Le nouveau programme de l'ONJ est une réussite. Les arrangements de Gil Goldstein donnent à l'Orchestre National de Jazz une cohésion timbrale envoûtante. Pour cerner cet homogénéité il a privilégié les vents, laissant aux claviers et à la guitare le rôle de soutien, fonction dévolue aux instruments virtuels dans les orchestrations actuelles. Mi refugio met en lumière le quintet formé par le multi-flûtiste Joce Mienniel particulièrement mis en valeur tout au long de la soirée, l'altiste Antonin-Tri Hoang dont les nuances nous ont fait chavirer à la Gaîté Lyrique, le baryton Matthieu Metzger avec un solo de systalk box très fusion, le ténor Rémi Dumoulin et le trompettiste Sylvain Bardiau, tous marchant comme un seul homme bien que le tango se danse à deux. Les uns et les autres doublent sur d'autres instruments, clarinette, clarinette basse, soprano, flûte alto, trombone à pistons, etc. La rythmique du bassiste Sylvain Daniel et du batteur Yoann Serra emportent les harmonies riches et subtiles écrites par Goldstein qui aurait souhaité transposer le son du bandonéon à l'orchestre.
C'est là que le bât blesse. Si nous avons le texte, manque à mon goût le prétexte. Car concert et album s'intitulent Piazzolla!, Astor de son petit nom ayant signé presque toutes les pièces. On assiste au magnifique concert d'un big band de jazz qui a perfectionné sa sonorité d'ensemble depuis quatre ans sous la houlette de Daniel Yvinec, Ma qué c'est (pas) la loumière Tan-go pour citer Bobby Lapointe, car l'on ne retrouve absolument pas l'Argentin, l'un des compositeurs contemporains les plus originaux du XXe siècle. La sexualité du tango et la cravache cinglante font tout autant défaut. Astor Piazzolla joue les lanceurs de couteaux quand l'ONJ joue sur du velours. Goldstein n'aurait-il pu utiliser la puissance du piano d'Ève Risser, le Fender trafiqué de Vincent Lafont et la guitare électrique de Pierre Perchaud pour faire bouger les jambes des danseurs et nous donner le frisson ? Il manque fondamentalement à sa vision l'irrévérence avant-gardiste que la personnalité de Piazzolla sut imposer au monde entier.
L'ensemble nous en fait heureusement entendre de toutes les couleurs, mais la coupe ressemble à celle qu'un Nord-Américain inflige à la culture du Sud, l'édulcorant dans l'espoir de la rendre universelle en négligeant ce qu'elle a de sanguine. Si l'on oublie la référence à Piazzolla dont il ne reste que les notes, c'est un travail somptueux. Après tout, c'est ce qui compte. La soirée fut exquise, avec un orchestre mieux servi par la balance que sur le CD au demeurant très agréable (Jazz Village, dist. Harmonia Mundi).