70 septembre 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 30 septembre 2012

Une vie


Nous étions près de 100 000. Il faisait beau. Françoise s'était fabriquée une petite pancarte : "On a une seule vie. Ici. Maintenant." C'était sans compter les années de lutte qu'on a derrière soi puisque l'on ne peut rien présumer de l'avenir. Mais on ne vit pas sur le passé. Ici, dans le contexte de la manifestation pour une Europe solidaire contre le Traité de l'austérité, la phrase revêt tout son sens. Déplacée, par exemple dans un paradis fiscal, elle aurait pu renvoyer au cynisme des quelques riches qui dirigent la planète. Ici, c'est la partager avec 98% de la population dont une grande partie est encore suffisamment endoctrinée par les grands médias pour voter contre ses intérêts. Maintenant, ce n'est pas tergiverser en repoussant les urgences au calendes grecques. Les états continuent de s'endetter en empruntant à des taux d'usure aux banques privées qui, elles, ne versent que 1% à la Banque Centrale. Les pauvres seront plus pauvres. Les riches plus riches. La crise plus critique. Et la calotte glaciaire continue de fondre, plus vite que nos économies.

vendredi 28 septembre 2012

Un piano préparé étourdissant dans la boîte


J'ai longtemps rêvé du piano préparé. Lorsque j'étais adolescent, j'avais été fasciné par le disque du Chant du Monde enregistré par François Tusques avant de découvrir les Sonates et interludes de John Cage dans la collection économique d'Harmonia Mundi, ou encore Henry Cowell, son initiateur. Il m'est arrivé de frapper la harpe d'un piano désossé, mais c'est seulement très tard que j'eus l'immense plaisir de jouer avec la pianiste Ève Risser ou de me laisser emballer par Benoît Delbecq, deux inimitables maîtres du piano préparé, qui risquent tout de même de craquer en entendant ma nouvelle acquisition.

Une tuerie ! C'est le mot. Le nouvel instrument virtuel développé par UVI et l'IRCAM m'a tué. Je me suis escrimé comme un fou sur mon nouveau clavier 88 touches pour tester le renversant piano préparé enregistré à partir d'un Yamaha C7. On peut affecter chacun des 45 modes de préparation indépendamment à chaque corde ; mieux, on peut placer vis, gommes, pièces de monnaie, pinces à linge, baguettes, sourdines, simultanément dans les parties haute et basse des cordes. D'aucuns objecteront que cela ne vaut pas un vrai piano préparé. C'est vrai et c'est faux. Comme avec n'importe quel instrument réel ou virtuel tout dépend de ce que l'on en fait. Et l'on ne fera pas avec l'un ce que l'on peut réaliser avec l'autre. Mais c'est réciproque. Comment un pianiste pourrait-il jouer de l'archet, de l'EBow (un archet électronique qui met les cordes en vibration par effet magnétique), du bottleneck avec la même dextérité qu'il frappe sur les touches ou gratte les cordes dans le cadre du piano ? L'IRCAM Prepared Piano est un nouvel instrument qui s'ajoutera à la palette infinie des timbres offerts par l'électronique et l'informatique. Le multi-échantillonnage donne une vie incroyable à l'instrument, magnifié par la SparkVerb™, une réverbération toute nouvelle, merveilleusement adaptée. On pourra faire vibrer les cordes avec une mailloche, un plectre, un archet ou l'EBow, on pourra régler les deux effets pour chaque note en hauteur et en intensité, choisir le son des micros Schoeps ou DPA, travailler la tonalité ou les enveloppes, ou profiter de toutes les ressources de la UVI Workstation comme l'arpégiateur et les dizaines d'effets déments applicables à tous les logiciels supportant ce format tels les instruments solo de l'Ircam ou les jouets musicaux précédemment publiés.

J'adore me laisser surprendre par les sonorités inouïes qui jaillissent de chaque touche de mon clavier. Le piano se transforme alors en orchestre de percussion, gamelan occidental aux possibilités infinies. Je suis dans les cordes. K.O. technique. Le gong a sonné. Il est tard. Je vais me coucher.

jeudi 27 septembre 2012

Paris aura toujours été Paris


Tandis que Télérama axe son dernier numéro autour du Grand Paris j'admire la remasterisation impeccable du film d'André Sauvage, Études sur Paris, tourné dans les années 20. Dans ce DVD édité par Carlotta on aurait souhaité des chapitres plus découpés pour pouvoir sauter de quartier en quartier, histoire de comparer avec aujourd'hui. Le menu ne propose que Paris-Port, Nord-Sud, Îles de Paris, Petite ceinture, De la Tour Saint-Jacques à la Montagne Saine-Geneviève alors que nous sillonnons les rues vides d'automobiles ou du moins très rares, de Montmartre à la Zone, du Châtelet au Bois de Boulogne. Je reconnais ainsi la piscine des Tourelles avant sa modernisation, le Pré Saint-Gervais et l'emplacement des anciennes fortifications... Les chevaux sont partout et personne ne se soucie de la présence de la caméra. Malgré les sensationnelles vues aériennes prises depuis les toits de la capitale, nous sommes plus en présence d'un documentaire, certes passionnant, qu'en face d'un équivalent de Vertov ou Ruttmann. Si le choix de l'accompagnement musical permet d'osciller entre la techno molle de Jeff Mills et le nostalgique et suranné Quatuor Prima Vista, les deux interprétations ne figurent que papier peint, accentuant l'effet cartes postales des monuments cinématographiés. Les suppléments muets du DVD entérinent l'aspect documentaire des travaux de Sauvage, loin d'une recréation visionnaire à la Vigo. Il n'empêche que tout amoureux de Paris y trouvera son bonheur tant le grand écart est fondamentalement poétique.
Quant à Télérama, c'est un beau chantier, laissant le rappeur Oxmo Puccino évoquer la place Stalingrad, l'éditeur Éric Hazan l'incessante guerre sociale chassant du centre les classes populaires, les usagers du RER la ligne B, le créateur de mode Guillaume Henry les Parisiennes, l'écrivain Patrick Modiano sa carte du Tendre, Nicolas Delesalle la diaspora chinoise d'Aubervilliers, Mathilde Blottière mon quartier avec le statut des petites salles d'art et essai face au complexe qui s'ouvre Porte des Lilas. J'ai envie de tout lire, d'autant que ne regardant pratiquement pas la télévision je ne feuillette plus que les premières pages...

