70 avril 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 avril 2012

Réparations. Stop.


Besoin temps réadaptation. Stop. Grosse fatigue. Stop. Perdu 5kg en 5 jours. Stop. Analyses en cours. Stop. Sur la voie de la guérison. Stop. Espère marcher demain. Start.

Le style télégraphique ne dira rien aux jeunes générations. À l'époque pré-Internet et pré-SMS on ne pouvait joindre personne illico si il ou elle ne se trouvait devant un téléphone. Une lettre expédiée à Paris le matin pouvait atteindre sa destination le soir-même. Il y avait plusieurs levées, plusieurs distributions. La Poste était d'une fiabilité exemplaire. Le moyen le plus rapide était le télégramme, appelé aussi pneu ou petit bleu ! En fait cela existe encore en France, mais les télégrammes ne sont plus envoyés par tubes pneumatiques et ils ne concernent qu'un nombre restreint d'utilisateurs. La formule "stop" ponctuait des blocs de mots, mais j'en ignore la raison. C'était toujours très court, car cela coûtait assez cher...

vendredi 27 avril 2012

Les chansons nâvrantes d'Eddy Bitoire


Les chansons décalées ont toujours été une tradition. Au siècle dernier, Georgius, Fredo Minablo et sa Pizza Musicale (un des nombreux pseudonymes de Boris Vian), Bobby Lapointe, Édouard, Pierre Perret, Licence IV, Les inconnus, et combien de chansonniers, ont remonté le moral à plus d'un désespéré. Même Jacques Dutronc, alors directeur artistique, se lança accidentellement dans la chanson pour rigoler. Chez eux il existe une distance que ne véhiculent pas les comiques avérés comme Fernandel ou Bourvil, encore que la frontière soit mince. Le second degré existe-t-il ou est-ce une manière coupable d'assumer ses amours inavouables ?



Nous avons peu d'informations sur la carrière d'Eddy Bitoire. Certains aficionados du jazz prétendent avoir reconnu un souffleur inventif dont la musique échappe aux canons à la mode. Raison de plus pour Eddy, tenté par l'exercice et convoquant toute la famille des potes pour réaliser ses chansons nâvrantes (l'accent circonflexe est paraît-il une piste pour l'identifier). Quitte ou double ? Sur SoundCloud, on pourra également écouter Bingo, Méfie-toi, P le 1, Courbez-vous, Un alien, Ce que j'aime chez toi, J'bute sur Nietzsche, Benoit, I Speck The Prues, Une maladie rare, Qui donc ?, Une tomate, Dis au revoir, Les gâteaux secs...


Clips réalisés respectivement par Cyril Laucournet et Jenifer Titi.

jeudi 26 avril 2012

Je n'suis pas bien portant


Sont-ce les bulots de dimanche soir ? Ou dimanche soir sans même bulots ? Une technique pour perdre quelques kilos ? La possibilité de m'arrêter quelques jours cette semaine ? Les hyperactifs attendent souvent d'avoir un moment tranquille pour tomber malade. Voilà. Je ne tiens pas debout. Mes yeux voient flou. Je me tords dans tous les sens.


Je laisse donc exceptionnellement à Gaston Ouvrard (1890-1981) le soin d'écrire ce billet à ma place.

mercredi 25 avril 2012

Plus de 100 designers graphiques répondent par Étapes


Le n°200 d'Étapes, paru en janvier, interroge 106 designers graphiques sur leur profession. De grandes lignes se dégagent des 128 pages hyperfournies, elles ne sont pas toutes réjouissantes alors que le domaine est de plus en plus couru : nouvelles pratiques informatiques, transmission indispensable, déprofessionnalisation, budget à la baisse, mauvais payeurs, perte de sens, etc. Alors que je découvre quantité de propos passionnants, la revue finit par me tomber des mains, car sa maquette n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Les textes constituent une fastidieuse continuité typographique qui ne met aucun en valeur, les citations très fades semblent avoir été tirées dans un chapeau, les illustrations apparaissent totalement arbitraires et sans mise en pages cohérente. Au bout du compte, rien ne ressort et aucune analyse n'accompagne l'énorme corpus. C'est dommage, alors que les propos des designers, enseignants, collectionneurs sont riches et variés, malgré les nombreux points de concordance. L'intelligence qui s'en dégage laisse entrevoir la misère du design sonore, très en retard en regard des secteurs d'intervention considérables qui devraient y avoir recours. Art appliqué, le design graphique doit avant tout s'imprégner de son sujet et proposer des solutions adaptées au propos. Le temps de recherche n'est hélas plus pris en compte dans le cadre des commandes, le fond et la forme devant pourtant faire corps. Le parti-pris du designer est le gage d'un réel point de vue qui se démarque du formatage hypnotisant la clientèle. Il serait temps de s'échapper du marketing qui coûte si cher et fait tant de ravages. Pour "voir", on se reportera aux autres numéros de cette revue incontournable !

mardi 24 avril 2012

Merle moqueur


C'est bientôt le temps des cerises. Les merles se moquent du vent qui souffle comme de la poussée du Froid National. On raconte que les oiseaux n'apprécient pas les bambous, or les moineaux passent leurs journées à jouer à la balançoire sur leur faîte tandis que la merlette a construit son nid dans un faisceau serré de chaumes. Parfait, les feuilles sont étanches. On aperçoit la masse sombre, mais je ne peux m'approcher sans la déranger pendant qu'elle couve. À moins de deux mètres du sol, elle n'a rien à craindre du chat qui ne pourrait ni pénétrer dans le buisson serré ni escalader les tiges trop fines. Voilà des années que je me demande où les merles vont se nicher. Nous craignons seulement l'envol des petits, moment de très grande vulnérabilité. Sur la terrasse un rouge-queue passe derrière la merlette, histoire d'annoncer la couleur ou de finir les restes.

lundi 23 avril 2012

Nous étions seuls, nous sommes cinq millions

...
On pourrait dire qu'on est déçus, que nous espérions faire un meilleur score, c'est vrai. Plus dur à avaler, celui du Front National. Car du côté de la Gauche (je ne parle pas du PS) nous avons avons fait une percée déterminante. Depuis des années nous étions seuls, isolés, déprimés, cyniques, démobilisés, exténués... Cela dépend des caractères. Nous ne représentions plus rien si ce n'est dans un travail de proximité. C'est ainsi que nous avions fini par appeler notre combat quotidien, car nous n'avions pas désarmé pour autant. Peu importe le pourcentage du candidat qui porta nos couleurs jusqu'à ce premier tour. Il en a d'autres dans son sac. 11 %, c'est tout bonus. Nous ne sommes plus seuls, nous sommes quatre millions (cinq avec les écologistes et le reste de l'extrême-gauche) à nous donner la main et à lever le poing. Et parmi nous, combien de jeunes et de moins jeunes ont compris les enjeux à l'occasion de cette mascarade médiatique ! En un rien de temps combien de prises de conscience ont germé ! S'il a fallu trois mois pour grimper aussi vite, combien serons-nous avant la fin de l'année ? Il faut continuer à expliquer à celles et ceux qui se sentent laissés pour compte, qui pensent que toutes les politiques se valent, qui n'ont tout simplement pas écouté, étouffés par les travestissements de la télévision et des grands quotidiens, il faut leur expliquer que l'on peut et doit lutter activement pour que ça change, mais surtout pas dans la haine, une haine fratricide.

