Les morts se suivent, mais ne se ressemblent pas. C'est pourtant toujours la même histoire. Cet été naissent quantité de bébés tandis que les vieux tirent leur révérence. Luc Barnier n'avait que 58 ans, mais le crabe l'aura emporté malgré son ardent combat. Il y a deux ans je lui avais envoyé des photographies de famille retrouvées dans mes archives. À l'origine nous les avions agrafées dans les toilettes de l'appartement où nous vivions en communauté avec Michaëla Watteaux et Antoine Guerreiro, juste après avoir quitté nos parents respectifs ! Luc y est resté deux ans et demi, soit presque toute sa scolarité à l'Idhec. Il m'avait appelé pour me remercier pour les photos. Je me souviens, j'étais dans mon bain, il m'a résumé les trente ans où nous avions cessé de nous voir et m'annonça sa maladie. Nous étions restés brouillés après une sombre histoire de répondeur. Je l'avais juste croisé à un concert de John Zorn.

J'ai malgré cela toujours gardé une certaine tendresse pour ce jeune homme habillé tout de noir qui avait décoré sa chambre kitschissime avec des objets du culte comme on le voit dans une séquence de La nuit du phoque que j'avais tourné en 1974. Il avait rejoint notre équipe du light-show H Lights et participa dès lors à toutes ses créations. Ce sont les souvenirs de notre adolescence, les expériences tous azimuts, sex, drugs and rock 'n roll, mais aussi la lumière et le cinéma. La lumière avec le Light-Book que son père avait réalisé à son imprimerie Union, le cinéma puisqu'il devint l'un des monteurs français les plus prisés, travaillant avec Olivier Assayas, Benoît Jacquot, Anne Fontaine, Youssef Chahine, Amos Gitaï, Yousry Nasrallah, Gabriel Aghion, Valérie Lemercier ou Dany Boon... Il avait monté aussi bien Carlos que Bienvenue chez les Ch'tis ! Nous nous étions connus au Lycée Claude Bernard. Il me remplaça au light-show après mon premier concert en tant que musicien. Nous posions pour Thierry Dehesdin dont j'ai recadré deux photos pour ce billet afin d'alimenter les récits que nous projetions sur grand écran. C'est lui, le barbu aux cheveux longs, et celui que la mort amène à la grille dans une mise en scène grotesque comme nous en pratiquions en 1970 !


Il a rejoint les camarades de cette époque tous disparus trop tôt. Marc Lichtig, Philippe Labat, Éric Longuet, et surtout Bernard Mollerat avec qui je faisais équipe à l'Idhec et qui avait remplacé Antoine dans notre communauté du 88 rue du Château à Boulogne-Billancourt. Je revois Luc voûté sur les Leitz et battant des mains devant leurs objectifs pour animer les images, retrouvant ainsi la magie du pré-cinéma. J'entends son rire grave quand nous étions défoncés. Les souvenirs de Nibelle où ses parents possédaient une maison remontent soudain. Les répétitions de nos spectacles multimédia. C'est un peu de cette jeunesse qui meurt avec lui. Françoise m'avait plusieurs fois exhorté à l'appeler pour que l'on se voit. J'ai trop attendu.
Une vague de tristesse m'a emporté en fin de soirée...