mercredi 26 septembre 2012

Deux comédies


Requête récurrente, nombreux amis et surtout amies me réclament une comédie lorsque vient l'heure de s'affaler devant le film de la soirée. Pourquoi faut-il que je craigne une grosse pochade quand il s'agit de ce genre de cinéma ? Est-ce la culpabilité de se laisser aller à la rigolade ou à la sentimentalité, ou bien la crainte de la vulgarité et de la facilité ? Pourtant l'exercice est souvent plus difficile que d'écrire un drame psychologique, de coller à la réalité et de se morfondre devant la cruauté du monde. Comme dans les polars qui laissent filtrer une forte critique politique ou sociale les comédies n'en sont pas dénuées, loin de là. J'en veux pour preuve l'astucieux et caustique Ça ne peut pas continuer comme ça ! de Dominique Cabrera dont nous ne manquerons pas de parler lors de sa diffusion à la télévision pendant la semaine du théâtre. Depuis ma dernière sélection et après avoir épuisé mes récentes acquisitions avec le rafraîchissant Et si on vivait tous ensemble ? de Stéphane Robelin, le farfelu Holiday de Guillaume Nicloux, le tatiesque La fée de Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy et, en remontant dans le temps, les derniers Chatiliez qui m'avait échappé, La garçonnière, certains films d'Elio Petri, j'ai tenté le coup avec deux films français récents, Les infidèles et Mon pire cauchemar.

Les infidèles est un film à sketches français réalisé par Emmanuelle Bercot, Fred Cavayé, Alexandre Courtes, Michel Hazanavicius, Éric Lartigau, Gilles Lellouche et Jean Dujardin, ces deux derniers en interprétant chaque fois avec brio les rôles principaux. Loin d'être une apologie du machisme comme auraient pu le laisser supposer les deux affiches à scandale retirées des lieux publics, le film montre au contraire des personnages pitoyables aux prises avec une culture qui les étouffe (TF1). Quant à Mon pire cauchemar de Anne Fontaine avec Isabelle Huppert dans le rôle de la bourgeoise coincée et Benoît Poelvoorde dans celui du prolo rigolo, ses dialogues font mouche, pulvérisant au passage quelques préjugés tenaces sur les rapports de classes (Pathé). Les deux films dégagent même une finesse sur le sujet du sexe que l'on aimerait voir plus souvent dans les drames pesants dont le cinéma français a le secret bien gardé. Saluons encore l'excellence des comédiens, et donc de la direction d'acteurs, qui nous font croire à l'impossible au milieu des éclats de rire.

mardi 25 septembre 2012

Le secret derrière la porte


Dans l'expectative je regarde la lumière. Intérieure ou aveuglante comme celle du soleil. Un praticien me racontait qu'il ne savait pas quoi répondre à un adolescent qui allait perdre la vue pour avoir regardé le soleil en face pendant des années, comme ça, pour voir. On obtient parfois l'effet inverse. Personne ne lui a dit ? Cette clarté peut être sonore. Un coup de téléphone de bonne nouvelle. Pourquoi pas ? L'espoir fait vivre. J'ai longtemps habité rue de l'espérance, mais aujourd'hui mon adresse porte le nom d'un jeune résistant mort à 17 ans. Le soir tombe.
J'ai bien travaillé. Non-stop de 7h à 18h. Composé seize boucles sur le mode de la toile de fond, bien qu'ici le décor soit sonore. Ces ambiances diffusées doucement donneront une perspective à la seconde partie du projecteur de rêves de Léonard de Vinci, en arrière-plan du quatuor à cordes. On les devinera à peine jusqu'à ce qu'une image envahisse tout l'écran et qu'un instrument solo laisse apparaître cette découverte. Associées aléatoirement aux images de Nicolas Clauss, elles leur donneront un sens différent selon les combinaisons audiovisuelles. Cette couche sonore renforcera le sandwich d'images fixes et mobiles en théâtralisant le résultat global. J'avais inauguré cette méthode en 1997 avec la douzième et dernière scène du CD-Rom Carton où étaient associés dix images et dix sons que l'on pouvait combiner à loisir. Cette fois, j'ai choisi des ambiances dans l'ensemble plutôt classiques, a priori repérables, mais je les ai traitées de façon à laisser une place à l'interprétation de chacun. Noyé le poids des sons. Ils ont cette merveilleuse propriété de susciter l'évocation.

lundi 24 septembre 2012

Sur nature à petit bruit


Nous sommes si souvent déçus par les expositions d'art contemporain qu'une petite brise de fraîcheur venant du 104 nous a ravis samedi après-midi. Les fantasmes de réussite font glisser tant d'artistes sur la pente savonneuse de la mode ou de supposées recettes qui auraient fait leur preuve que les véritables urgences sont noyées dans cet océan de clones et de futilités ressassées. Bien des professeurs portent une lourde responsabilité de vouloir former des élèves à leur image. Duchamp se retournerait dans sa tombe en découvrant la foule de ses adeptes, comme tous ceux qui ont fait des émules à l'instar de Lacan ou Godard. Il est si difficile de suivre sans imiter, d'apprendre en restant soi, de vivre sans croire le dogme... En même temps les plus authentiques n'en ont cure car ils ignorent le choix. Ils se nourrissent de leur insatisfaction fondatrice et de cette pulsion salvatrice qui les empêche de commettre le pire.

Tout n'est pas du même tonneau dans l'exposition Sur nature présentée au 104 jusqu'au 17 mars 2013. Deux artistes se détachent nettement : Céleste Boursier-Mougenot avec la version 16 de From Here to Ear et Zimoun avec 416 prepared dc-motors... et Woodworms, wood, microphone, sound system. Ce sont étonnamment les trois installations sonores qui retiennent notre attention. La cheminée de cartons résonnants affublés de petits moteurs rotatifs recycle un ancien projet de Zimoun pour donner l'illusion de la pluie tandis qu'un microphone capte le bruit des vers dévorant le bois dans la salle d'à côté.

Mais si l'espace du 104 mérite le détour, l'installation de Céleste Boursier-Mougenot vaut le voyage. Des dizaines de diamants mandarins volètent dans deux salles où sont disposées dans l'une six guitares Gibson et une basse, dans l'autre cinq guitares et deux basses, chacune branchée sur un ampli Fender. L'artiste ne se moque pas de ses interprètes : le son est là ! Les oiseaux venant se poser sur les manches composent une partition aléatoire charmante, sereine, aérienne, qui varie selon les heures et l'excitation des volatiles mis en condition pendant quinze jours avant l'ouverture au public. Nos mouvements provoquent les leurs lorsqu'ils ne vont pas se nicher dans leurs habitations tressées suspendues ou dans les cymbales Paiste, mangeoires posées au sol. Le concert de leurs voix lilliputiennes vient se mêler aux cordes électriques, interrogeant notre rapport à la structure, à l'indétermination et au chant du monde.

samedi 22 septembre 2012

Souvenir de Luc Barnier


Les morts se suivent, mais ne se ressemblent pas. C'est pourtant toujours la même histoire. Cet été naissent quantité de bébés tandis que les vieux tirent leur révérence. Luc Barnier n'avait que 58 ans, mais le crabe l'aura emporté malgré son ardent combat. Il y a deux ans je lui avais envoyé des photographies de famille retrouvées dans mes archives. À l'origine nous les avions agrafées dans les toilettes de l'appartement où nous vivions en communauté avec Michaëla Watteaux et Antoine Guerreiro, juste après avoir quitté nos parents respectifs ! Luc y est resté deux ans et demi, soit presque toute sa scolarité à l'Idhec. Il m'avait appelé pour me remercier pour les photos. Je me souviens, j'étais dans mon bain, il m'a résumé les trente ans où nous avions cessé de nous voir et m'annonça sa maladie. Nous étions restés brouillés après une sombre histoire de répondeur. Je l'avais juste croisé à un concert de John Zorn.