La guerre est pourtant ouverte, mais contre le pouvoir de l'argent et contre une extrême-droite plus dangereuse qu'ils ne le croient. Il faut rappeler que cette dernière collabora avec les Nazis, que le Front National s'est appelé Occident et Ordre Nouveau, et que leurs méthodes sont celles qui accouchèrent des pires dictatures. Ces haineux commencent par se repaître du mécontentement des plus pauvres en stigmatisant "l'autre" qui n'est pourtant qu'un autre que chacun porte en soi. Le racisme pousse sur ce terreau. Si l'on ne les arrête pas, leur discours et leurs actes se radicalisent au fur et à mesure de leur progression. Ils sont le bras armé de l'oppression, jusqu'à prendre le visage du monstre dès lors qu'ils accèdent au pouvoir. Il faut raconter comment les fachistes s'y sont pris pour détruire sous prétexte d'un ordre nouveau. Un électeur sur cinq, c'est beaucoup trop, ça fait froid dans le dos. C'est la nouvelle accablante qu'annonce le premier tour. Une raison de plus pour remettre en question le système même des élections présidentielles, la cinquième république, le show médiatique, le piège à cons diront les opposants farouches au vote prétendument démocratique.

Ce n'est qu'un début, continuons le combat, avions-nous coutume de scander en nous tenant bras dessus bras dessous et au pas de charge. Le 1er mai sera un jour mémorable. Les législatives marqueront une nouvelle étape. Les sociaux-démocrates ont du souci à se faire s'ils pensent pouvoir servir la soupe aux riches en maintenant la paix sociale à coups de mesurettes. N'oublions pas que nombreux électeurs ont voté pour François Hollande par peur de voir Le Pen au second tour. Le vote utile s'éteindra la 6 mai avec la chute de Sarkozy et le peuple de gauche se reconstituera lors des prochaines luttes anticapitalistes, car la crise n'est pas une mince affaire.

Nous avons du pain sur la planche si nous voulons vraiment que ça change. Retroussons nos manches, imaginons de nouvelles alternatives, donnons-nous les moyens de les communiquer au reste de la population qui est pour sa majorité (réelle, à savoir abstentionnistes inclus) à bout de souffle et sera heureuse d'apprendre qu'il est possible de respirer à pleins poumons dans ce pays pour peu que nous nous prenions en mains. Internet a joué un rôle déterminant dans la communication des idées du Front de Gauche, mais ce medium est encore peu utilisé par les couches défavorisées. Dans d'autres pays européens la résistance va s'organiser à notre suite. Une solidarité internationale anticapitaliste est nécessaire pour sauver la planète de sa destruction systématique si nous voulons éviter la sixième extinction, la nôtre et tant d'espèces entraînées dans le processus mortifère. Être vivant ne devrait pas seulement consister à avoir de quoi manger, encore que ce soit la préoccupation majeure de plus de la moitié du globe, car nous devons imaginer et créer un monde meilleur où la solidarité s'exerce pour et par tous et toutes. Sinon nous sommes fichus, et les connards de profiteurs et leurs enfants ne s'en tireront pas mieux que les autres.

vendredi 20 avril 2012

Pierre Marcelle, reviens !


Quelle honte ! Libération fait sa une d'hier sur Marine Le Pen en annonçant qu'elle pourrait créer la (mauvaise) surprise du premier tour des élections en faisant un score supérieur à celui attendu. Sa photo pleine page, contreplongée à la Mussolini, m'agresse dès potron-minet, cette livraison matinale par porteur devenant l'unique raison de rester abonné au quotidien que je feuillette aussitôt dans mon bain. Comment analyser la publicité faite à l'extrême-droite et l'entreprise systématique de dénigrement contre le candidat du Front de Gauche qui doit vraiment en avoir marre de devoir répondre sans cesse à des mesquineries de comptoir quand les candidats principaux ont des casseroles ressemblant plutôt à des cocottes-minute ?
Placarder Le Pen en pleine une, c'est faire sa pub, tous les journalistes le savent. Ils le font donc en connaissance de cause. Sarkozy en chute libre, la finance s'inquiète. Et si Hollande était mis en danger par Mélenchon ? L'idée fait frémir les actionnaires dont Édouard de Rothschild‎ représente à lui seul 38,87% des parts du journal. Alors on pilonne. En bas de page 3 nous avons même droit au sondage bidon publié par le Monde et dénoncé depuis par la Commission des sondages sur l'intention des jeunes à voter Le Pen. À croire que les journalistes de Libé ne lisent pas leurs confrères pour reproduire ce bobard. Le quotidien social-démocrate ne fait pas de politique, mais jongle avec les pourcentages supposés et la peur qu'ils inspirent pour vendre leur camelote. Quand je pense que l'on n'arrête pas de lire qu'il faut se méfier des informations sur Internet, je me marre en voyant comment se vautrent les professionnels de la presse papier. Que les dangers de la droite soient exprimés est juste, que Libération en fasse sa une glorieuse est une autre histoire. Elle s'explique pourtant très bien en abordant la lecture des pages suivantes.
Sur toute la page 9 François Hollande "craint une démobilisation des électeurs de gauche". Les 10 et 11 sont consacrées aux mensonges de Sarkozy prêt à tout "pour discréditer un adversaire". En 12 l'entretien avec Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière s'intitule "Je n'ai aucune confiance en Jean-Luc Mélenchon", comme si c'était son cheval de bataille ; dans quel panneau est-elle tombée ? En 13 une autre demi-page cette fois sur Eva Joly et son "Sarko Tour", un entrefilet sur Bayrou refusant catégoriquement d'envisager Matignon si Sarkozy repassait, il n'est pas assez fou pour aller se suicider contre rien du tout, et tout en bas l'évocation des manipulations "dénoncées" par "le candidat du Front de Gauche", ramassis d'attaques minables trouvées au fond des poubelles auxquelles Mélenchon doit perdre son temps à répondre face à tous les nervis du pouvoir qui officient à la télé et à la radio au lieu d'exposer son programme. Les journalistes qui se prêtent à cette mascarade ressemblent plus à des paparazzi qu'à des professionnels de l'investigation. Je croyais que leur rôle était d'information, suis-je naïf ! Depuis le début de la campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon est le plus attaqué des candidats, certes avec Eva July pourtant déjà assassinée par les camarades de son propre parti. Même à Médiapart, et malgré les justifications d'Edwy Plenel, les journalistes ménagèrent François Hollande comme s'il était déjà élu alors qu'ils furent beaucoup plus opiniâtres et agressifs avec les deux autres. Oui, Mélenchon fait peur. Il leur fait peur parce que le programme du Front de Gauche pourrait réellement changer le profil du monde en commençant par celui de la France, sachant que bien des pays européens pourraient lui emboîter le pas. Médiapart ménage ses e/lecteurs dont les opinions représentent évidemment l'éventail de ce qu'il est coutume d'appeler la gauche. Mais Libération sert ostensiblement les intérêts du candidat du Parti Socialiste en photocopiant sa stratégie consistant à miser sur la crainte d'un duel Sarko-Le Pen pourtant plus du tout envisageable aujourd'hui. J'ignore si Mélenchon pourrait se retrouver au second tour, mais il est certain que le Front de Gauche influera sur la politique future quel que soit le prochain gouvernement et que l'enthousiasme qu'il a engendré ne retombera pas de sitôt.
Et Pierre Marcelle dans tout cela ? Est-il parti de lui-même en vacances pendant la semaine qui précède le premier tour ou lui a-t-on conseillé ? En tout cas sa plume nous manque, il est l'une des rares raisons de poursuivre mon abonnement. Où qu'il soit, il doit fulminer en lisant le torchon que je viens de tremper dans la baignoire tant les bras m'en tombent devant tant de stupidité et de magouille électorales.

