Quelle honte ! Libération fait sa une d'hier sur Marine Le Pen en annonçant qu'elle pourrait créer la (mauvaise) surprise du premier tour des élections en faisant un score supérieur à celui attendu. Sa photo pleine page, contreplongée à la Mussolini, m'agresse dès potron-minet, cette livraison matinale par porteur devenant l'unique raison de rester abonné au quotidien que je feuillette aussitôt dans mon bain. Comment analyser la publicité faite à l'extrême-droite et l'entreprise systématique de dénigrement contre le candidat du Front de Gauche qui doit vraiment en avoir marre de devoir répondre sans cesse à des mesquineries de comptoir quand les candidats principaux ont des casseroles ressemblant plutôt à des cocottes-minute ?
Placarder Le Pen en pleine une, c'est faire sa pub, tous les journalistes le savent. Ils le font donc en connaissance de cause. Sarkozy en chute libre, la finance s'inquiète. Et si Hollande était mis en danger par Mélenchon ? L'idée fait frémir les actionnaires dont Édouard de Rothschild‎ représente à lui seul 38,87% des parts du journal. Alors on pilonne. En bas de page 3 nous avons même droit au sondage bidon publié par le Monde et dénoncé depuis par la Commission des sondages sur l'intention des jeunes à voter Le Pen. À croire que les journalistes de Libé ne lisent pas leurs confrères pour reproduire ce bobard. Le quotidien social-démocrate ne fait pas de politique, mais jongle avec les pourcentages supposés et la peur qu'ils inspirent pour vendre leur camelote. Quand je pense que l'on n'arrête pas de lire qu'il faut se méfier des informations sur Internet, je me marre en voyant comment se vautrent les professionnels de la presse papier. Que les dangers de la droite soient exprimés est juste, que Libération en fasse sa une glorieuse est une autre histoire. Elle s'explique pourtant très bien en abordant la lecture des pages suivantes.
Sur toute la page 9 François Hollande "craint une démobilisation des électeurs de gauche". Les 10 et 11 sont consacrées aux mensonges de Sarkozy prêt à tout "pour discréditer un adversaire". En 12 l'entretien avec Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière s'intitule "Je n'ai aucune confiance en Jean-Luc Mélenchon", comme si c'était son cheval de bataille ; dans quel panneau est-elle tombée ? En 13 une autre demi-page cette fois sur Eva Joly et son "Sarko Tour", un entrefilet sur Bayrou refusant catégoriquement d'envisager Matignon si Sarkozy repassait, il n'est pas assez fou pour aller se suicider contre rien du tout, et tout en bas l'évocation des manipulations "dénoncées" par "le candidat du Front de Gauche", ramassis d'attaques minables trouvées au fond des poubelles auxquelles Mélenchon doit perdre son temps à répondre face à tous les nervis du pouvoir qui officient à la télé et à la radio au lieu d'exposer son programme. Les journalistes qui se prêtent à cette mascarade ressemblent plus à des paparazzi qu'à des professionnels de l'investigation. Je croyais que leur rôle était d'information, suis-je naïf ! Depuis le début de la campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon est le plus attaqué des candidats, certes avec Eva July pourtant déjà assassinée par les camarades de son propre parti. Même à Médiapart, et malgré les justifications d'Edwy Plenel, les journalistes ménagèrent François Hollande comme s'il était déjà élu alors qu'ils furent beaucoup plus opiniâtres et agressifs avec les deux autres. Oui, Mélenchon fait peur. Il leur fait peur parce que le programme du Front de Gauche pourrait réellement changer le profil du monde en commençant par celui de la France, sachant que bien des pays européens pourraient lui emboîter le pas. Médiapart ménage ses e/lecteurs dont les opinions représentent évidemment l'éventail de ce qu'il est coutume d'appeler la gauche. Mais Libération sert ostensiblement les intérêts du candidat du Parti Socialiste en photocopiant sa stratégie consistant à miser sur la crainte d'un duel Sarko-Le Pen pourtant plus du tout envisageable aujourd'hui. J'ignore si Mélenchon pourrait se retrouver au second tour, mais il est certain que le Front de Gauche influera sur la politique future quel que soit le prochain gouvernement et que l'enthousiasme qu'il a engendré ne retombera pas de sitôt.
Et Pierre Marcelle dans tout cela ? Est-il parti de lui-même en vacances pendant la semaine qui précède le premier tour ou lui a-t-on conseillé ? En tout cas sa plume nous manque, il est l'une des rares raisons de poursuivre mon abonnement. Où qu'il soit, il doit fulminer en lisant le torchon que je viens de tremper dans la baignoire tant les bras m'en tombent devant tant de stupidité et de magouille électorales.