J'ai malgré cela toujours gardé une certaine tendresse pour ce jeune homme habillé tout de noir qui avait décoré sa chambre kitschissime avec des objets du culte comme on le voit dans une séquence de La nuit du phoque que j'avais tourné en 1974. Il avait rejoint notre équipe du light-show H Lights et participa dès lors à toutes ses créations. Ce sont les souvenirs de notre adolescence, les expériences tous azimuts, sex, drugs and rock 'n roll, mais aussi la lumière et le cinéma. La lumière avec le Light-Book que son père avait réalisé à son imprimerie Union, le cinéma puisqu'il devint l'un des monteurs français les plus prisés, travaillant avec Olivier Assayas, Benoît Jacquot, Anne Fontaine, Youssef Chahine, Amos Gitaï, Yousry Nasrallah, Gabriel Aghion, Valérie Lemercier ou Dany Boon... Il avait monté aussi bien Carlos que Bienvenue chez les Ch'tis ! Nous nous étions connus au Lycée Claude Bernard. Il me remplaça au light-show après mon premier concert en tant que musicien. Nous posions pour Thierry Dehesdin dont j'ai recadré deux photos pour ce billet afin d'alimenter les récits que nous projetions sur grand écran. C'est lui, le barbu aux cheveux longs, et celui que la mort amène à la grille dans une mise en scène grotesque comme nous en pratiquions en 1970 !


Il a rejoint les camarades de cette époque tous disparus trop tôt. Marc Lichtig, Philippe Labat, Éric Longuet, et surtout Bernard Mollerat avec qui je faisais équipe à l'Idhec et qui avait remplacé Antoine dans notre communauté du 88 rue du Château à Boulogne-Billancourt. Je revois Luc voûté sur les Leitz et battant des mains devant leurs objectifs pour animer les images, retrouvant ainsi la magie du pré-cinéma. J'entends son rire grave quand nous étions défoncés. Les souvenirs de Nibelle où ses parents possédaient une maison remontent soudain. Les répétitions de nos spectacles multimédia. C'est un peu de cette jeunesse qui meurt avec lui. Françoise m'avait plusieurs fois exhorté à l'appeler pour que l'on se voit. J'ai trop attendu.
Une vague de tristesse m'a emporté en fin de soirée...

vendredi 21 septembre 2012

Power Symphony


En appelant Power Symphony la musique du Prix Pictet que je composai pour sa présentation au Théâtre antique à l'occasion des Rencontres d'Arles de la Photographie je m'étais évidemment inspiré du thème de l'année, Power, la puissance, mais je n'avais pas remarqué le nom du cargo échoué à Fukushima et photographié par Philippe Chancel !

Le gagnant du Prix Pictet n'étant révélé par son président d'honneur, Kofi Annan, que le 9 octobre prochain, à l'occasion du vernissage de l'exposition qui se tiendra du 10 au 28 octobre 2012 à la Saatchi Gallery de Londres, je ne peux que voter virtuellement pour cette photo qui ferait une très belle couverture à ma propre petite symphonie. Un prêté pour un rendu !

L'exercice était périlleux. La série d'images de chacun/e des douze photographes devait durer exactement une minute pour n'en favoriser aucun/e. Chaque mouvement devait présenter au mieux leur travail, dans toute leur diversité, mais je désirais que l'ensemble fasse œuvre d'un point de vue musical avant qu'Olivier Koechlin ne finalise le montage du spectacle.

Le sujet se prêtait évidemment aux effusions dramatiques, surtout après avoir admiré la déforestation en Oregon par Robert Adams en 1999 (Turning Back), l'océan d'hydrocarbures par Daniel Beltrà en 2010 (Spill), les jeunes des quartiers par Mohamed Bourouissa en 2006 (Périphérique), les ravages du tsunami à Tohoku par Philippe Chancel en 2011 (Fukushima: The Irresistible Power of Nature), la prison de Guantanamo par Edmund Clark en 2009 (Guantanamo: If the Light Goes Out), différentes vues des côtes par Carl De Keyzer en 2009-2011 (Moments Before the Flood), la folie des hommes par Luc Delahaye en 2008-2011, les traces de Tchernobyl par Rena Effendi en 2010 (Still Life in the Zone), bureaux et salles à manger vides dans le monde arabe par Jacqueline Hassink (Arab Domains), les manœuvres de l'armée américaine en Californie par An-My Lê en 2003-2004 (29 Palms), les membres siégeant à l'ONU par Joel Sternfled en 2005 (When It Changed), la violence au Congo-Kinshasa par Guy Tillim en 1997-2006 (Congo Democratic).

Toute la musique fut ainsi jouée en temps réel, le plus souvent un mouvement après l'autre, sur un clavier échantillonneur façon deus ex machina. Douze fois une minute dans l'ordre alphabétique, le genre de commande qui justifie de composer une musique originale plutôt que de tenter vainement de trouver un ou plusieurs morceaux existants qui conviennent. Les lauréats ayant tous traité le sujet de manière plutôt sombre, j'avais annoncé la couleur pour avoir le feu vert de mes interlocuteurs : "dramatique et symphonique !"



Lancé en 2008, sous l'impulsion de Pictet et en collaboration avec le Financial Times, ce prix est le premier au monde dédié à la photographie et au développement durable. Quant à ma petite symphonie, créée en public le 4 juillet 2012, on peut l'écouter ou la télécharger à cette adresse sur le site drame.org parmi les 92 heures d'inédits mis en ligne gratuitement !

Ou ici dans son intégralité (12'08) :

jeudi 20 septembre 2012

L'appartement, en son absence


Deux films en DVD le même soir. Dans le premier Louise Wimmer, faute d'obtenir un appartement auprès de l'Assurance Sociale, dort dans sa voiture. Dans le second, Bud Baxter fait les cent pas dehors pour avoir prêté le sien à ses patrons qui y amènent leurs conquêtes.