jeudi 19 avril 2012

Les Allumés, politique et numérique


« Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique », écrivait Francis Marmande dans Le Monde Diplomatique de décembre 2004. Avec l'arrivée du printemps et le regain d'intérêt des Français pour la politique, bien que les grands médias nous serinent douteusement le contraire, faisant scandaleusement l'impasse sur le mouvement de résistance qui grossit de jour en jour, il est agréable de constater que le journal de l'association de 58 labels indépendants de jazz et (le plus souvent) assimilés consacre presque tout son numéro 29 à des musiciens engagés et à des réflexions replaçant la musique dans son contexte social et politique. Passé les témoignages des musiciens grecs Thamos Lost, Dimitra Kontu et Kostas Tzekos, ainsi que du professeur Nicolas Spathis, sur les arnaques dont leur pays fut la cible et qui préfigure ce qui nous attend, on souhaiterait un dossier plus complet sur leur paysage musical, mais le canard de 28 pages est déjà bien rempli. L'éthique titille les producteurs Jean-Louis Wiart et Jacques Oger, le saxophoniste François Corneloup et le disquaire Olivier Gasnier ; l'équipe du journal titille Daniel Yvinec, directeur artistique de l'Orchestre National de Jazz ; la Garde Civile espagnole titille Larry Ochs sur ce qui est jazz ou pas, question que se posent aussi les précédents contributeurs cités ! Suit un gros dossier sur le scandale de la création du Centre National de la Musique (CNM) par un ministre de la culture sur le départ sans concertation avec les intéressés, et pour cause, l'institution servant essentiellement les intérêts des grands groupes industriels. Témoignent encore les musiciens Hélène Labarrière, Sylvain Kassap, Benoît Delbecq, ainsi que Sud Culture Solidaires, Fabien Barontini (directeur du festival Sons d'Hiver) et Jacques Pornon, sans oublier ceux qui préfèrent lutter de l'intérieur au risque de se faire berner méchamment, Philippe Couderc (président de la Fédération des Labels Indépendants) et Françoise Dupas (présidente de la Fédération des Scènes de Jazz). Petite pause de quatre pages avec Le Cours du Temps que j'initiai à l'époque où je partageais la rédaction en chef du journal avec le producteur Jean Rochard aux multiples et amusants pseudonymes, cette fois avec le violoniste Dominique Pifarely qui repasse en détails son parcours musical et ses engagements politiques. Eh oui, ça continue, encore et toujours, puisque le batteur Bruno Tocanne évoque ses rêves et résistances. Même la photo de Guy Le Querrec qui s'étale sur une demi-page en quatrième de couverture est commentée par le batteur Edward Perraud, membre fondateur de Das Kapital, entre autres. Ajoutons les nouveautés discographiques commentés par Jean-Paul Ricard, qui font hélas l'impasse sur les albums numériques gratuits uniquement accessibles sur Internet, et les petits mickeys originaux d'une ribambelle de dessinateurs chevronnés (Ouin, Nathalie Ferlut, Johann de Moor, Jeanne Puchol, Rocco, Percelay, Pic, Efix, Andy Singer, Zou, Sylvie Fontaine, Jazzi, Cattaneo) plus de belles photos noir et blanc, et vous n'aurez pas perdu votre temps (ni votre argent puisque c'est gratuit).
Et tout cela lu sur iPad, allongé sur un divan moelleux, puisqu'on peut le télécharger sur leur site comme tous les précédents numéros, et que j'ai ouvert le fichier PDF directement dans iBooks. Pas d'encre sur les doigts, une définition graphique exceptionnelle, et si les ADJ voulaient faire des économies d'impression et de postage, un moyen de rayonner bien au delà des 18 000 exemplaires régulièrement distribués dans les boîtes aux lettres. Seul inconvénient, on ne peut pas le lire dans le bain sans risquer de bousiller sa tablette numérique.

mercredi 18 avril 2012

Transformation


À la réécoute, dès les premières secondes de chaque morceau, Alexandra Grimal a l'idée d'un titre à lui donner. Elle a tout de suite choisi celui de l'album, Transformation. Je ne lui ai pas demandé pourquoi. Alchimie d'une démarche qui lui est propre, rencontre musicale dont les conséquences nous échappent, mouvement fugace et vectoriel sous-tendant ce samedi après-midi au studio, essai réussi à la manière d'une équipe de rugby ? La mutation du papillon s'est imposée toute seule lorsque j'ai imaginé la pochette. L'animal épinglé sur le ciel donne à l'image l'impression du relief. C'était l'heure du déjeuner à Kho Phayam. La table exhalait des parfums de noix de coco et de piment costaud. Je ne perçois la 3D virtuelle qu'à la relecture comme je n'entends nos improvisations qu'à la mise en ligne le lendemain. Les sept pièces sont accessibles en écoute et téléchargement gratuits comme les 36 précédents albums numériques que Radio Drame débite aléatoirement sur la page d'accueil du site drame.org. Si l'on préfère n'écouter que ce nouvel album, une page est dédiée à Avant que la cité..., Depuis les arbres, Bienvenue derrière le miroir, Les éléphants rencontrent les girafes, Assimilation culturelle, Désirs lucides, En éponge.
Sur toutes, Alexandra joue du saxophone soprano tandis que les synthés développent leurs variations de timbres. Avant de jouer, je lui raconte l'histoire qui me relie à son instrument, mes premières notes sur les genoux de Sidney Bechet, les tentatives empesées avant que je ne passe à l'alto, mes rencontres avec Steve Lacy ou Lol Coxhill... On attaque direct. À peine le temps de réécouter quelques secondes de chaque morceau qu'Alexandra doit filer. Comme cela m'arrive de plus en plus souvent avec les jeunes musiciens elle avait eu l'initiative de la session, suggérant que nous improvisions ensemble. Il y a quelque temps d'autres m'avaient avoué chercher à jouer avec des vieux. Comment le prendre ? Forcément bien. L'expérience n'a rien à voir avec l'âge du capitaine. Ce n'est pas non plus un gage de qualité. Aujourd'hui j'apprends plus avec eux qu'avec ceux de ma génération et ou de celles qui m'ont précédé. Mes pairs ont plutôt eu du mal à comprendre où j'allais. Ils se sont trop souvent figés dans des formules confortables. Les jeunes me retrouvent au tas de sable. Le risque évite pelles et râteaux. Échange de bons procédés. Quand les grains sont tous tombés on retourne le sablier.
Alexandra tient son jeu du lépidoptère. Elle étale ses ailes pour exposer ses desseins colorés et ses six pattes tracent une écriture en bâtons qui siéent si bien au soprano. Sa chrysalide se transforme parfois en ténor quand le souffle en caresse le bec. Mais c'est par la trompe que passe le nectar. Quelles que soient ses rencontres elle cherche la métamorphose.
Elle enregistre Owls Talk (dialogue de chouettes) en leader avec Lee Konitz, Gary Peacock, Paul Motian, Dragons (ils renaissent de leurs cendres, une autre métamorphose !), avec Nelson Veras, Jozef Dumoulin, Dré Pallemaerts, Andromeda (qui dirige les hommes) avec Todd Neufeld, Thomas Morgan, Tyshawn Sorey... Je l'avais entendue butiner la première fois sur Blue Anemone de Birgitte Lyregaard avec Alain Jean-Marie au piano, sobriété et opportunité du jeu. J'aime bien Shape (une autre forme !) avec Antonin Rayon et Emmanuel Scarpa, Ghibli (vent chaud du désert) avec Giovanni di Domenico auxquels se joignent Manolo Cabras et Joa Lobo pour Seminare Vento (qui sème le vent), et ces drôles de 45 tours bleu marine où le trio You Had Me At Hello composés avec Adrian Myhr et Chistian Skjødt rencontrent Ab Maars, Michael Moore, Oliver Lake... Ouverte à toutes les musiques on l'attend avec impatience dans des contextes moins jazz comme lorsqu'elle est invitée par le violoniste Frédéric Norel au sien des Dreamseekers (chercheurs de rêves) avec Jean-Marc Foltz, Benjamin Moussay, Arnault Cuisinier, ou pour une prochaine Transformation puisque c'est sur ces mots que nous nous sommes quittés, mais Alexandra sera cette fois au ténor...

