Ágio de Bernardo Devlin comme L'étang change (mais les poissons sont toujours là) de François Tusques sont aussi différents qu'une carpe et un lapin. Le premier est un disque de techno plutôt minimaliste, le second un solo de piano jazz. Mais chacun dans son genre est atypique.
La jaquette argentée d'Ágio cache un boîtier noir immaculé. L'album de Bernardo Devlin, avec sa voix grave et ses silences, fait irrémédiablement penser à ceux de Scott Walker. Les rythmes et les timbres sont travaillés de manière à ne jamais occulter le texte portugais auquel je ne comprends rien du tout. Les intentions traversent pourtant la barrière de la langue. Je l'écoute comme l'écho d'une autre, variation sur l'immobilité et l'irreproductible.
Le double CD de François Tusques enregistré sur un Steinway de rêve rature l'histoire du jazz en un carnet d'esquisses où les époques se télescopent sans heurt. On ne les sent pas tourner. Les aiguillent se figent. Les dominos noirs et blancs tombent les uns derrière les autres comme des morceaux de sucre qui fondent à leur tour dans une lutte sans merci avec notre époque. Comme souvent chez Tusques le titre fait référence à la poésie didactique du maoïsme en la détournant avec l'humour potache d'un éternel gamin. Ni grave ni léger il nous laisse flotter au gré des nénuphars...