The appartment, en français La garçonnière, est une comédie douce-amère de 1960 réalisée par Billy Wilder qui préfigure le machisme et le cynisme de la hiérarchie à l'œuvre dans la série Mad Men. L'altruisme du héros qui l'empêchait de vivre lui donnera la force de se révolter. Ce n'est pas la plus drôle des comédies de Wilder, mais la tendresse qu'elle dégage tient beaucoup au jeu admirable de Jack Lemmon et Shirley MacLaine (ed. Carlotta).

Autre temps, le nôtre, autre révolte. Cinquante plus tard, Cyril Mennegun signe son premier long métrage de fiction en abordant sans misérabilisme le statut précaire de Louise Wimmer, la cinquantaine, révoltée et intransigeante. Là encore, la comédienne est remarquable, Corinne Masiero incarnant cette femme qui reste digne malgré le moment tragique qu'elle traverse. Un second DVD présente deux autres films de Mennegun, Tahar l’étudiant avec Tahar Rahim et Le Journal de Dominique, plus des entretiens avec le réalisateur et son héroïne (ed. Blaq Out).

Très bonne soirée, au chaud et au sec.

mercredi 19 septembre 2012

publie.papier et publie.net sont dans un bateau


publie.papier et publie.net sont dans un bateau, mais personne ne tombe à l'eau. Les deux formules se complètent astucieusement, révélant un fantasme devenu réalité. Les livres des éditions dirigées par François Bon n'étaient jusqu'ici que numériques, voici que les titres sont imprimés à la demande et expédiés dès le lendemain de la commande ! C'est la P.O.D., le Print On Demand comme il y a la V.O.D. pour les films. Sauf que les vidéos restent virtuelles sur votre ordinateur tandis que le bouquin imprimé à l'unité atterrit dans votre boîte aux lettres ou chez le libraire à qui vous l'avez commandé !
publie.net est partenaire de Hachette Livre, qui assure l’impression et la distribution du catalogue. J'ai longtemps hésité avant d'écrire cet article tant c'est bien expliqué sur le site publie.papier, rubriques "comment ça marche" ou "journal de bord".

Après avoir été soigneusement concoctés par l'équipe de publie.net sous l'égide Gwen Catalá, les ouvrages sont déposés par ftp sur le serveur de Lightning Source à Nashville (USA). Hachette centralise les commandes, et chaque matin les livres sont imprimés en bloc sur une machine très rapide, une page blanche avec code optique séparant les titres qui s’impriment les uns à la suite des autres. Il s’agit d’une machine de même type que celles utilisées pour le fonctionnement traditionnel par tirage (ce qui change, c’est l’informatique gérant le changement des titres à l’intérieur du tirage), la qualité du livre fini est identique à celle des livres que vous lisez habituellement. Les pages sont ensuite séparées titre par titre, pliées et triées selon les mêmes procédures que dans l’imprimerie traditionnelle. Les couvertures sont imprimées parallèlement, et selon le même principe, sur une deuxième machine, et pelliculées d’un nylon très fin (23 microns). Une troisième machine assemble les ouvrages, une quatrième enfin les massicote. Le code optique présent sur chaque ouvrage permet son expédition immédiate au libraire ayant déclenché la commande. publie.net est éditeur, et ne pratiquera pas la vente directe pour ses ouvrages, il vous faut les commander via votre libraire habituel, physique ou en ligne...

À la fin de chaque livre un code permet de télécharger la version numérique de l’ouvrage. Pour l'instant les livres les plus simples techniquement sont sortis, textes avec éventuellement photographies, mais très bientôt les créations numériques intégrant du son ou de la vidéo vont suivre le mouvement. Comme on est sur papier, un support ancien qui a fait ses preuves mais limité dans son aspect multimédia, des liens seront fournis pour aller écouter ou regarder sur le Net les parties "mobiles". C'est le cas de mes deux romans, La corde à linge paru en 2011 et USA 1968, tour détour deux enfants à paraître avant la fin de cette année. Le troisième est sur le feu.

Pendant que tournent les rotatives ou qu'émettent des 0 et des 1, de son côté François Bon n'en reste pas là de son travail d'écriture. Il publie coup sur coup Conversations avec Keith Richards, une nouvelle version de Rolling Stones, une biographie et, au Seuil (Fiction et Cie), Autobiographie des objets. Avec ce dernier roman, François Bon interroge les objets de son enfance comme il le pratique régulièrement avec les outils d'aujourd'hui. Les uns et les autres ont révolutionné nos vies. Si vous en doutiez, comment faites-vous pour me lire en cet instant ?! Sur son blog, l'écrivain complète discrètement l'édition papier au gré de son inspiration. Rafraîchissant !

mardi 18 septembre 2012

Disparition d'un ami


Départ imprévu. Le nôtre à la suite du tien. Deux poids, deux mesures. Horrible nouvelle. Tristesse de tes amis. Les disparitions sont plus douloureuses lorsque les circonstances sont obscures. Les gendarmes t'ont retrouvé dans le port. C'était ta bouffée d'air frais. Le large. Mais cette fois tu es allé trop loin. Probablement un malaise au bord du quai, on te savait fragile, tu auras glissé. Nous nous attendions au pire, mais pas ainsi. Il y a deux semaines nous pêchions ensemble au large de La Ciotat. Tu avais toujours le mot pour rire, même quand tu n'allais pas bien ; ta moindre taquinerie était bien intentionnée. Sur la dernière photo tu as cet air de garnement qui a fait un bon tour alors que Maurice semble contrarié. On a rarement connu aussi dévoués que vous deux. La mort soulage ceux qui s'en vont et blesse ceux qui restent. Nos larmes sont égoïstes. Serge, tu vas terriblement nous manquer.

lundi 17 septembre 2012

Après le CNM, l’An 01 ?


Contrairement à ce qui est étrangement par trop affirmé dans la presse il n'a jamais existé de consensus du monde musical pour la création d'un Centre National de la Musique. De nombreuses associations représentatives de la vie musicale ainsi qu'un mouvement spontané comprenant de nombreux musiciens avaient refusé de cautionner la mise en place du Centre National de la Musique. Les Allumés du Jazz, regroupement de 58 maisons de disques indépendantes, ont signifié cette opposition dès février puis le 1er juillet dans un communiqué intitulé "Il n'existe pas de filière musicale". Afin que la parole ne soit pas volée, les Allumés du Jazz réaffirment leur position dans le communiqué de ce jour, alors que la Ministre de la Culture a annoncé l'abandon du projet de Centre National de la Musique...

COMMUNIQUÉ DES ALLUMÉS DU JAZZ : Après le CNM, l?An 01 ?