mardi 17 avril 2012

La question du moment


Le premier jeudi de chaque mois l'écrivain et compositeur Jacques Rebotier tient sa Revue de presse sur la scène du Triton (Les Lilas), en duo avec un musicien. Depuis février, il a affiné ses rencontres avec le clarinettiste multi-instrumentiste Louis Sclavis, la chanteuse Élise Caron, l'altiste Guillaume Roy ; la contrebassiste Joëlle Léandre le rejoindra le 3 mai et je terminerai la série le 7 juin, entre la présidentielle et les législatives. Entre temps, mois après mois, Catherine Robert et Pulchérie Gadmer demandent à des écoliers ou des lycéens "quelle est la question du moment ?" Celle qu'ils choisissent fait ensuite l'objet d'un atelier graphique avec David Nolan et des écoliers d'autres classes. Tout est filmé par Corine Dardé et son montage est projeté à la séance suivante après que deux élèves du Conservatoire des Lilas, chaque fois différents, en aient composé la musique, avec mon aide. Un petit résumé de l'épisode précédent, filmé en public, est également inséré dans la soirée.


Jacques Rebotier tient sur Internet Le Théâtre des Questions, il découpe les journaux qu'il a compilés, sur le plateau il les commente en musique. D'autres enfants se demandent toujours quelle est "La question du moment" ?


Et, mois après mois, les questions fusent pendant que la campagne électorale bat son plein : Quand vais-je récupérer ma DS ? Sommes-nous envahis par les marques ? Vais-je déménager demain ? Quel avenir pour le monde ?...


Pour les séances d'enregistrement de la musique nous analysons le film et le structurons. Un accompagnement léger pendant que les jeunes cherchent leurs mots, plus de franchise pendant le travail graphique. Les deux musiciens trouvent de petites astuces que leur soufflent les graphistes en herbe interprétant avec malice la question. Ils mesurent. À l'instinct. La musique est enregistrée sans regarder le film monté pour être ensuite calée à l'image. Rien n'a été écrit. Tout est improvisé. Ils participent au mixage. La bande-son s'envole aussitôt par la magie du Net...


Tous les musiciens ont joué le jeu. Une chanteuse d'abord. Un second chanteur et une flûtiste. Un clarinettiste et un batteur. Enfin un pianiste et une joueuse de steel drums. Ils ont parfois pris le contrepied des images proposées, composant en confrontant les images et les sons, déplaçant de quelques dixièmes de seconde un élément pour s'apercevoir qu'au delà du rythme le sens pouvait varier au moindre écart. La seule règle qui prévalut pendant toutes les sessions fut de les mettre à l'aise et de trouver quel angle d'approche leur convenait, tant techniquement que humainement. L'histoire de la musique.

lundi 16 avril 2012

Le grand réinventaire, mercredi au Triton


Les mots choisis dans l'abécédaire vidéo du Grand Réinventaire ont inspiré une passionnante assemblée de contributeurs qui s'expriment sur la version en ligne ou seront présents à son lancement ce mercredi 18 avril au Triton (Les Lilas) à 20h. Chaque fois que l'on clique sur le titre de la série, de nouveaux concepts s'inscrivent sur l'écran tissant un réseau de sens dans le mot à mot généré aléatoirement. À quel point faudrait-il être intoxiqué par la télé pour ne pas voir des militants du Front de Gauche derrière cette initiative fort productive ? Remarque faite après notre test télévisuel annuel, une chaîne publique où le temps de parole est minuté pour les candidats, mais pas pour les commentateurs à la botte du futur ex-président...
Se succèdent ou se répondent ainsi au hasard du tirage : Clémentine Autain*, Corinne Morel-Darleux, Marie-George Buffet, Henri Peña-Ruiz, Gérard Mordillat, Kazem Shahryari*, Alain Foix*, Robyn Orlin, Moclès Chateigne, Pascal Colrat, Elisabeth Tambwé, Mylène Stambouli*, Air Scrool*, Monique Pinçon Charlot & Michel Pinçon, Nicolas Frize*, Marie-Laure Brival, Henri Lelièvre, Roland Gori, Bernard Stiegler, Jacques Rebotier*, Eric Alt, Délou Bouvier*, Paul Jorion, Guilhem Brouillet, Élise Caron*, Hervé Kempf, Sidi Mohammed Barkat, Dominique Plihon, David Flacher, Denis Vicherat, Gilles Perret, Henri Morandini, David Lescot, Patrick Viveret, Sébastien Marchal*, etc. (* présents à la soirée)


Les réalisateurs Alain Siciliano* et Raymond Macherel* m'ayant proposé d'accompagner musicalement la soirée au Triton, je converserai instrumentalement avec mes camarades Antonin-Tri Hoang* (sax alto, clarinette, clarinette basse) et Ève Risser* (piano, flûte, tourne-disques). Pour répondre du tac au tac j'apporterai un drôle d'instrument électronique, le Tenori-on, et quelques objets acoustiques (trompette à anche, guimbardes, harmonica, sanza). Les interventions musicales constitueront des ponctuations, sérieuses ou humoristiques, pertinentes et impertinentes, qui permettront aux participants et au public de se détendre et, parfois, de plonger au cœur même des concepts qu'évoquent les mots déclinés par les personnalités interrogées. Des ponctuations minuscules à des intermèdes ne dépassant jamais trois minutes permettront de se concentrer sur les idées développées tout en donnant à la soirée une forme inédite et inventive.
Les citoyens passionnés par les idées du Front de Gauche sont en droit d'attendre autre chose qu'une soirée plan-plan. Il faut les surprendre sur tous les tableaux. La révolution doit aussi se faire dans les formes. C'est à cette condition que nous changerons véritablement nos manières de vivre et de penser.

vendredi 13 avril 2012

Chichi Biguine, rencontre de deux obsédés sexuels


Malgré les 700 planches, carnets, revues, objets exposés au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris jusqu'au 19 août, l'énorme rétrospective consacrée au dessinateur Robert Crumb n'offre qu'une seule œuvre créée pour l'occasion, Chichi Biguine. Frédéric Durieu propose à Crumb d'animer une danse copulatoire entre Angelfood Mc Spade et Mr Natural, deux marionnettes à découper et assembler réalisées en 1970. Quarante ans plus tard, Frédéric Durieu redécoupe les personnages à sa manière, respectivement 30 et 50 pièces articulées, et les fait se trémousser sur du code informatique. Grâce à son logiciel PuppetTool, les calculs s'effectuent en temps réel et les deux personnages s'animent, interagissent et délirent salement jusqu'à l'improvisation sans que Crumb n'ait rien d'autre à ajouter que le décor où ils évoluent.

Lorsque je travaillais avec Fred sur le CD-Rom Alphabet puis sur maintes collaborations pour le site lecielestbleu.org je suggérai que l'animation par code recèle un potentiel inimaginable en regard du traditionnel image par image, quelle que soit la technique classique ou moderne utilisée. Car l'algorithme permet de créer une infinité de comportements sans que l'on ait eu besoin de les penser en amont et de les figer selon un story-board pré-établi. Certes la programmation est fastidieuse, mais, astucieuse, elle permet d'animer les personnages comme on le ferait avec des marionnettes. L'interactivité proposée au Musée d'Art Moderne est assez sommaire, les visiteurs étant invités à se dandiner devant l'écran où la scène est projetée le temps d'une biguine en 78 tours. Une caméra capte l'intensité de leurs mouvements entraînant Mr Natural à toujours plus d'audace jusqu'à envoyer Angelfood Mc Spade au septième ciel, orgasme kaléidoscopique soulignant que Crumb inventa la plupart de ses personnages en 1966 sous l'effet du LSD !


