D'où vient cette manie de faire hurler la musique dans les fêtes ?
Si c'est pour se défoncer il y a des substances plus douces et plus rigolotes. Saturer les enceintes d'aigus stridents ne fait que déformer le son, rajouter arbitrairement des sub-basses relève d'une même logique de l'absurde. Cette surenchère a commencé avec la compression qu'impose le flux radiophonique, égalisation des niveaux supposée ne rien perdre des détails et aboutissant à une homogénéisation de toute la production musicale. Les oreilles des fêtards en prennent pour leur grade, mais les acouphènes n'apparaîtront fort douloureusement que des années plus tard. Si les lésions auditives sont irréversibles les extinctions de voix ne seront heureusement que passagères. Le plus étonnant est la faute de goût fondamentale que représente l'invasion totale et exclusive de tout l'espace. Car l'espace sonore submerge l'espace à proprement parlé et tout mode d'échange. La surenchère de décibels laisse croire qu'on en prend plein la vue et que tout le monde communie quand il ne s'agit que d'une uniformisation au rouleau compresseur. La communion factice ne fait hélas jamais office de communication. À l'instar des restaurants qui imaginent meubler le silence en faisant monter le bruit d'ambiance, le volume sonore empêche les conversations et les rencontres. Seuls les danseurs en transe y trouvent leur bonheur quand tous les autres convives subissent en silence un mutisme imposé. Il existe parfois un coin fumeur à l'écart où l'on attrape la crève parmi les courants d'air, ou la cuisine, si elle est isolée, où se réfugieront les plus critiques, soulagés de pouvoir échanger quelques mots.
Le mystère reste entier sur les raisons profondes de cette coutume contemporaine. Les DJ autoproclamés ne savent plus ménager temps forts et temps faibles, le bulldozer rappelle plutôt une offensive guerrière qu'une danse de séduction. Les morceaux langoureux et les nappes planantes sont réservées aux backrooms généralement inexistantes faute de place dans les soirées privées. Quand on n'a rien à se dire cette destruction systématique de l'échange, du conduit auditif et de la musique peut se comprendre. Nombreux convives se plaignent du gâchis, mais ne savent pas comment déroger à cette nouvelle coutume qu'aucun ne s'explique, que tous subissent, baillonnés par le volume assourdissant.