Le projet Centre National de la Musique, serait abandonné, on s?en réjouira. L?association de préfiguration de ce Centre National de la Musique, elle, continuera a être entendue, on se demande bien pourquoi et au nom de quelle compétence.

La sinistre aventure du Centre National de la Musique, entreprise de normalisation faisant émerger un dérisoire concept de « filière musicale », mot béquille dont chacun se gargarise à foison comme si il signifiait quelque chose, aura réussi un triple but : confusion, désarroi et faux-semblants sont devenus les pénibles atours de nos activités.

Comment considérer une industrie qui a été incapable d?imposer le prix unique du disque ou la tva réduite à 5,5%, pour faire de ce disque un objet comparable au livre (qui lui bénéficie de ce régime depuis 30 ans) ? Comment considérer une industrie qui n?a eu de cesse de s?emparer des plus petits dénominateurs communs, brocardant la musique pour des profits toujours plus forts, la minimisant à l?extrême, la staracadémisant, pour en faire au mieux un objet-cadeau de la technologie soudain plus juteuse ? Comment pardonner une industrie, si peu soucieuse de création, qui soudain s?en prend à des gamins-pirates pour excuser son infinie négligence ?

Décidément non ! Comme nous l?écrivions dans notre communiqué du 1er juillet, nous n?avons rien à voir avec cette supposée « filière musicale », nous avons à voir avec le monde, ses joies et ses souffrances, avec tous ceux qui ?uvrent en ce sens. Là est notre « corporation » ! Là est l?endroit où notre petitesse est grande, où nous pouvons être reconnus, défendus, aidés.

L?abandon du Centre National de la Musique génère un concert de protestations effarouchées ou faisant mine. On y reconnaitra peu de musiciens. Impossible de nous associer à ces cris si peu musicaux et vaguement criminels qui prétendent que « La France est en retard sur les autres pays qui eux n'ont pas peur du marché, l'avenir de la culture c'est le marché ».

Pour nous cet abandon est la moindre des choses. Mais la moindre des choses ne permettra rien de plus tant que nous ne serons pas considérés pour ce que nous sommes : de véritables artisans amoureux de leur authentique métier et conscient de ce qu?il peut encore pour le monde.

À ce titre, nous souhaitons être entendus, véritablement entendus.

Les Allumés du Jazz, le 13 septembre 2012

Quelle couche !


Je déteste peindre. Je n'aime aucune tâche qui salisse. La menuiserie, la plomberie, le bricolage ne sont pas ma tasse de thé, mais au moins je n'ai pas besoin de me passer ensuite à l'eau, à l'acétone ou au white spirit. Le temps que j'aille faire une course, un salopiot avait pissé son nom sur notre beau mur orange comme s'il revendiquait ce territoire. Ezi, je t'affiche aujourd'hui sur mon mur virtuel, mais à l'avenir choisis d'autres supports pour écrire ton nom car je n'ai pas envie de replonger le rouleau dans le pot de peinture ! J'en avais sur le bas de mon froc et ça gouttait sur les dalles... En plus, il faut faire vite, car la surenchère ne se fait pas attendre, les chiots se grimpant les uns sur les autres dès que l'un d'eux lâche son urine acrylique. Si au moins on nous collait une œuvre tels Ella et Pitr avec leur superbe papier peint que les voisines hystériques arrachèrent violemment il y a quelques mois, mais non, juste un nom alors que je n'affiche même pas le mien sous la sonnette ! Je vous laisse, déjà que j'en tiens une bonne, la seconde couche m'attend...

vendredi 14 septembre 2012

L'assoiffé de Guru Dutt, chef d'œuvre hindi en DVD


Bollywood, ce ne sont pas que des bluettes avec chants et danses dont les décennies marquent chaque fois le style. Il existe des chefs d'œuvre inoubliables où la réflexion philosophique rivalise avec la tendresse, le lyrisme avec l'humour, la lutte des classes avec une critique du machisme, le clair-obscur avec l'intelligence du montage ! Il en est ainsi de L'assoiffé (Pyaasa), réalisé en 1957 par le génial Guru Dutt, à la fois réalisateur et acteur, que Carlotta publie en coffret de 2 DVD avec Le maître, la maîtresse et l'esclave (Sahib Bibi Aur Ghulam) qu'il a produit en 1962, mais qui est signé par son dialoguiste, Abrar Alvi. Si la musique et les chansons de L'assoiffé sont merveilleusement envoûtantes, le passé chorégraphique de Dutt en pointe le rythme tout en ruptures de ton, avec une incroyable variété d'émotions. On passe d'une sorte de néo-réalisme à l'indienne à une séquence surréaliste, d'une scène d'action à du pur burlesque. De plus, j'ai toujours adoré les avant-plans comme chez Ophüls, laissant deviner l'action derrière des premiers plans qui font sens. Les focales jouent de la profondeur de champ et du flou, et les gros plans au 100mm ont conservé le nom de leur auteur. Son noir et blanc est à couper le souffle. La musique ne consiste pas ici en intermèdes comme c'est souvent le cas dans les films de Bollywood, elle est partie intégrante du récit. Les chansons ne sont d'ailleurs pas précédées d'introductions instrumentales pour ne pas casser le rythme.
En bonus le documentaire À la recherche de Guru Dutt de Nasreen Munni Kabir tourné en 1989 éclaire la vie passionnante de Guru Dutt dont les films réfléchissent la propre histoire, artiste tiraillé entre l'échec et le succès, et entre deux femmes dont l'une dans la vie prêtait sa voix à ses actrices quand l'autre jouait merveilleusement dans ces deux films. Les nombreux extraits qui l'émaillent donnent envie de voir les sept autres comme Fleurs de papier (Kaagaz Ke Phool) qui ruina le maître de Bombay.



Dans cette autre scène de L'assoiffé Mohammed Rafi prête sa voix à Dutt :
"Ce monde où l'homme est un loup pour l'homme,
Qui n'a d'autre appétit que l'or et l'argent,
Qui voudrait d'un monde pareil ?
Chaque corps est meurtri
Et chaque âme assoiffée
Tous les regards se voilent
Et tous les cœurs s'affligent
Le monde entier est frappé de stupeur
Qui voudrait d'un monde pareil ?
De toute vie humaine vous avez fait un jouet
Et vous n'adorez que ceux qui ont trépassé
La mort en ce bas monde vaut moins cher que la vie
Qui voudrait d'un monde pareil ?
Jeunesse fourvoyée sur le chemin du vice
Qui te livres au commerce de tes tristes appâts
L'amour n'existe plus si ce n'est monnayé
Qui voudrait d'un monde pareil ?
Ce monde qui fait fi de toute humanité,
Dédaigne l'amitié et la fidélité
Et où l'amour est sans cesse dépecé
Qui voudrait d'un monde pareil ?
Qu'on le brûle, qu'on le livre aux flammes !
Qu'on l'ôte de ma vue !
Il est à vous ce monde, faites-en votre affaire !
Qui voudrait d'un monde pareil ?"