Robert Crumb et Frédéric Durieu étaient faits pour se rencontrer. Les deux nouveaux amis partagent en effet un goût prononcé pour les fantasmes sexuels. Il y a quinze ans Fred et moi imaginions créer des œuvres érotiques interactives, mais le marché mafieux nous en dissuada rapidement ! Cette fois, l'occasion était trop belle, d'autant que, l'ombre ambiguë sur le visage de Fred en témoigne, il a maintenant sa propre Angelfood pour veiller sur lui comme Crumb a son Aline avec laquelle il dessine des histoires depuis 35 ans à quatre mains, leur Parlez-moi d'amour ! exposé aux côtés des œuvres de jeunesse, Zap Comix, Actuel, Weirdo, les pochettes de disques dont le célèbre Cheap Thrills ou Les Primitifs du Futur, son Kafka (article 29/3/2007), sa Genèse, jusqu'au film de Terry Zwigoff (article 11/08/2007) qui en dit long sur la névrose familiale des trois frères Crumb.

La collaboration de Crumb et Durieu a tout d'un conte de fée. En 2009, Durieu expose ses grandes photos à poil sur métal brossé dans une galerie de Sauve au pied des Cévennes, croisement entre des images récupérées sur le Net et ses propres poils pubiens. Aline Kominsky-Crumb arrive à faire sortir son mari de son antre pour le vernissage de Hair-Suit. Durieu ne pouvait rêver mieux qu'une collaboration avec l'une de ses idoles, Crumb entrevoit les possibilités inouïes qu'offrent les pantins animés algorithmiquement. Les deux amis se retrouvent sur les bords de la Vis où Durieu mène la vie de château. En hommage à la compagne martiniquaise du matheux qui lui rappelle Joséphine Baker, son inspiratrice initiale, Crumb extrait quelques biguines de sa collection de 6000 soixante-dix-huit tours. Six d'entre elles accompagnent le ballet frénétique de Chichi Biguine.

Le Musée publie le très beau catalogue R. Crumb de 240 pages (30 euros) qui réfléchit toutes les facettes d'une œuvre qui a marqué son époque. Quant à Chichi, il faudra attendre encore un peu pour pouvoir en jouir chez soi à sa guise !

jeudi 12 avril 2012

Bad Boy Bubby & Co


Je ne me souviens pas toujours comment j'ai l'idée de choisir tel ou tel film. Je rassemble ceux que je n'ai pas encore vus sur un disque dur amovible à brancher sur le mediaplayer relié au projecteur ou je les expose devant les tranches de ceux qui sont classés par genre. Au bout de quelques semaines les titres ne me disent plus rien et je suis obligé de zapper quelques minutes, de lire les jaquettes ou de chercher sur Wikipédia. Le soir je cherche un film qui convienne à mes invités, questions de langue, de sous-titres et de genre évidemment. Je garde les pires pour les moments de solitude et les meilleurs pour les regarder avec ma compagne. Du moins ceux que j'imagine bons ou que je ne tente que par curiosité malsaine.

Comme Kay comprend mal le français, j'ai testé des films anglophones. Nous avons tenu un quart d'heure devant Terri d'Azazel Jacobs, fils de Ken, le sirop musical engluant les bons sentiments dans un sucre écœurant. Kay a craqué devant la mauvaise copie sous-titrée de Lumière d'été de Jean Grémillon, mais heureusement Françoise et moi avons tenu bon. Depuis quelque temps nous nous faisons un festival Grémillon, cinéaste que je tiens à l'égal de Jean Renoir et que Paul Vecchiali porte au pinacle dans son récent ouvrage L’Encinéclopédie. Cinéastes "français" des années 1930 et leur œuvre. En plus des rapports de classe toujours remarquablement traités, les portraits de femmes sont d'un féminisme rare pour l'époque. Le ciel est à vous (1943, donc plein de sous-entendus) ou L'amour d'une femme (1954, son dernier long métrage) sont deux chefs d'œuvre de cette sensibilité. Comme nous avons déjà vu Gueule d'amour l'été dernier, il nous reste encore à voir ou revoir La Petite Lise, Daïnah la métisse, L'Étrange Monsieur Victor, Remorques, Pattes blanches et L'Étrange Madame X dont j'ai réussi à trouver des copies parfois remasterisées.


La surprise est venue de Bad Boy Bubby (1993) dont nous ignorions tout. Film hors normes, drôle et provocateur, profond et renversant, il nous surprend sans cesse, autant par son imagination que par les émotions qu'il suscite. Sans le déflorer, je le comparerai à un Enfant sauvage en mode urbain style Tueurs de la lune de miel, version trash d'Edward aux mains d'argent filmée par John Waters, monstre révélant l'humanité de son concepteur, le cinéaste Rolf de Heer. Le tournage est à la hauteur du scénario, 32 directeurs de la photographie se succédant pour chaque nouveau lieu que Bubby découvre, avec piste son enregistrée à l'aide de deux microphones binauraux cachés dans les oreilles de l'acteur Nicholas Hope ! Comme nous sommes épatés, je vais à la pêche et rapporte dix autres films du cinéaste australien qui semblent tout aussi prometteurs, du moins dans leurs concepts : Encounter at Raven's Gate (1988) et Epsilon sont deux films de science-fiction, Miles Davis joue l'un des principaux rôles de Dingo (1991), The Quiet Room (1996) évoque l'effondrement d'une famille à travers le regard d'une fillette, Dance Me to My Song (1998) conte l'amour d'un homme pour une tétraplégique, The Old Man Who Read Love Stories (2001) est tourné dans la jungle de la Guyane française, The Tracker (2002) est un western dans l'outback australien, Alexandra's Project (2003) est un drame qui dérange, Ten Canoes (10 canoës, 150 lances et 3 épouses, 2006) est un conte aborigène ni reportage ni fiction dansant sur la couleur et le noir et blanc, Dr Plonk (2007) est un burlesque entièrement muet, Twelve Canoes (2008) se savoure interactivement sur Internet...

mercredi 11 avril 2012

Jazz en appartement


Comment vivre de son art lorsque l'on est musicien de jazz ? Il faudrait jouer tous les soirs pour avoir un salaire décent. Les diplômés du Conservatoire jouent dans des clubs en passant le chapeau. Dans certains lieux bien équipés ils reçoivent 120 euros net, c'est Versailles. Les festivals offrent de meilleurs tarifs. La paie est liée à la jauge de la salle. Il faut accumuler 43 cachets isolés sur dix mois et demi pour pouvoir prétendre au statut d'intermittent du spectacle. C'est difficile. Beaucoup sortent du système. Certains choisissent l'enseignement pour arrondir leurs fins de mois ou plus prosaïquement pouvoir croûter. Lorsque les subventions ne concernent pas directement les artistes, elles permettent aux lieux de diffusion d'exister. Ils ne sont pas légion. Alors on invente de nouveaux modèles. Et puis, si l'on a choisi d'être artiste, on est d'abord guidé par sa passion. Un luxe de faire ce qui vous plaît. Jouer en appartement, payé, défrayé ou simplement invité, est devenu courant. Pour le plaisir d'offrir un moment privilégié. Pour l'amour de l'art et le désir de partager.
Vendredi soir, cela se passait "chez Thérèse". La maîtresse de maison possède un piano à queue. L'orchestre avait apporté la batterie et ses instruments. En première partie jouait Louis Laurain. Performance hors du commun. Le trompettiste base tout son travail sur le souffle, pas la respiration, mais le son du vent dans les tuyaux de sa trompette. Le moindre bruit parasite devient percussion. Laurain démonte sa trompette, retire les coulisses, claque la soupape, tape les pistons, replace l'embouchure, met la sourdine. La respiration continue permet de contrôler la longueur de ses phrases. Exercice virtuose très émouvant. Une prouesse contemporaine mettant les muscles à contribution. C'est si rare qu'une pièce de trompette solo m'enchante. Anthologique.


