La même force émane de la pièce Illuminations d'Ahmed Madani et de l'installation Terres arbitraires de Nicolas Clauss, le portrait des hommes présents sur la scène et sur les écrans. De jeunes hommes issus de l'immigration, des hommes qui transpirent d'humanité, des hommes qui tombent le masque. Ce masque n'est pas le leur, mais celui que la société défaillante leur a collé sur le visage. Sans fard, Clauss et Madani font craquer les préjugés. En les regardant bouger sur scène, en scrutant leurs sourires projetés en grand, j'ai pensé aux sourires radieux des Haoukas à la fin des Maîtres fous de Jean Rouch. Le succès tient au réel. Le réel envahit les écrans de Terres arbitraires sous la direction du plasticien, il conquiert à son tour la performance-spectacle qui se joue au Théâtre de l'Épée de Bois jusqu'au 3 juin (Cartoucherie de Vincennes, sauf le lundi).


S'inspirant de l'installation vidéo immersive de Nicolas Clauss, le metteur en scène Ahmed Madani a écrit la pièce pour dix jeunes hommes du Val Fourré à Mantes-la-Jolie. Ils se nomment Boumes, Abdérahim Boutrassi, Yassine Chati, Abdelghani El Barroud, Mohamed El Ghazi, Kalifa Konate, Eric Kun-Mogne, Romain Roy, Issam Rachyq-Ahrad, Hassan Elbaz. Lorsque l'un d'eux confesse qu'il a la chance de ne pas ressembler à un Arabe ou à un Noir, il s'excuserait presque d'échapper au délit de faciès. Ce ne sont pas des comédiens amateurs, mais des habitants des tours qui se prêtent au jeu. La salle tombe sous le charme. Fondamentalement brechtien, le théâtre épique de Madani interroge les faux-semblants, tord le cou aux idées reçues et nous oblige à réfléchir autant à la vie qu'au théâtre. Le quasi anonymat de tous ces Lakhdar crée la distance nécessaire pour faire exister les hommes derrière les acteurs. La scénographie rappelle l'accumulation des moniteurs vidéo et les grands écrans de Terres arbitraires. On entre en effet d'abord dans une exposition, un quart d'heure d'introduction que l'on peut d'ailleurs admirer sans compter tous les après-midis de 14h à 18h (entrée libre).


Le soir, le spectacle commence dès que l'on a déchiré votre billet, mais vous n'en savez encore rien. Tout participe à la mise en condition, musique, lumière, énergie débordante des garçons qui jouent leur propre rôle. Un pan d'histoire de l'Algérie et de la France se déplie. Les citations, exploitées sèchement, font parfois verser le pathos dans la comédie musicale. La chorégraphie fait exister l'ombre et les flammes. S'il est un spectacle d'actualité, le voici ! Retour d'un théâtre du sens et du bon sens, utilisation intelligente et sensible des nouvelles technologies, et surtout "L'humain d'abord !"

Photos 1/2 © François-Louis Athénas - Photo 3 © Nicolas Clauss