Guru Dutt s'est suicidé à l'âge de 39 ans.

jeudi 13 septembre 2012

Foutage de gueules


L'iconographe de Libération a l'art de choisir les photos de Jean-Luc Mélenchon illustrant les articles tout aussi retors du canard dont Édouard de Rothschild est le principal actionnaire. En une hier Daniel Cohn-Bendit fait face au public, l'air réfléchi et serein, tandis que son contradicteur semble se foutre de ce qu'il pense, lui jetant un œil de travers. Paris-Match avait bien saisi le poids des mots, le choc des photos ! La hargne avec laquelle le quotidien taille un costard au responsable du Front de Gauche depuis la campagne présidentielle n'est surpassée que par la mauvaise foi du Nouvel Observateur. C'est de bonne guerre, me direz-vous, lorsque l'on se fait les chantres de la social-démocratie et de la collaboration avec le pouvoir de la finance.
Le débat, fort des questions symétriques posées à l'ancien gauchiste devenu socio-libéral et à l'ex-membre du PS qui s'est radicalisé depuis qu'il est revenu de son vote pour Maastricht, est clair. Cohn-Bendit suggère de s'enferrer et d'agir ensuite. Mélenchon critique inlassablement l'hypocrisie européenne telle que ratifiée depuis 1992 et contre laquelle le peuple français avait voté non en 2005 sans que les gouvernements successifs prennent ce choix en compte. Nous espérons donc être nombreux à manifester le 30 septembre contre le TCSG (Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance) qui laisserait à des technocrates non élus le soin d'imposer aux états la gestion de leur économie, et de ce pas d'imposer une austérité permanente aux plus démunis, à savoir, au train où l'écart de richesse se creuse entre les riches et les pauvres, à près de 90% de la population !

mercredi 12 septembre 2012

L'arbalète


Comme Nicolas Clauss rassemble des images fixes et mobiles pour La machine à rêves de Leonardo da Vinci que nous concoctons pour iPad je lui envoie des photographies d'instruments de musique construits par Bernard Vitet, inventeur plus proche de nous que Léonard. Ici l'arbalète en laiton et plexiglas réalisée par Bernard avec Raoul de Pesters, sorte de violon alto électrique avec manche à sillets, mais on peut le remplacer par un manche plus traditionnel dont la place a été prévue dans la boîte vernissée ! La majeure partie de la musique interactive que je compose là est pour cordes, pincées ou frottées. À cet effet Vincent Segal est venu hier au studio avec son violoncelle.
Sacha Gattino m'avait indiqué un lien précieux vers un site espagnol où sont présentés les instruments de musique inventés par le génial touche-à-tout : orgue de papier, flûtes à glissando, flûte-tambour, percussion à roulements automatiques, crécelle à anches, etc. Leonardo aurait ainsi préfiguré le séquenceur, outil informatique dont je me servirai dans la troisième partie de l'œuvre, après le hochet de l'introduction et le mixage de surfaces de la seconde...
Par souci d'originalité ou peut-être crainte de comparaison je n'ai presque toujours joué que d'instruments rares ou construits à mon intention, qu'ils soient électroniques ou acoustiques. La trompette à anche de Vitet est ainsi devenue l'un de mes préférés avec les flûtes en plexiglas. Côté synthèse, fabriquer mes propres sons a longtemps été l'une de mes priorités, mais j'ai de moins en moins de temps de m'y consacrer, préférant me pencher sur la composition. Il faut environ une journée pour mettre au point un son, un programme qui pourra servir ensuite pendant de nombreuses années dans divers contextes. Ce n'est pas seulement le timbre dont il est question, mais la manière d'en jouer, aussi un son électronique est-il le plus souvent un instrument à part entière. Ceux que j'utilise actuellement ont le mérite de se passer de clavier et sont donc plus légers à transporter !


Il n'empêche qu'appréhender un instrument dont j'ignore tout me procure chaque fois une émotion sans pareil. Quant à Vincent, j'ai été sidéré par sa maîtrise de l'arbalète alors qu'il ne l'avait tenue qu'une fois entre les mains. Sa sonorité cinglante rééquilibre la composition interactive pour quatuor à cordes qui aurait été trop grave avec quatre violoncelles et je vais pouvoir l'intégrer au dernier mouvement, le plus contemporain des trois.

mardi 11 septembre 2012

Anticipation


Paris, dans quelques décennies. La ville est tentaculaire, en proie à l’insécurité et à l’insalubrité. Alors qu’émergent, à sa périphérie, des îlots de luxe pour privilégiés, les quartiers pauvres sont sous la coupe des réseaux mafieux ; les services publics ont disparu, laminés par les intérêts privés. Polar, science-fiction ou, plus brutalement, anticipation de ce qui nous attend à nous laisser bercer par les chimères de la social-démocratie, Serenitas de Philippe Nicholson est un passionnant roman, fiction dont nous reconnaîtrons les racines vénéneuses tous les jours dans le journal. La dette des États laisse imaginer de terribles scénarios, mais les pires risquent de se vivre dans le réel. Les voix qui s'élèvent contre les versions officielles de l'information sont souvent seules, ou du moins éparpillées, telle celle du héros solitaire du bouquin pris dans les mailles du filet. Un soir d’hiver, alors que Fjord Keeling, journaliste au National, a rendez-vous à Pigalle avec un contact qui n’arrive pas, une bombe explose dans la pizzeria d’en face. Douze morts. Fjord était là. Un détail l’a frappé: aucun policier ne circulait dans cette zone habituellement sous haute surveillance. Très vite, le gouvernement, relayé par la presse, accuse les narco-gangs qui gangrènent la capitale et y déversent une nouvelle drogue, la D23... (Carnets Nord, ed. Montparnasse).
Ce matin, Lors m'envoie l'intéressante interview de René Balme, maire de Grigny, accusé du conspirationnisme et d'antisémitisme par Rue89, le site racheté par le Nouvel Obs. Il évoque sa démission récente du Parti de Gauche, la démocratie participative dans sa ville ou les sujets tabous qu'il est dangereux d'aborder sous peine d'être affublé de qualificatifs aussi diffamatoires qu'absurdes.
La date est bien choisie, non ?