Après les amuse-gueules de l'entr'acte, le quartet Novembre se déchaîne. C'est très écrit sans perdre la fougue de l'instantané. Les compositions sont essentiellement du saxophoniste alto Antonin Tri Hoang et du pianiste Romain Clerc-Renaud. Ils sont accompagnés par Thibault Cellier à la contrebasse et Elie Duris à la batterie. Si leur musique est très personnelle, certains passages saluent de loin les débuts de Carla Bley, le cri d'Albert Ayler ou les inventions harmoniques d'Ornette Coleman. Hoang a adapté quelques pièces d'Aéroplanes, son duo avec Benoît Delbecq. La musique est sculptée dans la masse. Les silences succèdent aux agrégats. Après toute cette vitalité, nous parlons politique avec les jeunes spectateurs. Nous avons de moins en moins besoin de convaincre les futurs électeurs, presque tous voteront Mélenchon. La musique du changement.

mardi 10 avril 2012

Quatre films d'un autre monde


La World Cinema Foundation a été "créée dans le but d’aider les pays en développement à préserver leurs trésors cinématographiques, (...) consolider et soutenir le travail des archives internationales, en offrant une aide aux pays qui ne possèdent pas les infrastructures techniques ni les ressources d’archivage nécessaires pour faire ce travail eux-mêmes." Elle publie aujourd'hui quatre films du patrimoine mondial sous l'égide de Martin Scorsese.

Transes (El Hal) (1981) du Marocain Ahmed El Maanouni est un documentaire exceptionnel sur Nass El Ghiwane, un groupe de musiciens marocains formé dans les années 70, dont les concerts mettent les foules en transe. Ahurissant. Nous les suivons sur scène et dans leur vie quotidienne, entrecoupés de documents d'époque retraçant l'histoire récente de la décolonisation. S'accompagnant aux gumbri, bendir, darboukas et un banjo sans frettes, les quatre compères chantent la résistance et leur attachement à leurs racines retrouvées, berbères et gnaouas, de la poésie du Melhoun et du théâtre dont ils se réclament. Le film est passionnant, les personnages attachants, la musique hypnotique.

Les Révoltés d’Alvarado (Redes) (1936), premier film de Fred Zinneman, cosigné avec Emilio Gómez Muriel, préfigure le néo-réalisme italien tout en assumant sa filiation avec Robert Flaherty. Pour ce nouveau chant de résistance, cette fois des pêcheurs mexicains en lutte pour leurs salaires, tous les acteurs sauf un sont des amateurs, souvent jouant leur propre rôle. Les images admirables de Paul Strand et la musique de Silvestre Revueltas participent à cet envoûtement où le documentaire flirte encore plus explicitement avec la fiction.

En regardant l'étonnant Le Voyage de la hyène (Touki-Bouki) (1973) du Sénégalais Djibril Diop Mambety (frère aîné de Wasis Diop), j'en viens à penser que Scorsese est un agitateur révolutionnaire lorsqu'il soutient les autres cinéastes alors que depuis vingt ans il se laisse formater par le clacissisme du cinéma dominant lorsqu'il dirige lui-même ! Par son montage inventif, sa bande-son contrapuntique, sa poésie brutale et son humour provocateur, le cinéaste filme le rêve de deux jeunes nomades décidés à partir en France coûte que coûte. Anta, jeune fille des quartiers pauvres de Dakar, et Mory, gardien de troupeau, préfigurent les milliers d'émigrés qui s'échouent sur les plages du sud de l'Europe ou se noient avant de les atteindre.

La Flûte de roseau (Mest) (1989) du Kazakh Ermek Shinarbaev évoque la tragédie de la diaspora coréenne en images somptueuses mais prévisibles, accompagnées d'une ensorcelante partition du compositeur Vladislav Shute ; je reste hélas peu sensible au cinéma contemplatif et sentencieux. De plus, les histoires de vengeance m'ennuient. Cette œuvre pourra néanmoins combler les amateurs de Tarkovski et de fables asiatiques. Là aussi, le quotidien croise la poésie. Comme pour les autres films le bonus éclaire le film intelligemment, ici un entretien avec le réalisateur.

Ces quatre films, augmentés de La servante (Hanyo) (1960) du Coréen Kim Ki-young et le remake de son compatriote Im Sang-soo (2010), ainsi que La loi de la frontière (Hudutların Kanunu) du Turc Lüfti Ö Akad, sont également diffusés sur les chaînes Ciné+ Club et Ciné+ Classic du 8 au 27 avril. Le coffret DVD, volume 1 d'une nouvelle collection chez Carlotta, sort le 18 avril.

lundi 9 avril 2012

Crazy Clown Time


Ce n'est qu'à la deuxième écoute que le premier disque solo de David Lynch accapare mon attention. J'avais cru entendre de l'électro-pop ou quelque trip hop à la Massive Attack alors que ce sont d'originales miniatures sonographiées où le réalisateur incarne un personnage différent pour chaque chanson. L'album s'ouvre sur Pinky's Dream avec la chanteuse Karen O, tous les autres morceaux étant interprétés par Lynch s'accompagnant à la guitare, au synthé et aux percussions, secondé par l'ingénieur du son Dean Hurley à la batterie, plus guitare, basse, synthé, orgue Hammond et programmation. L'ensemble, réalisé lors de diverses expérimentations en home studio, n'a été nullement envisagé pour la scène. J'avais été freiné par le second index, Good Day Today, banale house vocodée, mais dès le troisième, So Glad, une mayonnaise sordide vous attrape et ne vous lâche plus. Au quatrième, Noah's Ark, on identifie parfaitement l'univers lynchien développé dans ses films, un truc lugubre, susurré, avec une pédale monotone insidieuse et un rythme lent ou cardiaque que l'on retrouvera sur Football Game où le réalisateur chante comme s'il avait une patate chaude dans la bouche, quasi débile, comme sur I Know. Le tempo s'accélère sur Strange And productive Thinking avec un effet monotone du vocoder que le texte justifie cette fois pleinement. Retour à la rythmique pesante avec l'instrumental The Night Bell With Lightning et nouvelle accélération pour Stone's Gone Up. On arrive ainsi à Crazy Clown Time qui donne son nom à l'album.


