgitte Lyregaard, SecretPet appartient encore à la veine scandinave qui nous enchante depuis l'apparition de Björk, electro avançant sur des pattes de colombe et recherche de timbres rares pour les philatélistes de la musique. Si la chanteuse danoise a autant de cordes à son arc que dans sa gorge de merle chanteur, elle sait colorer chacune de ses apparitions en s'appropriant un style unique dont la variété étonnante ne peut que me séduire. Ailleurs elle se transformera en poétesse rock ou conteuse d'histoires à dormir debout, en ambassadrice des ressources de son pays (avec Linda Edsjö) ou en improvisatrice absolue, capable de passer d'un ton à l'autre en un quart de seconde si nécessaire. Cette fois le vent du nord nous apporte la fraîcheur de ritournelles coquines qui dansent dans le soleil couchant et l'énergie rockisante qui justifie les effets spéciaux habillant la voix de costumes propres à la fiction. De nombreux invités apportent leur concours à cet orchestre moderne avec leurs basses, batteries, guitare, trompette, violon et effets électroniques. On dira qu'elle est bien entourée.
N'attendez pas que j'ajoute un bémol à ces exercices de style aussi sincères que virtuoses, même si je préfère évidemment la liberté dont Birgitte jouit dans notre travail en trio avec Sacha Gattino au sein de El Strøm. On pourra y retrouver, ou pas, toutes ces inspirations et bien d'autres comme la fois où je me suis mis à faire le pitre oriental ou lorsqu'elle plaqua Lover Man sur nos excentricités. L'improvisation libre autorise toutes les citations comme les propositions les plus inouïes. En marge de notre travail de laboratoire, nous commençons dès aujourd'hui à composer des pièces courtes qui préciseront notre démarche. Ce matin Birgitte dort encore, Sacha se prépare et je tape ces lignes pour préciser ma pensée avant la séance de tout à l'heure...