lundi 10 septembre 2012

Charbons ardents


Détestant les charrettes, je me suis juré de ne plus me mettre dans des galères, mais j'ai accepté de remplacer un ami sur un boulot dont l'ampleur et les délais se sont révélés inquiétants. Plus moyen même de me reposer, mon esprit continuant à chercher à régler les problèmes pendant mon court sommeil. Passé l'angoisse des premiers mètres, je réalise un dépouillement des sons à enregistrer, reportages, reconstitutions, sonothèque. Je barre les lignes au fur et à mesure, les nuages s'effacent petit à petit. Thibault m'accompagne pour les prises de son en ville. Je compose la musique du film pour me détendre, mais le client la trouve évidemment glauque, prenant en exemple des morceaux hyper-produits qui ont demandé des semaines à leurs auteurs ! Il faut tout reprendre. Le plus difficile sont les voix, précises, mais sans qu'on les comprenne. Il faut ensuite placer tout cela, le montage ne devant laisser aucun blanc, même si la musique recouvrira souvent les ambiances. Fabriquer les espaces avec des réverbérations variées, mixer. Pendant un moment je me demande si je pourrai prendre cinq minutes pour bloguer... Une fois parti, tout se met en place et je peux à nouveau admirer le ciel.

vendredi 7 septembre 2012

Françoise Romand sur UniversCiné


La plateforme UniversCiné offre des centaines de films indépendants en VOD (vidéo à la demande). Cette initiative originale s'agrémente d'un beau travail rédactionnel accompagnant les films à l'image des bonus d'un DVD, proposant photos, articles de presse, entretiens inédits avec les réalisateurs, etc., cela en libre accès, permettant de faire son choix parmi les pépites dont la distribution en salles est souvent négligée. De plus en plus de spectateurs optent pour ce nouveau mode de consommation lorsqu'ils ne sont pas attachés à l'objet physique du DVD.
Ainsi, en juin dernier, Philippe Piazzo et Pierre Crezé ont rencontré Françoise Romand qui évoque en vidéo ses films Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Ciné-Romand et Thème Je. Dans un second temps la cinéaste présente six films qu'elle a choisis dans le catalogue UniversCiné : Les Petites Marguerites de Věra Chytilová, Home d'Ursula Meier, Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau, Les Habitants de Alex Van Warmerdam, Adieu, plancher des vaches d'Otar Iosseliani et Satin Rouge de Raja Amari, avec extraits à la clef. Quatre femmes sur les six réalisateurs sélectionnés pour une bonne dose de fantaisie et de saine provocation !

Nouvel entretien mis en ligne le 11 septembre, cette fois sur Thème Je.

jeudi 6 septembre 2012

Douche à la Volvic, petit-déj à la cabrette


À Riom, en Auvergne, la Volvic coule au robinet. Sa rondeur et son petit goût sucré sont délicieux. Après une bonne douche de la même eau et un petit-déjeuner rapide, André Ricros sort sa cabrette pour une mise en jambes avant que nous décollions. Il commence à la pétéïrole, son instrument principal, et termine avec le son énorme d'une cabrette qui appartennait au célèbre Bouscatel. En se repassant en boucle les films muets du maître il a fini par comprendre ses doigtés, mouvements francs et amples qui donnent tout son swing à la cornemuse auvergnate.
Cela faisait dix ans que je n'avais pas vu mon camarade, depuis nos élucubrations sur la collection de disques Zéro de Conduite et le label Silex pour lesquels j'avais réalisé Crasse-Tignasse pour les enfants, la réédition du K avec Richard Bohringer qui nous avait valu une nomination aux Victoires de la Musique, le CD sur les musiques du front au Haut-Karabagh et celui de l'exposition-spectacle Il était une fois la fête foraine. Le projet de trio avec Fred Frith n'a jamais vu le jour, mais nous envisageons d'improviser avec d'autres musiciens, ce qui me ravirait car j'adore le jeu d'André, lyrique et dansant, sons parfois destroy et rock 'n roll que j'imagine se mariant remarquablement avec ma propre façon de jouer sur mes outils électroniques en temps réel.
La veille, André, conteur né, nous a offert un avant-goût de l'énorme livre qu'il vient de terminer et qui sera bientôt édité, une somme extraordinaire de plus de 400 pages copieusement illustrées sur la cabrette. Il nous raconte comment sont nés les bals-musette sous la direction des plus fins cabrettistes et comment la Guerre de 14 mit fin à leurs exploits, un thriller à la Casque d'or ! Au sein de L'Auvergne Imaginée, il joue et chante régulièrement avec Alain Gibert déjà présent sur l'extraordinaire CD cosigné avec Louis Sclavis, Le partage des eaux...

mercredi 5 septembre 2012

Rithy Panh dans le texte


L'élimination (ed. Grasset), récit du cinéaste Rithy Panh en collaboration avec Christophe Bataille, est le témoignage poignant d'un homme sincère sur son adolescence terrible du temps des Khmers rouges de 1975 à 1979. L'écriture y est nettement plus soignée que les films du réalisateur qu'il est de mauvais ton de critiquer tant il s'est arrogé l'exclusivité du sujet à la manière de Claude Lanzmann avec ce que ce dernier appelle abusivement la Shoah pour évoquer l'une des destructions de masse systématiques. Le récit palpitant de l'atroce aventure vécue et les comptes à régler avec Duch, l'un des grands responsables du massacre de 1,7 millions de Cambodgiens, ne révèle hélas rien des mécanismes qui l'y ont mené.
C'est seulement dix pages avant la fin, en p.318, que Rithy Panh ébauche : "Une interprétation, malheureusement, se répand : le crime contre l'humanité, au Cambodge, aurait été spécifique. En partie explicable par un certain quiétisme lié au bouddhisme. Par une tradition, aussi, de violence paysanne. Comme si ce génocide était culturel, voire prévisible. Je crois que c'est une analyse facile… qui permet d'évacuer les fautes intellectuelles, les fautes morales, les fautes stratégiques. Avec une telle approche il est plus aisé de passer sur le protectorat français ; l'engagement américain auprès du régime de Lon Nol, et les bombardements implacables ; la faiblesse des gouvernements successifs ; l'idéologie marxiste ; le soutien chinois. La liste est longue ! Plutôt s'intéresser aux variantes du bouddhisme qu'à l'universalité de ce crime de masse qu'on le veuille ou non, l'histoire du Cambodge, profondément, est la nôtre."
Par son manque flagrant d'analyse politique, le livre reste seulement un témoignage passionnant, mais raté en regard de son ambition énoncée p.304 : "Je veux comprendre, expliquer, me souvenir…". Seul le dernier souhait est respecté. En citant des extraits de Jacques Vergès, Alain Badiou ou Noam Chomsky le cinéaste montre à quel point il reste hermétique aux causes profondes du crime délirant qui a dévasté le Cambodge. Il reproche au tortionnaire Duch de n'entrevoir qu'une vérité, mais la souffrance endurée le fait succomber à son tour devant la complexité du processus. On peut le constater dans tous les conflits et les crimes de masse organisés, les victimes sont rarement les mieux placées pour comprendre et analyser l'horreur, voire en tirer les conséquences qui devraient s'imposer. Je me souviens des Sarajéviens me demandant pourquoi les Tchetniks leur tiraient dessus, à moi qui n'avais pourtant aucune compétence pour leur répondre, mais qui venais de l'extérieur. La souffrance et le ressentiment sont trop forts pour garder le moindre soupçon d'objectivité. Cette page terrible de l'histoire de l'humanité apparaîtra au lecteur comme une énigme car Rithy Panh ne fait qu'effleurer les responsabilités réelles de la catastrophe.