Le clip vidéo dirigé par le réalisateur illustre mot à mot les paroles, mais quelques sons semblent avoir été ajoutés pour le film, à moins que la version audiovisuelle fasse ressortir des détails qui m'avaient échappé. Il en fourmille en effet des quantités tout au long de l'album. Si les cinéastes ont l'habitude de charger inutilement leur mixage avec de la musique redondante, la démarche inverse consistant à ajouter des sons à la version discographique pour transformer une chanson en court métrage dramatique est toujours passionnante. Les délires plaintifs du Lynch nasal se perpétuent sur These Are My Friends, Speed Roaster, Movin' on et She Rise Up sans rien apporter de nouveau à la compilation. Le bel objet graphique qui habille le disque reflète l'hermétisme glauque du cinéaste devenu ici compositeur d'une musique envoûtante. (Sunday Best Records, dist. Universal)

vendredi 6 avril 2012

La culture, point faible du Front de Gauche


Alors que depuis le début de l'année nous avons été impressionnés par la quasi totalité des meetings et entretiens avec Jean-Luc Mélenchon, son intervention sur la culture nous a déçus. Au Bataclan, le candidat du Front de Gauche récita maladroitement les propos du programme rédigé par un collectif sans que l'on retrouve sa faconde ni son esprit d'à propos. Il n'était là, de son propre aveu, que leur porte-parole. Si le mot d'ordre "L'humain d'abord" ou les projets pédagogiques et sociaux sont des propositions justes et importantes, il manque un aspect déterminant de la culture, l'imagination.
Alors que les vendredis à l'Usine, son quartier général de campagne aux Lilas, voit défiler des genres musicaux très différents, les artistes choisis par son équipe de communication pour ses meetings sont, par exemple, presque tous issus des variétés. Si l'on désire un véritable changement, il faudra bien arrêter de coller à une programmation ressemblant fortement à ce qui passe à la télé et sur la majorité des chaînes radiophoniques, même si les paroles sont ici "de gauche" ! Et quelques opportunistes de se faufiler sur les podiums pour incarner la culture dite populaire, cela en devient carrément écœurant. Regardez quelle major les produit, c'est tout dire.
Le fond est pourtant intimement lié à la forme. Il est absolument indispensable de revaloriser les avant-gardes pour transformer le ron-ron ambiant imposé par les marchands en pleine déconfiture. L'invention existe dans tous les domaines artistiques, au théâtre, au cinéma, dans la littérature, les arts plastiques, la musique, les nouvelles technologies, les arts de la rue, etc. Or elle est cruellement absente du programme du Front de Gauche. En musique, c'est ce que je connais le mieux, il existe actuellement en France dans tous les domaines un creuset d'artistes qui explosent le cadre plan-plan qu'impose les multinationales : rap, rock, jazz, musiques improvisées, musiques du monde, contemporain, et combien d'innommables... À convoquer les figures du passé on est loin du temps où Thomas Sankara demandait à Jean-Luc Godard d'imaginer la télévision burkinabè ! Comme l'exprimait justement JLG, "la culture c'est la règle, l'art c'est l'exception." Hors des rails vibre l'exceptionnel. Le programme culturel du Front de Gauche n'est que de culture et néglige l'aspect artistique, chaos bouillonnant sur lequel se construit une société.
Nous attendions plus de chambardement dans ce domaine que notre candidat préféré situe au centre-même de son programme. En cela il ne se trompe pas. La culture porte bien son nom, racines des civilisations, qui lorsqu'elles les arrachent, accouchent des pires barbaries. Il serait temps de profiter de l'élan extraordinaire insufflé par Mélenchon pour faire aussi la révolution dans le monde de l'imagination. Le rêve est indispensable, il est vital. Si tout le monde doit avoir accès à la culture, il faut sortir de la marge les artistes les plus pointus, leur donner les moyens de promouvoir leurs recherches, créer partout des laboratoires en liaison avec le plus grand public possible. Il faut arrêter de flatter l'industrie aux mains des multinationales, échapper aux modèles esthétiques anglo-saxons. Il faut intégrer toutes les communautés sans les parquer ni perdre leurs spécificités. Il faut que repoussent en France et en Europe cent fleurs, car art et culture exigent aussi une révolution si nous voulons créer un monde nouveau qui nous sorte des sempiternelles répétitions, revivals, commémorations, alors que dans l'ombre brillent tant de lumières.

jeudi 5 avril 2012

Le courant est passé


Nous en faisions trop. Dès le premier album d'Un Drame Musical Instantané en 1977, certains auditeurs nous taxaient de coïtus interruptus. On nous accusait de zapper avant que le public ait eu le temps de s'installer. Notre soif d'invention les laissait sur leur faim. Combien de fois nous a-t-on conseillé d'ajouter une bonne rythmique à nos élucubrations protéiformes ! Emportés par la passion du laboratoire et l'excitation de l'inconnu, nous n'avons jamais voulu céder aux sirènes du succès. Cela ne nous empêcha pas de vivre de notre musique, mais nous n'avons jamais connu que des succès critiques, deux mètres de linéaire sur les étagères de nos archives au rayon presse. Entendre que nos fans s'y retrouvaient, mais qu'aucun succès populaire n'était envisageable.
Seuls les lapins de Nabaz'mob surent briser la vitre et rassembler tous les publics, sans que nous l'ayons d'ailleurs prévu puisque le spectacle avait été créé à l'origine pour une occasion unique. Dans les premiers mois Antoine Schmitt et moi nous demandions même ce que nous avions fait de mal pour que cela marche autant. Six ans plus tard l'opéra continue de tourner, à notre plus grande surprise.


Cette réussite, et d'autres que j'avais commises dans les domaines du multimédia (CD-Rom et sites Internet de création) ou du cinématographe, forçait mes interrogations. Cette ligne pure et dure de l'artiste contemporain manquerait-elle de générosité ? Lorsque nous désirons convaincre, nous nous donnons pourtant les arguments pour le faire. En écoutant les premières improvisations du trio formé avec Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino je retrouvai l'entrain du Drame des débuts, plaisir partagé de nous retrouver ensemble et d'inventer des formes, des alliages de timbres, des paysages sonores laissant libre cours à l'imagination de l'auditeur. Pour composer une chanson, la plupart des groupes pop ou électro se seraient contentés d'une seule des quinze idées esquissées dans chacun des morceaux de nos deux premiers albums. Suffisait-il de développer un climax pour caractériser chacune de nos pièces en la rendant plus abordable ? S'appuyer sur un texte concentre la théâtralisation, ce que j'appelle souvent le drame même lorsqu'il s'agit d'une comédie, et cerne notre imagination. Il est certain que mes disques de chansons, que ce soit Crasse-Tignasse pour les enfants ou Carton, rencontrèrent un succès plus large que les pièces instrumentales. La chanson donne un cadre au sujet, canalisant la digression dont nous sommes friands.


C'est ainsi qu'est née la musique de El Strøm, après un an de gestation. Le premier concert donné samedi dernier au Triton a confirmé nos choix. Même si elles sont bien barjos, nos chansons ont su séduire le public que l'on devrait écrire au pluriel tant la salle était bigarrée. Hélène Collon me sussura qu'elle n'avait jamais entendu autant de langues différentes dans cette salle. Je crus comprendre qu'il s'agissait de celles qu'emploie Birgitte sur scène alors qu'elle évoquait l'espagnol, l'italien, l'anglais, le danois, le suédois, l'arabe, etc., des spectateurs ! Alors voilà, nous avons des chansons servies par une voix exceptionnelle, des rythmes composés aux petits oignons par Sacha, des instruments extraordinaires excitant la curiosité du public, des mélodies poignantes, une bonne dose d'humour qui fit se tordre la salle, mais encore faut-il trouver des lieux où reproduire le miracle ! Je n'ai plus la patience à faire la prospection nécessaire pour multiplier les petits pains. Le salaire des concerts n'est plus non plus un argument motivant. Seul l'enthousiasme de notre équipe pour notre travail me forcerait à commettre cette douloureuse acrobatie qui consiste à téléphoner aux programmateurs de salles et festivals. En attendant, nous n'avons rien trouvé de mieux que de mettre en ligne nos premiers pas sur le site El Strøm, cinq chansons filmées par Françoise, les trois albums en écoute et téléchargement gratuits, quelques photos et l'irrésistible envie de jouer, jouer encore et toujours, comme si c'était la première fois, ou la dernière.

