Il y a un fossé immense entre aimer la musique ou les beaux objets et la collectionnite aiguë, apanage de nombreux mâles célibataires. On a pu le constater avec le livre de Nick Hornby, High Fidelity, et son adaptation cinématographique par Stephen Frears avec John Cusack et Jack Black. Vinylmania de Paolo Campana promu par le Disquaire Day n'en a hélas pas l'étoffe. C'est marrant pour les fétichistes qui partagent la même passion, mais on n'apprend pas grand chose. Aucune étude scientifique sérieuse sur la différence entre analogique et numérique, aucune présentation de belles pochettes et il en existe pourtant d'historiques, plus intéressantes que celle d'Abbey Road, aucune analyse expliquant pourquoi les majors ont "menti" sur les qualités du CD et quelle est la réalité, aucun entretien avec de jeunes musiciens préférant revenir au vinyle, etc. Juste le beau timbre vocal du réalisateur italien arpentant la planète pour rencontrer des collectionneurs qui répertorient le nombre de disques en leur possession. La seconde galette (numérique !) de ce double DVD recèle néanmoins quelques pistes absentes du film. Il faudra donc continuer à creuser son propre sillon pour comprendre ce qui attire aujourd'hui les fondus du vinyle.


Lorsque j'étais petit il y avait encore des 78 tours à la maison. Chaque face ne pouvait restituer que quelques minutes, une ou deux chansons. Trop lourds à déménager, je me suis débarrassé de la majorité d'entre eux le siècle dernier. Mon père, dans sa période "critique", recevait des vinyles pour la jeunesse, 45 tours 17cm et 33 tours 25 et 30cm. Ces évocations "radiophoniques" ont bercé mon enfance et influencé plus tard mes compositions musicales. À 9 ans je gagnai mon premier disque, Les Touistitis de Paris, à un concours de twist à La Baule, organisé par France Inter. Claude François à l'Olympia fut le premier 33 tours que j'achetai avec mon argent de poche, gagné en allant acheter le pain, dix centimes par dix centimes. Bernard, qui tourna avec lui pendant plusieurs années, m'en a raconté de bonnes et de terribles que je relaterai lorsqu'il y aura prescription. Mon voyage à Londres en 1964 amorça l'engouement pour la musique, Rolling Stones et Beatles aidant. Comme cela coûtait assez cher j'enregistrais les collections des copains plus fortunés ou plus gonflés, capables de chaparder pour assouvir leur curiosité et leur soif de culture.
En 1975 je fondai GRRR, mon propre label, et publiai l'album devenu culte, Défense de de Birgé Gorgé Shiroc. Le catalogue comprend toujours les disques d'Un Drame Musical Instantané, Hélène Sage, Michèle Buirette, Bernard Vitet, mais en 1987 nous sommes passés au CD. Comme nous étions les premiers à vouloir jouir des possibilités offertes par ce nouveau support (le silence, la durée), il nous est resté quantité de 33 tours qui se vendent aujourd'hui surtout aux USA et au Japon. Je n'ai pas renouvelé ma collection de vinyles, pop, jazz, chansons, classique, opéra, qui occupe pourtant une place folle sur les étagères. La durée d'une face était idéale (au delà de 20 minutes la pause nécessaire pour changer de face est salutaire pour préserver une écoute fraîche et attentive). Les pochettes offraient aux graphistes une surface généreuse pour inventer. Je préfère goûter les œuvres sur les supports pour lesquels elles ont été créées, mais je suis loin d'être un puriste comme les collectionneurs que Paolo Campana a rencontrés pour son film Vinylmania (distribué par Dissidenz depuis le 5 juin).

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