P.S.: comme si cela ne me suffisait pas, j'enchaîne avec la lecture de Sobibor de Jean Molla, un roman très fin sur une jeune anorexique qui découvre le secret de ses origines (Folio).

mardi 4 septembre 2012

Folk & renouveau, une balade anglo-saxonne


Philippe Robert et Bruno Meillier signent un livre inattendu lorsque l'on connaît leur goût pour les musiques innovatrices. Leur étude sur le folk et ses déclinaisons actuelles, souvent empreintes de rock, est tout à fait cohérente grâce à leur ouverture d'esprit et leurs choix éclectiques.
Musicien (Etron Fou Leloublan, Les I, Bruniferd, Zero Pop, etc.), organisateur du festival Musiques Innovatrices à Saint-Étienne, Bruno Meillier est également label manager de Okhêstra International, distributeur en France de tout ce qui se fait d'original en matière discographique. Leur locomotive est le célèbre Tzadik dirigé par John Zorn, mais ils s'occupent de plus d'une centaine de labels tels Ambiances Magnétiques, BVAAST, Cuneiform, FMP, GRRR, In Situ, Intakt, Knitting Factory, Nûba, Potlatch, Trace, Umlaut, Victo, etc.
Le journaliste Philippe Robert a collaboré aux Inrockuptibles, à Vibrations, Jazz Magazine, Guitare & Claviers et signé sept ouvrages sur la musique aux éditions Le mot et le reste dont ce remarquable Folk et renouveau, une balade anglo-saxonne.
Après un survol historique des différents courants, les auteurs ont choisi environ 150 albums pour illustrer leur propos.
Les folksongs et la musique traditionnelle anglo-saxonne n'ont jamais été ma tasse de thé, mais il n'existe aucun genre qui ne mérite qu'on s'y attache pour peu que l'on soit correctement guidé ! Le moindre rejet musical n'est qu'affaire de psychanalyse, les histoires familiales orientant fondamentalement nos goûts. Face à l'excellence on se laissera surprendre et emporter.
Traçant ma route parmi cette somme fortement argumentée j'ai pu ainsi retrouver des émotions oubliées en écoutant les albums évoqués qui avaient marqué ma jeunesse ou en faisant de nombreuses découvertes puisque le panorama débute en 1927 avec la célèbre Anthologie de la musique folk américaine publiée par Harry Smith et se développe jusqu'à aujourd'hui. Le folk s'est toujours coloré de maintes influences en se mariant, par exemple, avec l'énergie électrique du rock ou la liberté du jazz et de l'improvisation. Pendant ces 90 ans la critique sociale et politique y a rivalisé avec les élucubrations délivrées par l'alcool et les psychotropes.
Par affinité j'ai laissé tomber les classiques Peter Seeger, Woody Guthrie ou Bob Dylan, pour profiter de la voix envoûtante de Sandy Denny avec Fairport Convention ou Fotheringay, des envolées psychédéliques de Crosby Stills Nash & Young, des Byrds ou Buffalo Springfield. Mais j'ai surtout fait des découvertes en me plongeant dans Alasdair Roberts, Comus, Espers, Roy Harper, Pearls Before Swine, Peter Walker, R.E.M., The Holy Modal Rounders qui m'avaient échappé ou en dévorant coup sur coup treize albums de l'Incredible String Band qui m'avait tant plu à l'adolescence pour leur inventivité débridée et leur naturel décomplexé.
Si Folk et renouveau est bien une balade, c'est aussi une mine, un territoire gigantesque dont Robert et Meillier ont dressé la carte en s'en faisant les passeurs pour quiconque souhaite s'ouvrir sans cesse à de nouveaux paysages et se laisser porter par de sublimes ballades.

lundi 3 septembre 2012

Dernière sortie avant l'autoroute


Bateau pointu contre accent pointu, la nuance est pointue. Les vagues font mal aux fesses. Le ciel se couvre. Les vacances sont terminées. Nous reprenons la route vers le nord. J'avais emporté de quoi travailler, studio mobile, ordinateurs, sonothèque et tutti quanti, mais j'ai réussi à m'en abstraire en me plongeant dans la lecture de livres policiers. Des bouquins qui m'accaparent suffisamment pour que j'en oublie le reste, avais-je précisé au vendeur de la librairie Sauramps à Montpellier.
Il avait posé dans mon panier 13 heures du Sud-Africain Deon Meyer, L'homme inquiet du Suédois Henning Mankell et Le léopard du Norvégien Jo Nesbø, format poche. J'ai enchaîné avec À la trace de Meyer, Les cafards de Nesbø et Glacé de Bernard Minier, conseillé par la libraire de Luchon, d'autant que l'action se passe à l'endroit exact où nous avons passé trois semaines perchés dans la montagne. J'ai lu d'autres ouvrages, dans des genres différents, mais les polars ont un parfum de vacance plus puissant que les autres, même si tous ont toujours un fond de critique sociale prononcé, le territoire de prédilection des gauchistes, ce qui n'a rien pour me déplaire évidemment. Ma préférence va à 13 heures, me rappelant mes deux séjours en Afrique du Sud, avant et après Mandela. J'ai également retrouvé Bangkok avec Les cafards. Rien ne sert d'évoquer quoi que ce soit de toutes ces lectures cannibales, ça se lit facilement et l'on se laisse agréablement surprendre, au point de dévorer chaque fois huit cents pages en deux jours.
Hier soir nous avons pris la mer une dernière fois avec Serge et Maurice. Ils pêchent tandis que nous regardons les nuages. Un arc-en-ciel sur la Sainte-Baume. Les gabians volent les rusquiers d'autres plaisanciers qui hurlent pour les faire s'envoler avant qu'ils n'aient attrapé le poisson pris à l'hameçon, le pain qui sert d'appât ou le flotteur en polystyrène. Le temps a changé. Il est temps de rentrer. Leonardo da Vinci, la Famille Fantôme et une animation d'architecture m'attendent. Nous emprunterons tout de même le chemin des écoliers pour éviter la sordide Autoroute du Soleil. Reste à glisser l'ordi dans le coffre et nous voilà repartis pour de nouvelles aventures...