mercredi 4 avril 2012

Paris, un contre un


Je pensais être capable de marcher "sur les pas de Céline", mais j'ai dû écourter la promenade du DVD Paris Céline, excédé par la gouaille forcée de Lorànt Deutsch. Si Louis Ferdinand Céline est l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle avec Louis Aragon, leurs points de vue politiques réciproques ont souvent écarté maint lecteur. Les documents d'époque cités sont toujours passionnants, mais les singeries langagières du commentateur arpentant les lieux céliniens de Paris ne font pas style pour autant. Peut-être suis-je de mauvaise foi, le fond rejoignant la forme, car j'ai du mal à suivre les fans de Céline lorsqu'ils penchent vigoureusement à droite. Pour l'auteur du film, Patrick Buisson, le handicap est carrément extrême, puisqu'il dirigea Minute et Le Crapouillot et collabore avec Sarkozy en le conseillant, entre autres, sur la création du ministère de l'Identité nationale. Je m'en veux même de lui faire de la publicité en citant son nom, mais de toute manière le documentaire réalisé par Guillaume Laidet est rasoir. Mieux vaut se tourner vers Céline vivant, un DVD bouleversant et autrement plus stylé, également publié par Les Éditions Montparnasse.

Quant à Paris, on se rattrapera aisément avec un troisième DVD du même éditeur, une suite d'images cadrant, entre autres, l'époque de mon enfance, émotions fidèles comme en produit aussi Le ballon rouge de Robert Lamorisse. On n'imagine jamais à quel point la France d'avant 1968 était grise, sans couleurs psychédéliques ni rouge et noir. Tout en nuances de gris, les photographies noir et blanc de Robert Doisneau tout simplement forment un kaléidoscope aussi puissant que tendre. Dans le film de Patrick Jeudy, le photographe commente ses clichés en voix off, dispositif simplissime et hyper-efficace, sans autres fioritures que la tendresse et l'humanité qui s'en dégagent. En marge du film, les 700 photos sont réunies en séquences thématiques, sans leur commentaire, exposant la justesse du regard et son intelligence. Comme sur une valse musette on se laisse porter par les images des usines Renault et de la banlieue, des anciennes Halles et des bistrots, de la Libération de Paris et de célébrités comme Prévert, Léautaud, Picasso et tant d'autres, de la mode qu'il critique et des baisers qu'il met en scène. J'aime particulièrement la série de la boutique de Romi où est exposé la tableau d'une femme nue avec les passants derrière la vitrine. Jusqu'à la fin de sa vie en 1994, Robert Doisneau a photographié les enfants de son quartier de Gentilly, comme me le racontaient mes nièces lorsqu'il venait à chaque fête de leur école.

P.S. : jusqu'au 28 avril Exposition Doisneau, Paris Les Halles à l'Hôtel de Ville (Salon d'accueil de la Mairie de Paris), de 10h à 19h sauf dimanche, entrée libre.

mardi 3 avril 2012

L'utopie au Cube


Le second numéro de La Revue du Cube, consacré à Territoires numériques, nouvelles cités de l’utopie ?, est composé de perspectives (Gilles Clément interrogeant nos pratiques expansionnistes, Claudie Haigneré promouvant l'apprentissage, Emmanuel Mahé décortiquant l'imaginaire, Marie-Anne Mariot inventoriant l'arsenal des utopies pour en choisir les plus généreuses), d'un débat en direct ce soir à 20h30, d'un panorama du Web, d'une sélection de livres et de points de vue de Nils Aziosmanoff, Serge Soudoplatoff, Hugo Verlinde, Jacques Lombard, Pierre De la Coste, Vincent Lévy, Agricola de Cologne, Karen O'Rourke, Yann Minh, Christian Globensky, Jean-Gabriel Ganascia et moi-même, reproduisant ici ma modeste contribution alors que la candidature de Jean-Luc Mélenchon laisse entrevoir de nouvelles perspectives que je n'imaginais pas lorsque j'écrivais ce texte intitulé ¡Vivan las utopías!, nom d'une des chansons d'Un Drame Musical Instantané...

J’ai la chance d’appartenir à une génération élevée au biberon des utopies. Nous avons cru faire la révolution, nous avons seulement réformé les mœurs. D’une seule voix nous avons crié notre révolte contre l’exploitation de l’homme par l’homme, comprenant que le changement ne se ferait jamais par les urnes. Et chacun dans notre coin nous avons imaginé de nouveaux mondes qui furent rapidement convertis en art. Que l’on choisisse alors les barricades ou les fleurs, les pavés découvraient la plage. La réaction fut brutale, insidieuse, mensongère, diffamatoire. D’un côté, on impute régulièrement à mai 68 ce qui ne fut que la réponse du Capital, de l’autre, les marchands s’emparèrent de la poule aux œufs d’or et trahirent la passion qui animait une jeunesse montrant les dents ou s’époumonant. De là naquirent aussi les rêves de jeunes informaticiens qui allaient révolutionner les usages, croquant la pomme et dispensant leurs utopies au monde entier.
Comme à la première question de la Revue du Cube, je réponds d’abord que les nouvelles technologies ne sont que des outils, et qu’à la liberté qu’elles nous offrent répondent aussitôt le commerce dévoyant des voyous, les services civiques de l’institution et les tentatives de mainmise du pouvoir. Lorsque la résistance s’est installée, on légifère, on flique, on confisque, on punit, parfois l’on tue. On tue plus souvent que nous ne le percevons, mais les rebelles s’organisent chaque fois pour réinventer de nouveaux espaces de création et de liberté, avant qu’elles ne deviennent surveillées.
Chaque nouvel outil est un jouet entre les mains des créateurs. À nous d’en faire une arme contre le crime organisé, la manipulation de masse, le cynisme et le défaitisme. Tant qu’il restera ne serait-ce qu’une seule brindille de braise l’espoir de voir le feu reprendre sera légitime. Plus que jamais toutes les forces sont nécessaires pour faire naître de nouvelles utopies.
Je terminerai par la chanson ¡ Vivan las utopias !, que j’ai écrite avec Bernard Vitet en 1996 pour le magnifique double album Buenaventua Durruti (nato 3164-3244), et chantée par ma fille Elsa qui avait alors onze ans, puisque l’on dit qu’en France tout commence et finit en chansons :

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lundi 2 avril 2012

Pour la galerie


D'ange en danger il n'y a que l'air. En équilibre sur le mur de l'escalier, celui-ci s'emberlificotera-t-il les pinceaux ? Dévalera-t-il les deux étages sans pouvoir se rattraper ? Bourré de bonnes intentions, ivre peut-être, l'ange était venu nous murmurer que l'exposition d'Ella et Pitr à la Galerie Le Feuvre se terminera le 15 avril. Pour « Celui qui volait les étoiles pour les mettre dans sa soupe », ils ne vendent que des bouts de leurs grandes affiches, des recadrages entoilés, tandis que l'ensemble est offert au regard de tous, dans la rue. Le magnifique catalogue dévoile le processus. Il le dédicaceront samedi 7 avril de 13h30 à 18h00 en même temps que « La vieille qui faisait partie des meubles ».


Pendant ce temps notre ange se sera fait la malle sans se faire mal. On l'aura vu se promener sur les quais, toujours aussi maladroit. Il n'y est déjà plus, même si la photo fait foi, deux fois même, c'est certain. Il sera rentré au bercail...


C'est un garçon, clament des amis prêts à gentiment se chamailler pour un oui, pour un nom difficile à trouver. On n'accouche pas d'un ange tous les jours. Il faut savoir savourer son plaisir. S'accorder. Ella et Pitr mettent tout le monde d'accord. Malins. Ah ce que c'est beau, l'amour !