Pendant des années j'ai défendu les instruments virtuels pour des raisons économiques. Lorsque le budget le permettait nous avions recours à un ensemble de musiciens, voire un orchestre symphonique, plutôt qu'à des clones électroniques. Certains projets le justifient encore, mais les avancées technologiques offrent des possibilités qu'aucune formation vivante ne permet. Quel compositeur n'a jamais rêvé de diriger un orchestre au doigt et à l'œil, mieux, d'entendre sa musique au fur et à mesure qu'il l'imagine ? Dans la vie réelle les deux sont impossibles à conjuguer. On peut toujours faire jouer des partitions, mais il est impossible d'improviser avec un gamelan au grand complet, un orchestre symphonique ou un big band de jazz. Aujourd'hui les instruments sont soigneusement échantillonnés par des virtuoses assistés par des ingénieurs du son chevronnés au point de créer l'illusion du vrai. Ce n'est évidemment qu'une chimère, car pour retrouver l'humanité du jeu il faut compter avec l'imperfection que la machine ignore. Sa programmation exige d'introduire quantité de petites erreurs ou de variations, on choisira le terme approprié selon sa propre approche philosophique. Les ensembles et certains instruments se prêtent mieux au subterfuge que d'autres. Si les claviers et les percussions supportent souvent la supercherie, la plupart des solistes ne sont pas prêts de perdre leur travail. N'essayez pas de remplacer un trompettiste ou un violoniste, vous courriez au massacre. Par contre les masses orchestrales offrent des alliages inédits que nos budgets en peau de chagrin ne permettent plus de créer à l'ancienne. Et, surtout, nous pouvons créer dans l'instant des sons qui nous étaient interdits jusqu'ici. On ne le répétera jamais assez, à chaque support correspond un type d'œuvre et chaque œuvre justifie tel ou tel choix d'outils.


Des applications informatiques telles UVI ou Kontakt sont des moteurs pour lesquels différentes sociétés fabriquent des instruments virtuels époustouflants. Les instruments de l'IRCAM et les jouets musicaux sont abrités par l'UVI Workstation tandis que Kontakt (Native Instruments) héberge quantité d'instruments étonnants, ensemble baroque, gamelan, Array Mbira, KIM, Morpheus, steel drum, piano préparé (SonicCouture), instruments du monde entier, pianos mythiques, etc. Si ces clones ont été échantillonnés d'après des instruments se jouant de manières fort diverses, ils ont l'avantage de pouvoir se jouer au clavier ou programmés par un séquenceur. Certains modes de jeu en deviennent accessibles ; par exemple, on ne pourrait autrement jouer des tiges d'un piano électrique EP73 à l'archet. Tous les mélanges sont possibles, le musicien bidouillant ses programmes comme il les entend.


Remercions ici les virtuoses qui ont enregistré chaque note de leur instrument pour les partager avec d'autres, pervertissant leurs outils comme il est souvent pratiqué en musique contemporaine, proposant quantité de modes de jeu que l'utilisateur peut régler à sa guise. Ainsi Thomas Bloch échantillonna son glass armonica mozartien, ses ondes Martenot, son cristal Baschet, le Birmingham Conservatoire livre ses clavecins, théorbes, psaltérions, le Keswick Museum son lithophone... Si aujourd'hui je peux faire semblant de jouer des ondes Martenot, je sais pourtant que rien ne vaudra jamais le plaisir de partager des instants musicaux avec Thomas comme lors de l'enregistrement de Nightmare avec Lindsay Cooper pour Sarajevo Suite à Londres en 1994. Plus je pianote sur ses merveilleuses machines folles en studio, plus je reviens vers les instruments acoustiques lorsque je me produis en concert !