Les musiques interprétées sur des instruments-jouets rappellent souvent les petites musiques mécaniques composées d'échantillons de la vie quotidienne. Les unes et les autres tirent leur origine des boîtes à musique de l'enfance, plutôt tendres et désuètes, mais également graves et profondes. Le premier âge n'est pas qu'un conte de fées, il est aussi le foyer des angoisses des futurs adultes. Les contes pour enfants, qui peuvent être d'une rare cruauté, préparent à la course d'obstacles qui attend chacune et chacun d'entre nous. Sur la platine se succèdent ainsi Jour de marché d'Oli Azerti et Chuchumuchu de Patrice Elegoet alias Chapi Chapo et les petites musiques de pluie. J'aurais pu y associer Pascal Comelade, Pierre Bastien, David Fenech, Sacha Gattino et bien d'autres, chacun dessinant son propre paysage sonore selon son histoire, souvent plus sombre qu'ils ne l'expriment dans une intimité feinte.

Qu'ils soient virtuels ou réels les instruments ont le mérite d'échapper à la collection de timbres traditionnelle. Ils sont le fruit d'une production artisanale qui prend le temps du sur mesures. Si le premier album d'Oli Azerti était essentiellement constitué de sons de la maison (son titre, Maison, est aussi le nom du label qui édite ses disques ainsi que ceux de Jî Mob, Malnoïa et Vadim Vernay), le nouveau, Jour de marché, souriant et sautillant, s'en échappe, là encore virtuellement, car cette évasion passe par les tuyaux d'Internet, se référant à la mémoire des machines, aux spams, à l'anglais de cuisine et au survol des news tournées en dérision. Mais si ses rythmiques aux connotations graphiques m'enchantent, les mélodies robotiques fredonnées par Anne Sigaud et Violette Valdes m'évoquent un vocodeur acoustique qui homogénéise l'ensemble en lui ôtant sa chair. Ne dansent plus alors que de petits squelettes sardoniques.

Chuchumuchu date d'il y a déjà deux ans. Pour Chapi Chapo et les petites musiques de pluie la manière de jouer d'instruments classiques n'est pas très différente des instruments-jouets utilisés dans tous les morceaux. Rien à voir pour autant avec, par exemple, les spectacles de Pascal Ayerbe destinés à un public d'enfants. Une forte mélancolie se dégage des rencontres de Pascal Elegoet avec les chanteurs Carbonic, Ray Rumours, Ootiskulf, G.W. Sok, GaBlé, Alice Dourlen, Gregaldur, John Trap (Solo) et les nombreux musiciens dont les polyinstrumentistes Klimperei et Sébastien Desloges, ainsi que Los Chidos, Bertrand Pennetier, Jean-Marc Le Droff, etc. Le rock progressif des Seventies est passé à la moulinette bretonne pour accoucher d'un minimalisme anglophone aux effluves de Robert Wyatt. Le nom du projet laisse entendre une approche lénifiante loin de sa réalité.

Pour ces compositeurs, auxquels je m'associe sur ce point, les jouets sont utilisés comme instruments à part entière et les instruments, électroniques, électriques ou acoustiques, sont joués par des adultes qui n'ont pas renoncé à la part d'enfance indispensable à tout musicien qui résiste à vendre son âme (qu'abrite le violon de L'Histoire du Soldat de Stravinski) au diable, sirène vicieuse représentée par la mode et l'appât du gain, la vanité ou la routine, l'amertume ou le succès.

N.B. : Pascal Ayerbe, Patrice Elegoet et moi-même participons à L'atelier du son, émission de Thomas Baumgartner consacrée au petit piano Michelsonne et diffusée sur France Culture le 11/11/11 à 11 heures du soir.